Projet de recherche "Effets de la sélection" (WiSel) de la FHNW
« Un contrat d’apprentissage sur cinq est résilié avant son terme. C’est trop. »
Lorsqu’un contrat d’apprentissage est résilié avant la fin de l’apprentissage, ce n’est pas toujours un problème car de nombreux jeunes démarrent avec succès leur parcours professionnel dans un autre métier ou dans une autre entreprise. Mais un tiers des jeunes concernés a besoin de plus d’un an avant de trouver une nouvelle voie.
Markus Neuenschwander, environ 22% des contrats d’apprentissage sont résiliés avant leur terme. Doit-on s’en inquiéter ?
Je trouve que ce pourcentage est trop élevé ; il est nettement supérieur aux taux d’abandon dans les écoles secondaires. Dans certaines professions, il est encore plus élevé, ce qui est effectivement un motif d’inquiétude. Cependant, 79% des jeunes concernés poursuivent leur formation dans une autre entreprise ou entament un autre apprentissage. Les 21% restants ont un risque accru de se retrouver au chômage, de moins gagner ou de percevoir des aides sociales.
A quel moment abandonne-t-on l’apprentissage ?
D’après les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique, 10% des contrats d’apprentissage sont résiliés pendant la période d’essai et 52% entre le quatrième et le douzième mois de la formation.
Est-ce que les jeunes réussissent lorsqu’ils prennent un nouveau départ ?
En revanche, des éléments nous montrent que la résiliation du contrat d’apprentissage est une chance pour environ un quart des jeunes.
Nous ne disposons d’aucune information montrant qu’ils réussissent moins bien que les autres. En revanche, des éléments nous montrent que la résiliation du contrat d’apprentissage est une chance pour environ un quart des jeunes : après le changement, ils ont une meilleure estime de soi, ils sont plus heureux et plus performants. Ce sont généralement des jeunes qui mettent moins d’un mois pour trouver une nouvelle entreprise. La résiliation du contrat d’apprentissage n’est pas toujours un problème. Cela est également vrai quand on se place du point de vue des entreprises. Dans certains cas, les résiliations impliquent pour elles une perte économique. Mais dans d’autres cas, elles sont ravies que le contrat d’apprentissage ait été résilié.
Que se passe-t-il pour les trois quarts restants ?
Au bout de six mois, la moitié des jeunes a retrouvé une place d’apprentissage. Au bout d’un an, c’est le cas pour 65% d’entre eux. Plus cette durée se prolonge, plus la réinsertion sera difficile.
Lorsqu’elles n’entraînent pas des situations de décrochage, les résiliations de contrats d’apprentissage donnent lieu à des changements d’entreprise ou de métier. Quelle est la fréquence de chacun de ces deux changements ?
Environ un tiers des jeunes change d’entreprise après la résiliation de leur contrat d’apprentissage et deux tiers changent de métier. Néanmoins, il n’est pas possible d’établir une distinction claire entre ces chiffres : un changement de métier peut aussi donner lieu à un changement d’entreprise.
Existe-t-il des raisons spécifiques qui conduisent plutôt à un changement d’entreprise ou à un changement de métier ?
Oui. Les changements de métier dépendent fortement des jeunes eux-mêmes. Leur envie de rechercher un autre métier montre qu’ils ne sont pas certains que le métier soit adapté à leurs aptitudes ou à leurs centres d’intérêt. Cela semble évident. Mais s’agissant des changements d’entreprise, cet aspect joue un rôle dérisoire : dans ce cas, la résiliation du contrat d’apprentissage est plutôt à l’initiative de l’entreprise. D’autres aspects peuvent annoncer une résiliation du contrat d’apprentissage, comme une faible motivation à apprendre au cours de la 9e année de scolarité et les résultats tels qu’ils sont perçus par les jeunes. Cela vaut à la fois pour les débuts dans une nouvelle entreprise et dans un nouveau métier.
Est-ce souvent la faute des entreprises lorsque des jeunes résilient leur contrat d’apprentissage ?
Un formulaire de l’Office fédéral de la statistique contient presque exclusivement des aspects évoquant des manquements de la part des appenti·e·s, mais pas des entreprises.
Je ne parle pas de faute lorsque je recherche les raisons qui expliquent une résiliation de contrat d’apprentissage. La résiliation est jugée de manière très différente par les jeunes et par les entreprises. Certains jeunes ne respectent pas les règles, sont insuffisamment performants ou ont des problèmes psychiques. Mais il y a aussi des entreprises qui forment mal leurs apprenti·e·s. Malheureusement, ces raisons ne sont pas recensées de manière rigoureuse. Un formulaire de l’Office fédéral de la statistique contient presque exclusivement des aspects évoquant des manquements de la part des appenti·e·s, mais pas des entreprises.
Quelles sont, selon vous, les principales lacunes dans la formation en entreprise ?
Les premiers jours et semaines ont une grande influence sur la manière dont les jeunes vont se sentir dans leur nouveau rôle. Comment sont-ils accueillis le premier jour ? Combien de temps leur laisse-t-on pour qu’ils prennent leurs marques ? Y a-t-il des programmes pour faire la connaissance des personnes et des lieux ? Certaines entreprises intègrent peu leurs apprenti·e·s. Un second point important sont les discussions constructives entre le formateur ou la formatrice et l’apprenti·e. Est-ce que de telles discussions ont lieu ? Si oui, à quelle fréquence et sont-elles valorisantes ? Pour cela, il faut que l’entreprise formatrice dispose d’un système opérationnel de personnes de référence. Beaucoup d’entreprises font les choses correctement. Elles tolèrent les erreurs des apprenti·e·s et leur permettent d’apprendre de ces dernières. Mais dans l’idéal, certaines entreprises souhaiteraient que les apprenti·e·s sachent déjà tout faire dès le début et qu’ils puissent travailler rapidement et à moindre coût.
Récemment, une chercheuse a demandé une meilleure formation pour les formateurs et formatrices en entreprise.
Je partage cet avis. La durée et le contenu de ces formations doivent être améliorés. Il est frappant de constater le faible nombre de résiliations de contrats d’apprentissage dans certaines grandes entreprises. Cela tient au fait qu’elles ont des structures professionnelles. Ces personnes savent comment développer les compétences des jeunes et comment prévenir des résiliations anticipées de contrats d’apprentissage.
L’Union suisse des arts et métiers affirme que les résiliations de contrats d’apprentissage sont la conséquence d’un mauvais choix de métier. Est-ce exact ?
Les années de césure ne réduisent pas le risque d’une résiliation anticipée du contrat d’apprentissage ou d’un échec en fin d’apprentissage.
Nos données montrent que la qualité du choix du métier, par exemple l’adéquation entre le jeune et le métier ou l’étendue des informations dont dispose le jeune sur son entreprise formatrice, a une influence plutôt mineure sur la fréquence des résiliations anticipées de contrats d’apprentissage. D’autres facteurs comme la motivation, les performances ou la situation dans l’entreprise sont nettement plus importants. De plus, ce ne sont pas seulement les jeunes qui choisissent un métier et une entreprise; ce sont aussi les entreprises qui engagent des jeunes car elles estiment qu’ils ont le profil adapté.
Une année de césure permet-elle de réduire le risque de résiliation anticipée du contrat d’apprentissage ?
Non. Les années de césure permettent effectivement d’éviter que les jeunes ne sortent du système éducatif après une recherche infructueuse d’un métier ou d’un apprentissage. C’est important. Mais elles ne réduisent pas le risque d’une résiliation anticipée du contrat d’apprentissage ou d’un échec en fin d’apprentissage.
Citation
Fleischmann, D. (2024). « Un contrat d’apprentissage sur cinq est résilié avant son terme. C’est trop. ». Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 9(3).