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Labirint – un projet mené dans le cadre de l’étude longitudinale bernoise sur les mesures d’intégration scolaire (Belima) de la Haute école pédagogique de Berne

Les effets à long terme des mesures d’intégration scolaire sur les parcours de formation postobligatoires

De plus en plus, les enfants et adolescents présentant des besoins éducatifs particuliers sont scolarisés dans des classes normales. Il existe toute une série de mesures dédiées à leur intégration scolaire. Le présent article entend montrer, à partir de l’exemple offert par le canton de Berne, quels peuvent être les effets à long terme de ces mesures sur la transition vers le degré secondaire II. La mesure de compensation des désavantages, par exemple, ne produit aucun effet négatif involontaire. Un exemple opposé est celui des « objectifs d’apprentissage individuels revus à la baisse », qui ont tendance à orienter les élèves vers des parcours de formation moins exigeants. L’article montre par ailleurs que l’accès à la mesure de compensation des désavantages se fait sur la base d’une sélection sociale, profitant ainsi, en premier lieu, aux jeunes issus de familles privilégiées.


Situation de départ du projet Belima

Ces dernières décennies, un changement s’est opéré à l’échelle nationale comme internationale dans la scolarité des enfants et adolescents présentant des besoins éducatifs particuliers : plutôt que d’être séparés des autres élèves, ceux-ci sont désormais intégrés dans les classes normales. Des études ont révélé que les modèles reposant sur l’intégration de ces élèves avaient un impact positif sur l’inclusion sociale de ces derniers de même que sur leurs performances scolaires (Krämer et al., 2021 ; Dalgaard et al., 2022).

Comme d’autres pays, la Suisse a vu la part d’enfants et d’adolescents présentant des besoins éducatifs particuliers scolarisés dans des classes normales augmenter ces dernières années, et ce de 2% environ (Office fédéral de la statistique, 2024). Une augmentation qu’il faut imputer, avant tout, à la fermeture de classes spécialisées dans l’accueil des enfants et adolescents présentant des besoins éducatifs particuliers légers – les classes spécialisées dans l’accueil des élèves dont les troubles sont plus graves ayant quant à elles été maintenues (Office fédéral de la statistique, 2024). Cette intégration croissante a débouché sur un renforcement et une augmentation des différentes mesures dites d’intégration scolaire (connues en allemand sous le sigle ISM). Dans le canton de Berne, ces mesures sont, notamment (Sahli Lozano et al., 2021 ; Direction de l’instruction publique et de la culture du canton de Berne, 2024) :

  • le soutien pédagogique ambulatoire (SPA) ;
  • les objectifs d’apprentissage individuels revus à la baisse (OAIr) ;
  • la compensation des désavantages (CDD).

Mesures d’intégration scolaire (ISM) élémentaires du canton de Berne. Source : Direction de l’instruction publique et de la culture du canton de Berne, 2024.

Résultats provisoires de l’étude longitudinale Belima

En étant attribuées de la sorte, c’est-à-dire sur la base d’une sélection sociale, les mesures d’intégration scolaire sont donc susceptibles de renforcer les inégalités sociales.

Jusqu’à récemment encore, l’on savait peu de choses sur le profil des personnes bénéficiant dans la pratique des mesures dites d’intégration scolaire (ISM). L’on connaissait mal également la mise en œuvre concrète de ces mesures ainsi que leurs effets à long terme sur les parcours de formation des élèves. Depuis 2015, toutefois, ces questions sont examinées à la loupe dans le cadre de l’étude longitudinale Belima qui vise à analyser systématiquement les opportunités et risques des différentes mesures d’intégration scolaire. L’étude Belima se concentre sur le cas des OAIr et de la CDD. Le SPA, qui n’a pas été exploré plus avant, a été pris en compte comme variable de contrôle uniquement, la raison principale en étant qu’il constitue une mesure très hétérogène. Les enfants et adolescents bénéficiant du SPA présentent en effet des profils allant de faibles performances à haut potentiel. Des différences notables dans la mise en œuvre de la mesure existent par ailleurs entre les établissements scolaires, par exemple en ce qui concerne le nombre de leçons hebdomadaires dispensées ou encore l’aménagement sous forme de petits groupes ou en cours individuels (Sahli Lozano et al., 2023a).

Les premières analyses menées ont révélé que les mesures d’intégration scolaire étaient inégalement réparties selon l’origine sociale des élèves. Ainsi les élèves en provenance de familles à faible niveau socio-économique sont-ils plus nombreux à bénéficier des OAIr, tandis que ceux dont la famille a un niveau socio-économique élevé ont plutôt tendance à bénéficier de la CDD (Sahli Lozano et al., 2023b). En étant attribuées de la sorte, c’est-à-dire sur la base d’une sélection sociale, les mesures d’intégration scolaire sont donc susceptibles de renforcer les inégalités sociales.

D’autres résultats de l’étude ont par ailleurs révélé que les performances scolaires des élèves bénéficiant d’OAIr évoluaient plus négativement que celles des élèves similaires poursuivant leur scolarité sans OAIr. L’évolution des performances scolaires des élèves bénéficiant d’une CDD, en revanche, est apparue être même un peu plus positive que celle des élèves similaires poursuivant leur scolarité sans CDD (Sahli Lozano et al., 2023b). Le corps enseignant, pour sa part, tend à sous-estimer les capacités cognitives des élèves bénéficiant d’OAIr (Sahli Lozano et al., 2022).

Par rapport aux élèves similaires ne bénéficiant pas de cette mesure, les élèves à qui l’on accorde des OAIr présentent par ailleurs un concept de soi académique plus faible, c’est-à-dire qu’ils ont une image globalement moins positive de leurs compétences scolaires.

Par rapport aux élèves similaires ne bénéficiant pas de cette mesure, les élèves à qui l’on accorde des OAIr présentent par ailleurs un concept de soi académique plus faible, c’est-à-dire qu’ils ont une image globalement moins positive de leurs compétences scolaires. Aucune différence notable n’est toutefois apparue en la matière parmi les élèves poursuivant leur scolarité avec ou sans CDD. Concernant leurs aspirations professionnelles (buts poursuivis et attentes par rapport à leurs futurs parcours de formation et de carrière), ni les élèves bénéficiant d’OAIr, ni les élèves disposant d’une CDD ne se sont démarqués de manière significative des élèves similaires poursuivant leur scolarité sans ces mesures (Brandenberg et al., 2025).

Le projet Labirint

Le projet Labirint (acronyme en allemand pour « Parcours de formation sur le long terme des élèves bénéficiant de mesures d’intégration scolaire scolarisés dans des classes normales »), qui a reçu le soutien du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) ainsi que de la Haute école pédagogique de Berne, constitue le troisième volet de l’étude longitudinale Belima. Il vise à analyser les effets sur la transition du degré secondaire I vers le degré secondaire II des mesures d’intégration scolaire (ISM) déployées durant la période de scolarité obligatoire. Les données utilisées pour l’étude ont été récoltées au moyen d’une enquête en ligne menée auprès de l’ensemble des élèves (soit 2000 personnes), puis en réalisant des entretiens complémentaires (méthodes mixtes) avec de jeunes adultes ayant préalablement fait l’objet d’une sélection (soit 17 personnes).

Selon les théories de l’étiquetage et de la stigmatisation (Fox et Stinnett, 1996 ; Goffman, 2009 ; Link et Phelan, 2001), être étiqueté comme une personne nécessitant une pédagogie spécialisée peut contribuer à modifier l’image que l’on a de soi ainsi que l’image que l’on renvoie à autrui. Un état de fait qui peut avoir pour conséquence, premièrement, que les jeunes ainsi étiquetés sont davantage poussés, par les personnes extérieures, vers des formations dont le niveau d’exigence est plus faible. Deuxièmement, cet étiquetage peut conduire à ce que les élèves concernés aient moins confiance en eux et revoient par conséquent leurs objectifs de formation et de carrière à la baisse. Côté employeurs, une mention dans le dossier scolaire pourrait en outre être perçue, conformément à la théorie des signaux (Przepiorka, 2025 ; Spence, 1973), comme un signal négatif par rapport aux compétences de l’individu, réduisant dès lors ses chances de trouver une place en apprentissage et influant négativement la suite de son parcours de formation.

Les études empiriques menées jusqu’à présent ont révélé que les opportunités disponibles dans le système de formation postobligatoire et sur le marché de l’emploi étaient moins bonnes pour les jeunes ayant par exemple fréquenté une classe spécialisée.

Les études empiriques menées jusqu’à présent ont révélé que les opportunités disponibles dans le système de formation postobligatoire et sur le marché de l’emploi étaient moins bonnes pour les jeunes ayant par exemple fréquenté une classe spécialisée (voir notamment Blanck, 2019 ; Sahli Lozano, 2012). En nous fondant sur ces présupposés théoriques et sur les résultats empiriques obtenus jusqu’à aujourd’hui, nous nous attendions à ce que les OAIr, en particulier, produisent des effets négatifs dans la mesure où les compétences des élèves bénéficiant de cette mesure sont systématiquement sous-estimées, où le concept de soi académique (scolaire) des jeunes concernés est plus faible et où l’évolution de leurs performances scolaires est davantage négative. Étant donné qu’ils sont inscrits au dossier scolaire des élèves, les OAIr agissent par ailleurs comme un signal visible auprès des employeurs. Pour la CDD, nous avons supposé que les effets stigmatisants étaient moindres puisqu’il n’en est pas fait mention dans le dossier scolaire et puisqu’aucun effet négatif équivalent n’a été observé.

Principaux résultats de l’étude Labirint

Afin de pouvoir comparer les parcours de formation des élèves bénéficiant ou non de mesures d’intégration scolaire, des groupes similaires d’élèves bénéficiant ou non des mesures OAIr et CDD ont été formés grâce à un système d’appariement par score de propension. Ont été contrôlées à cet effet des caractéristiques telles que le sexe, l’origine sociale, le QI, les performances scolaires et le type d’établissement scolaire.

Les analyses réalisées ont révélé que les élèves bénéficiant d’OAIr avaient tendance à suivre des formations dont le niveau d’exigence est plus faible que dans les formations suivies par les élèves similaires ne bénéficiant pas d’OAIr, le format le plus fréquent étant en l’occurrence les formations initiales étalées sur deux ans. Les élèves bénéficiant d’une CDD, en revanche, ne présentent aucune différence concernant le niveau d’exigence de leurs formations par rapport aux élèves similaires poursuivant leur scolarité sans CDD (Lustenberger et al., 2025). La citation ci-après illustre bien la manière dont une personne bénéficiant d’OAIr vit son passage dans le degré secondaire II :

« Et euh, après ça, en huitième classe, comme la première fois, comme […], le nom AFP a été mentionné. J’ai toujours su qu’il y avait le CFC, mais je ne savais pas ce qu’était l’AFP. Ils ont alors dit que c’était pour les personnes qui n’étaient pas très douées. Après ça, je me suis dit : bon, très bien, dans ce cas c’est certain que je ne veux pas faire ça (rit), ouais. […] Mais finalement, comme il s’est passé beaucoup de choses ensuite, dans le niveau supérieur, je me suis dit peut-être que ce dont j’ai besoin, c’est tout simplement un démarrage plus en douceur, justement, et après ça, je me suis dit peut-être que je pourrais faire une AFP. […] j’ai ensuite cherché une place en apprentissage. Là-bas, j’ai obtenu une moyenne de 4,5 à peu près. Et beaucoup de gens ont alors dit : “Ouais, pour une personne ASSC [assistant·e en soins et santé communautaire], ça n’est pas une note suffisante.” »

Si, pour l’essentiel, les OAIr voient se manifester des différences en ce qui concerne le niveau d’exigence des formations, la CDD laisse quant à elle apparaître des difficultés structurelles au moment de la transition vers le degré secondaire II. Une fois la scolarité obligatoire achevée, en effet, de nouvelles règles s’appliquent pour bénéficier de mesures de soutien : les OAIr ne sont plus proposés pour le degré secondaire II, et la CDD doit faire l’objet d’une nouvelle demande au moment d’intégrer le degré secondaire II. Environ 20% des élèves ayant bénéficié d’une CDD dans le degré secondaire I continuent à en bénéficier dans le degré secondaire II. Or, comme le montrent les entretiens réalisés pour les besoins de l’étude, la transition dans le degré secondaire II peut constituer un nouvel obstacle pour les personnes disposant d’une CDD : entre le fait qu’un diagnostic récent est requis pour soumettre sa demande et le fait que la responsabilité de cette demande incombe désormais aux jeunes eux-mêmes, la charge administrative qui en résulte est lourde, ce qui peut venir compliquer l’entrée dans la formation (CSFO, 2015). L’extrait d’entretien suivant montre comment les jeunes concernés vivent cette situation :

« Quand l’étape finale s’est ensuite rapprochée, j’ai fait savoir que j’aimerais bien en bénéficier. Et puis est arrivé ce truc comme quoi j’avais besoin d’un nouveau certificat pour prouver ma légasthénie. Et moi, j’avais déjà atteint la majorité. Ensuite, je n’ai pour ainsi dire pas pu me rendre au bureau d’orientation. Ils ont quand même décidé de me prendre, et ça a été comme un va-et-vient, et la situation était bête aussi je trouve. Ouais, c’était compliqué. »

Aucune différence notable n’apparaît concernant le moment où les élèves intègrent le degré secondaire II : ni les élèves bénéficiant d’OAIr, ni les élèves bénéficiant d’une CDD ne sont plus enclins que les élèves similaires poursuivant leur scolarité sans ces mesures à réaliser plus tardivement leur transition. Aucune corrélation n’apparaît non plus pour ce qui concerne les résiliations des contrats d’apprentissage : ni les OAIr ni la CDD ne sont associés à une plus grande probabilité de résilier son contrat d’apprentissage (Lustenberger et al., 2025).

Récapitulatif et implications pour la pratique

Avec la compensation des désavantages, en revanche, aucun effet négatif sur les parcours de formation n’a été constaté, ce qui semble indiquer que cette mesure est plutôt encline à réduire les inégalités existant en matière de formation.

Les résultats du projet Labirint esquissent un tableau différencié des effets à long terme des mesures d’intégration scolaire (ISM) sur la transition des élèves vers le degré secondaire II. S’ils ne sont pas plus nombreux que les élèves similaires ne bénéficiant pas d’OAIr à intégrer plus tardivement le degré secondaire II, les élèves bénéficiant d’OAIr se lancent tout de même plus souvent dans des formations dont le niveau d’exigence est moindre. Une différence qui révèle qu’en dépit de leur objectif consistant à promouvoir l’égalité des chances, les OAIr sont susceptibles d’entraîner des effets involontaires sur le long terme, notamment en poussant les jeunes concernés vers des parcours de formation moins exigeants. Avec la CDD, en revanche, aucun effet négatif sur les parcours de formation n’a été constaté, ce qui semble indiquer que cette mesure est plutôt encline à réduire les inégalités existant en matière de formation. Des analyses montrent toutefois, dans le même temps, que l’accès à la CDD se fait sur la base d’une sélection sociale, profitant en premier lieu aux élèves provenant de familles privilégiées. Il est à noter, par ailleurs, que la CDD n’est pas automatiquement reconduite lorsque les élèves intègrent le degré secondaire II. Elle doit en effet être redemandée, ce qui peut constituer un obstacle de plus pour les personnes concernées.

Les résultats obtenus mettent en lumière l’importance qu’il y a à procéder à une mise en œuvre différenciée et raisonnée des mesures d’intégration scolaire, et ce en passant par une sensibilisation aux possibles effets à long terme des différentes pratiques d’attribution et de déploiement et en évitant de créer involontairement de nouvelles inégalités.

Un nouveau projet poursuivant les travaux de Labirint a été lancé récemment. Intitulé Labirint II, il accompagnera les élèves jusqu’à leur entrée dans la vie active. Avec cette période d’observation supplémentaire, ce projet entend démontrer dans le détail les effets des mesures d’intégration scolaire sur l’entrée dans la vie active. Ce nouveau projet viendra ainsi braquer les projecteurs sur des questions dépassant le simple cadre du degré secondaire II et revêtant une grande importance pour l’intégration professionnelle et sociale des jeunes. Des recommandations d’action pour la pratique de la formation professionnelle ayant pour but de soutenir les élèves présentant des besoins éducatifs particuliers seront par ailleurs évaluées puis complétées en étroite coopération avec les acteurs du secteur et les personnes concernées. Le projet « Rilzcheck – Attribution et effets des objectifs d’apprentissage individuels revus à la baisse », qui est actuellement à l’œuvre dans quatre cantons, cherchera en outre à déterminer les schémas d’attribution des OAIr ainsi que l’impact de ces derniers sur les parcours de formation des élèves.

Liens pour approfondir

Bibliographie

Citation

Lozano, C. S., Lustenberger, S., Brandenberg, K., & Melas, X. (2025). Les effets à long terme des mesures d’intégration scolaire sur les parcours de formation postobligatoires. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 10 (1).

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