Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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La Haute école pédagogique de la FHNW a recherché des indicateurs

Comment se produisent les différentes formes de résiliation de contrat d’apprentissage ?

Dans la formation professionnelle, les parcours de formation discontinus ne sont pas rares, comme le montrent les taux élevés de résiliation anticipée de contrat d’apprentissage. Bien que ces résiliations puissent être problématiques pour une partie des jeunes, elles sont aussi un moyen de corriger le choix du métier ou de l’entreprise formatrice, à condition qu’elles n’aboutissent pas à l’abandon pur et simple de l’apprentissage. Une étude menée par la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse (FHNW) montre que la résiliation de contrat d’apprentissage permet avant tout de rectifier des décisions de formation : dans leur grande majorité, les apprenti·e·s  poursuivent leur formation dans un autre métier ou dans une autre entreprise formatrice. Les résultats montrent également que les deux formes de résiliation de contrat d’apprentissage, à savoir le changement de métier et le changement d’entreprise formatrice, peuvent dans une large mesure être prédites par des facteurs identiques. Cependant, par rapport aux changements de métier, les changements d’entreprise formatrice sont moins souvent initiés par les apprenti·e·s.


Les apprenti·e·s qui réussissent se distinguent par une volonté plus forte à faire des efforts pendant leur formation que les personnes ayant décidé de résilier de manière anticipée leur contrat d’apprentissage.

Comment prédire les résiliations de contrat d’apprentissage ? Quels sont les facteurs prédictifs des deux formes de résiliation que sont le changement d’entreprise formatrice et le changement de métier ? Ces questions étaient au cœur du projet réalisé dans le cadre de l’étude longitudinale « Effets de la sélection » (WiSel(https://www.wisel-studie.ch/))[ 1 ] . La dimension longitudinale de cette étude incluait des données à partir de la fin du degré secondaire I et au début de la formation professionnelle. Une attention particulière a été accordée à l’importance de l’intention de résilier le contrat d’apprentissage pour prédire le changement de métier ou d’entreprise.

Les projets de recherche prennent souvent l’intention de résilier le contrat d’apprentissage comme indicateur des résiliations de contrat d’apprentissage (Samuel & Burger, 2019). Une intention de changement existe lorsque les apprenti·e·s terminent leur apprentissage, mais souhaitent changer d’entreprise formatrice ou de métier.  On peut s’attendre à ce que ces deux formes de résiliation de contrat d’apprentissage soient plus ou moins souvent initiées par les jeunes eux-mêmes. Dans les faits, les changements de métier sont plutôt de l’initiative des apprenti·e·s, alors que les changements d’entreprise relèvent plutôt d’une décision des entreprises.

Contexte de formation et adéquation entre la personne et l’environnement

Au début de la formation professionnelle initiale, les apprenti·e·s font face à plusieurs difficultés : ils doivent s’intégrer à leur entreprise formatrice et à l’équipe et déterminer comment ils peuvent accomplir leurs tâches le plus efficacement possible (Bauer & Erdogan, 2011). Un indicateur d’intégration est l’adéquation entre la personne et l’environnement, c’est-à-dire la concordance entre les apprenti·e·s et leur situation de formation, en ce qui concerne les aptitudes, les exigences, les aspirations et les préférences (Kristof-Brown, Zimmerman & Johnson, 2005). Si les apprenti·e·s estiment que leur situation de formation est adaptée, on peut partir du principe qu’ils·elles souhaiteront terminer leur formation. Globalement, pour les jeunes, la transition vers la formation se fera plus facilement si la situation de formation attendue est en adéquation avec leurs aptitudes et leurs aspirations (Nägele & Neuenschwander, 2015).

Lors de la phase d’intégration à la formation, les apprenti·e·s peuvent être soutenu·e·s par l’entreprise. Les stratégies de socialisation mises en place par cette dernière et le soutien apporté par les formatrices et les formateurs réduisent l’intention de résilier le contrat d’apprentissage ou les résiliations concrètes de contrat d’apprentissage (Bosset et al., 2022). Les performances au travail des apprenti·e·s influent aussi sur la probabilité d’une résiliation du contrat d’apprentissage (Bosset et al., 2022). Des performances insuffisantes entraînent plus souvent des changements de métier que des changements d’entreprise formatrice ; toutefois, il n’existe pas encore de données à ce sujet.

Importance des facteurs prédictifs en amont de la transition vers la formation

La transition vers la formation se déroulera d’autant mieux si la motivation est élevée et si le choix du métier a été effectué de manière sérieuse. Un indicateur à ce sujet est l’adéquation anticipée avec le métier d’apprentissage. Une adéquation largement anticipée favorise l’intégration à la formation (Neuenschwander et al., 2012). Des effets positifs sont attendus sur les performances au travail, sur la perception des stratégies de socialisation (p. ex.  les apprenti·e·s ont eu le sentiment d’être les bienvenu·e·s dans l’entreprise formatrice) et sur la perception de l’adéquation avec la situation de formation – et donc indirectement sur l’intention de changement (Findeisen et al., 2022).

La volonté des jeunes de faire des efforts devrait avoir des effets similaires : elle favorise le processus d’intégration car les apprenti·e·s perçoivent plus facilement les stratégies de socialisation et affichent un comportement plus proactif (p. ex. ils·elles vont chercher des informations, demandent à recevoir un feed-back; Wanberg & Kammeyer-Mueller, 2000). Ces deux éléments entraînent une adéquation élevée entre l’apprenti·e et son environnement. Cette adéquation motive les jeunes à accomplir des performances au travail élevées et les dissuade de résilier le contrat d’apprentissage. Les apprenti·e·s qui réussissent se distinguent par une volonté plus forte à faire des efforts pendant leur formation que les personnes ayant décidé de résilier de manière anticipée leur contrat d’apprentissage (Bosset et al., 2022).

Pour résumer, on peut partir du principe que les résiliations de contrat d’apprentissage sont influencées par différents facteurs : le contexte de formation (adéquation perçue, stratégies de socialisation de l’entreprise formatrice et performances au travail), facteurs en amont du début de l’apprentissage (adéquation anticipée avec la formation choisie et volonté des jeunes à faire des efforts). De plus, on peut s’attendre à ce que l’intention de changement contribue à prédire des changements concrets de métier ou d’entreprise. Si le contexte d’entreprise est adapté (adéquation élevée, stratégies de socialisation positives, performances au travail élevées) et si la transition vers la formation est concluante (adéquation anticipée élevée, forte volonté à faire des efforts), l’intention de changer de métier ou d’entreprise devrait alors être moins forte et un changement concret de métier ou d’entreprise devrait se produire moins souvent.

De quels facteurs le changement de métier et le changement d’entreprise dépendent-ils?

Les résultats nous permettent de conclure que les changements de métier sont plutôt de l’initiative des apprenti·e·s, tandis que les changements d’entreprise résultent plutôt de facteurs inhérents à l’entreprise formatrice.

L’analyse des facteurs prédictifs se rapportant au contexte professionnel et à la phase qui précède la transition vers la formation aboutit pour l’essentiel aux mêmes résultats : le changement de métier tout comme le changement d’entreprise formatrice sont moins fréquents si les performances au travail telles que perçues par les apprenti·e·s augmentent. De plus, une volonté plus forte de faire des efforts chez les jeunes avant la transition vers la formation réduit la fréquence des changements de métier ou d’entreprise. En revanche, les autres facteurs analysés se rapportant au contexte de la formation (stratégies de socialisation de l’entreprise formatrice, adéquation entre la personne et l’environnement) ainsi que l’adéquation anticipée avant la transition vers la formation n’ont pas eu d’influence directe sur le changement de métier ou d’entreprise, c’est-à-dire que ces facteurs n’ont pas permis de prédire le changement. Il est intéressant de noter que l’intention de changement chez les jeunes permet seulement de prédire le changement de métier. S’agissant du changement d’entreprise formatrice, il n’existe pas de lien significatif entre l’intention de changement et le changement concret d’entreprise formatrice.

Du fait de la dimension longitudinale de l’étude, l’accent est davantage mis sur l’apprenti·e. Les résultats montrent toutefois que les intentions de changer d’entreprise ne permettent pas de prédire les changements d’entreprise formatrice, ce qui montre l’importance des entreprises dans les décisions de changement d’entreprise formatrice. Les résultats nous permettent de conclure que les changements de métier sont plutôt de l’initiative des apprenti·e·s, tandis que les changements d’entreprise résultent plutôt de facteurs inhérents à l’entreprise formatrice. En général, des interactions entre des caractéristiques individuelles et des caractéristiques inhérentes à l’entreprise peuvent donner lieu à une résiliation de contrat d’apprentissage. Ces interactions ne font cependant pas partie du champ d’étude de ce projet.

Conclusions

Les résultats font ressortir plusieurs enseignements pour la pratique de la formation. D’abord, le fait que l’intention d’un changement permet de prédire seulement le changement de métier montre que les processus décisionnels des apprenti·e·s sont différents selon que le changement concerne le métier ou l’entreprise formatrice. La raison à cela peut être que le changement de métier, contrairement au changement d’entreprise formatrice, est davantage initié par les apprenti·e·s et moins par les entreprises. En revanche, les changements d’entreprise formatrice pourraient tout à fait être initiés par l’entreprise formatrice.

De plus, les résultats soulignent un autre élément important : lorsque les apprenti·e·s sont disposé·e·s à faire des efforts, cela contribue à éviter les résiliations anticipées de contrat d’apprentissage. La volonté de faire des efforts à la fin de la scolarité semble également réduire le risque de résiliation de contrat d’apprentissage après la transition vers la formation. Par conséquent, la motivation des jeunes est importante, à la fois lors du choix du métier et pendant la formation. Elle peut être stimulée si le corps enseignant donne un feed-back adapté et apporte son soutien. Le fait de souligner l’importance d’une formation professionnelle pour la suite de la carrière peut également être utile.

En conséquence, selon nos résultats, le choix d’un métier inapproprié joue un rôle plutôt secondaire dans la capacité à prédire les résiliations de contrat d’apprentissage. Les entreprises formatrices réduisent le risque de résiliation de contrat d’apprentissage si elles sélectionnent avec soin les apprenti·e·s.

Le fait que des performances professionnelles moindres entraînent plus tôt des changements a aussi des implications pour le choix du métier : les jeunes doivent si possible choisir un métier adapté à leurs aptitudes. De même, ils doivent être en mesure de répondre aux exigences liées au métier choisi. Contrairement aux attentes et aux résultats d’autres études, l’adéquation entre la personne et l’environnement ne s’est pas avérée être un facteur pertinent pour prédire les deux formes de résiliation de contrat d’apprentissage examinées. En conséquence, selon nos résultats, le choix d’un métier inapproprié joue un rôle plutôt secondaire dans la capacité à prédire les résiliations de contrat d’apprentissage. Les entreprises formatrices réduisent le risque de résiliation de contrat d’apprentissage si elles sélectionnent avec soin les apprenti·e·s. Étant donné que les performances au travail des apprenti·e·s sont liées à leur intégration à leur nouvelle situation de formation par l’entreprise, les stratégies de socialisation des entreprises ont (indirectement) une importance. Les entreprises formatrices peuvent jouer un rôle important dans la prévention des résiliations de contrat d’apprentissage.

Les résultats de cette étude révèlent la nécessité d’établir une distinction entre les résiliations à la suite d’un changement d’entreprise et les résiliations à la suite d’un changement de métier. Étant donné que l’intention de changer permet de prédire seulement le changement de métier et non le changement d’entreprise, ces deux formes de résiliation sont visiblement soumises à des mécanismes de décision et d’action différents. Par ailleurs, l’étude souligne que la résiliation du contrat d’apprentissage permet de corriger des décisions en matière de formation ; une grande majorité des apprenti·e·s poursuit son apprentissage dans une autre profession ou une autre entreprise formatrice. Même si, comme semblent l’indiquer nos résultats, les changements d’entreprise sont plus souvent initiés par les entreprises formatrices, ils ne doivent pas nécessairement entraîner des conséquences négatives. Ils peuvent offrir aux deux parties une nouvelle opportunité d’obtenir un contrat de formation couronné de succès.

Méthode

Les résultats présentés ici s’appuient sur des données de l’étude longitudinale « Effets de la sélection » (WiSel(https://www.wisel-studie.ch/)), dans laquelle les résiliations de contrat d’apprentissage ont été analysées de manière longitudinale. Pour cela, des jeunes des cantons d’Argovie, Bâle-Campagne, Berne et Lucerne ont été interrogés à la fin de la 9e année scolaire et au début de la première année après l’entrée dans une formation. De plus, des données de l’Office fédéral de la statistique relatives aux résiliations anticipées de contrat d’apprentissage ont été exploitées. Sur les 498 jeunes faisant partie du jeu de données, 36% ont résilié de manière anticipée leur contrat d’apprentissage ; 87% d’entre eux avec une solution à l’issue de cette résiliation (54% : changement de métier, 33% : changement d’entreprise formatrice). Étant donné que le groupe des personnes ayant interrompu leur apprentissage était trop réduit, ce groupe a été exclu des analyses. De plus, une distinction a été effectuée entre les résiliations de contrat d’apprentissage horizontales (changement entre des formations de même statut) et verticales (changement entre des formations de statut différent) (Krötz & Deutscher, 2022 ; Schmid & Stalder, 2012). Seules les résiliations de contrat d’apprentissage horizontales ont été prises en compte ici.

Au moyen de modèles d’équations structurelles, nous avons examiné dans quelle mesure une intention de changement permet de prédire le changement concret. Une intention de changement élevée signifie que les apprenti·e·s ont précisé vouloir terminer leur apprentissage, mais qu’ils·elles voulaient changer de métier ou d’entreprise formatrice. L’intention de changer de métier et l’intention de changer d’entreprise formatrice sont certes étroitement liées, mais elles présentent des différences (Krötz & Deutscher, 2022). Il est également intéressant de noter l’influence exercée par des facteurs inhérents à l’entreprise (adéquation perçue, stratégies de socialisation et performances au travail telles que perçues par les apprenti·e·s) et par des facteurs en amont du début de l’apprentissage (adéquation anticipée et volonté des jeunes à faire des efforts à l’école) sur l’intention de changement et sur le changement réel. Deux modèles d’équations structurelles analogues ont été analysés : les jeunes sans résiliation anticipée de contrat d’apprentissage (N = 320) comparés avec (1) les jeunes ayant changé de métier (N = 97) et (2) les jeunes ayant changé d’entreprise formatrice (N = 58).

Synthèse

Dans la formation professionnelle, les parcours de formation discontinus ne sont pas rares, comme le montrent les taux élevés de résiliation anticipée de contrat d’apprentissage. Bien que ces résiliations puissent être problématiques pour une partie des jeunes, elles sont aussi un moyen de corriger le choix du métier ou de l’entreprise formatrice. La comparaison de ces deux formes de résiliation de contrat d’apprentissage révèle des résultats globalement identiques : les changements de métier tout comme les changements d’entreprise formatrice sont moins fréquents si les performances au travail telles que perçues par les apprenti·e·s augmentent.  En outre, une plus forte volonté à faire des efforts de la part des jeunes adultes avant leur entrée en formation contribue à éviter des changements de métier et d’entreprise formatrice. Il existe toutefois une différence importante : alors que les changements de métier ont pour origine une intention de changement élevée manifestée par les jeunes, les changements d’entreprise sont plutôt de l’initiative des entreprises.

[1] Les résultats rapportés ici sont également disponibles dans Neuenschwander, Findeisen & Ramseier (en cours d’impression).

Bibliographie

Citation

Findeisen, S., Ramseier, L., & Neuenschwander, M. P. (2023). Comment se produisent les différentes formes de résiliation de contrat d’apprentissage ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 8(6).

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