Cadre national des certifications pour les diplômes de la formation professionnelle
CNC en Suisse : peut-être plus efficace qu’on ne le pense ?
Le cadre national des certifications (CNC) pour les diplômes de la formation professionnelle existe depuis bientôt dix ans en Suisse. Jusqu’à présent, très peu d’études ont été réalisées pour mesurer son efficacité, par exemple son importance sur le marché du travail. Des travaux individuels ou des évaluations effectuées par des organisations du monde du travail permettent cependant de conclure que son efficacité est pratiquement nulle. Cet article montre que le cadre des certifications est toutefois plus efficace qu’on ne pourrait le croire à première vue. En effet, il pourrait avoir contribué à la réalisation de certains objectifs que la Confédération et les autres partenaires de la formation professionnelle souhaitaient atteindre à l’aide du CNC.
Pourquoi les cadres des certifications sont de plus en plus répandus dans le monde entier
Une étude des ouvrages spécialisés suggère que les attentes élevées placées dans les cadres des certifications ne sont presque jamais atteintes.
Ces trois dernières décennies, les cadres des certifications ont connu un développement fulgurant dans le monde entier. Comme l’avait noté McGrath (2012) il y a déjà quelques années, ils font partie « d’un ensemble d’instruments pour la politique en matière de formation professionnelle » (VET policy toolbox), qui a entraîné, dans de nombreux pays, une forte harmonisation des stratégies dans le domaine de la formation professionnelle.[1] L’Union européenne (European Commission, 2008) s’est beaucoup engagée en faveur de l’établissement des cadres nationaux des certifications, depuis les décisions prises à Lisbonne et Copenhague au tout début des années 2000. Dans les pays du Sud, cette approche a été fortement encouragée par les banques de développement (p. ex. la Banque asiatique de développement BAsD) ou par l’organisation internationale du travail (BAsD, 2009 ; OIT, 2019).
De tels cadres poursuivent l’objectif formel d’améliorer la comparabilité des diplômes – dans un premier temps au sein des systèmes de formation et/ou de formation professionnelle le cas échéant –, car dans de nombreux pays, le paysage des diplômes de la formation professionnelle est peu structuré et ces diplômes peuvent difficilement être comparés avec d’autres diplômes. L’introduction de niveaux de qualification, auxquels de tels diplômes peuvent être attribués, permet de remédier à cette problématique, ce qui devrait notamment conduire à une plus grande perméabilité entre les systèmes de formation ou à une reconnaissance plus facile des compétences acquises de manière non formelle et informelle. Les cadres des certifications doivent aussi faciliter la comparabilité des diplômes entre des systèmes de formation, par exemple par rapport à certaines branches. Cela doit favoriser la mobilité entre des systèmes de formation et marchés du travail nationaux. L’introduction des cadres des certifications s’accompagne donc d’attentes élevées ; beaucoup voient en celle-ci un remède miracle (« panacea solution »)(Bjørnåvold & Coles, 2007; Brockmann, Clarke, & Winch, 2010).
Deux facteurs rendent plus compliquée une analyse systématique de l’efficacité des cadres des certifications : le fait que les objectifs poursuivis avec ces derniers varient selon le pays ou la région, et le fait que les objectifs mentionnés par les pays sont souvent multiples et peu précis et que les liens de causalité sont souvent complexes. Dans ce contexte, il n’est pas simple d’effectuer des études comparatives. Une étude des ouvrages spécialisés suggère que les attentes élevées placées dans les cadres des certifications ne sont presque jamais atteintes. Par exemple, les cadres des certifications ont particulièrement peu contribué à la mobilité entre les marchés du travail (Allais, 2014; Maurer, 2014 ; Pilcher, Fernie, & Smith, 2017).
Objectifs du cadre des certifications en Suisse
En Suisse, le développement du cadre des certifications s’inscrit dans le contexte de sa stratégie européenne. L’un des aspects de cette stratégie est la reprise des instruments européens dans le système éducatif, parmi lesquels le cadre européen des certifications (CEC) pour la formation tout au long de la vie (European Commission, 2008). Le CEC se compose de huit niveaux. L’apprentissage tout au long de la vie comprend des types de formation très différents, par exemple la formation professionnelle et la formation universitaire. Les échelons 6 à 8 sont attribués aux diplômes de la formation universitaire, mais des diplômes de la formation professionnelle peuvent aussi être classés dans ces échelons s’ils remplissent les critères correspondants. Comme indiqué, une meilleure comparabilité des diplômes en Europe, c’est-à-dire l’amélioration de la transparence des systèmes de formation, est un objectif clé de ce cadre, notamment en vue de renforcer la mobilité internationale des travailleurs et travailleuses à l’intérieur de l’Europe.
La stratégie mise en œuvre en Suisse est particulière en ce sens que, contrairement à l’Allemagne (AK DQR, 2016), deux cadres des certifications ont été élaborés : l’un pour les hautes écoles pour les échelons 6 à 8 (bachelor/master/PHD) (swissuniversities, 2021), et l’autre pour les diplômes de la formation professionnelle (CNC-CH-FP) (Conseil fédéral suisse, 2014). Cette méthode consistant à créer deux cadres des certifications distincts a donné une marge de manœuvre nettement plus grande aux acteurs et actrices de la formation professionnelle.
Dès le début, le CNC formation professionnelle a principalement été perçu comme un instrument permettant d’améliorer le positionnement de la formation professionnelle en Suisse.
Dès le début, le CNC formation professionnelle a principalement été perçu comme un instrument permettant d’améliorer le positionnement de la formation professionnelle en Suisse, une approche qui a très tôt été critiquée, par exemple par Jäger (2013). L’ordonnance concernant le CNC l’indique très clairement : le cadre des certifications doit « valoriser la formation professionnelle suisse », « promouvoir la reconnaissance et la considération dans la société de la formation professionnelle par rapport à la voie académique » et « renforcer la reconnaissance internationale de la formation professionnelle supérieure […] » (Conseil fédéral suisse, 2014, p. 5). Certes, le cadre des certifications doit également favoriser la mobilité internationale du personnel ; l’objectif était cependant d’augmenter « les chances du personnel qualifié et des cadres formés en Suisse qui postulent à l’étranger et dans des entreprises étrangères domiciliées en Suisse ». Promouvoir la mobilité des cadres étrangers titulaires de diplômes de la formation professionnelle n’était donc pas un objectif primordial du CNC formation professionnelle. Cela semble parfaitement compréhensible dans le contexte plus large des débats autour de l’initiative contre l’immigration de masse soumise au vote en 2014. Sans aucun doute, l’objectif défini dans l’ordonnance, qui ciblait uniquement la mobilité des personnes qualifiées originaires de Suisse, ne correspondait pas exactement aux objectifs généraux du cadre européen des certifications.
Comme le CEC, le CNC formation professionnelle comprend huit échelons dont les diplômes de la formation professionnelle sont classés selon un catalogue de critères. À la différence de l’Allemagne, par exemple, la classification des diplômes s’est appuyée sur une proposition des associations professionnelles responsables, qui devaient justifier leur proposition par rapport au catalogue de critères. Du fait de la classification des diplômes de la formation professionnelle dans le CNC-CH-FP, ils sont également référencés dans le CEC depuis 2015 (SEFRI, 2015). Le tableau présente quelques exemples de ces classifications qui ont été effectuées après l’introduction du cadre des certifications en 2014, sous une « forme valorisante ».
Les classifications des diplômes de la formation professionnelle supérieure évoqués ci-dessus sont particulièrement intéressantes. Les diplômes des écoles supérieures, par exemple le diplôme d’infirmier ou d’infirmière, ont été affectés à l’échelon 6, qui équivaut au bachelor selon le CEC. Certains diplômes fédéraux, par exemple le diplôme de maître menuisier/ébéniste, ont été affectés à l’échelon 7 ; cela équivaut au diplôme de master. Très peu de diplômes ont été attribués à l’échelon 8, qui équivaut au doctorat. En fait notamment partie le diplôme fédéral d’expert ou d’experte en finance et en controlling.
L’effet sous-estimé du CNC-CH-FP
L’efficacité du CNC formation professionnelle a été très peu étudiée jusqu’à présent. Dans l’un des rares articles scientifiques sur ce thème – un article qui reposait toutefois sur des estimations mondiales –, Martins (2022) est arrivée à la conclusion que le « CNC a échoué », notamment parce qu’il ne contribue pas à la réalisation des objectifs du cadre européen des certifications (CEC). Les partenaires de la formation professionnelle sont également d’avis que le CNC est peu efficace. On peut donc effectivement constater, avec une certaine certitude, que l’efficacité du CNC par rapport aux objectifs généraux du cadre européen des certifications (CEC) est faible, comme l’indique Martins dans son argumentation : les échelons du cadre des certifications sont très peu connus sur le marché du travail et ne sont pas pris en compte dans les conventions collectives de travail – ce que ni les syndicats, ni les associations d’employeurs ne considèrent comme une bonne idée de toute façon. Il est certain que le CNC ne contribue pas de manière déterminante à la mobilité internationale des travailleurs et travailleuses.
Depuis 2014, l’OFS classe les examens professionnels (et/ou les brevets fédéraux) et les diplômes des écoles supérieures comme des diplômes tertiaires à l’échelon 6, sur la base de l’International Standard Classification of Education (ISCED – classification internationale type de l’éducation).
En revanche – et c’est un point déterminant – le CNC formation professionnelle est utilisé comme « argumentaire » pour la formation professionnelle supérieure soumise à une « pression pour améliorer son profil » (cf. Criblez & Kraus, 2022 ; Schmid & Gonon, 2013). Des choses ont été accomplies ces dernières années dans ce domaine : en 2008, du point de vue des statistiques internationales sur l’éducation, il n’était pas clair, pour l’Office fédéral de la statistique (BFS), s’il fallait effectivement rattacher la formation professionnelle supérieure au degré tertiaire (Gonon & Weil, 2008) – bien que la révision de 2002 de la Loi sur la formation professionnelle ait stipulé cette classification (Assemblée fédérale, 2002, art. 26). Aujourd’hui, la situation est différente. Depuis 2014, l’OFS classe les examens professionnels (et/ou les brevets fédéraux) et les diplômes des écoles supérieures comme des diplômes tertiaires à l’échelon 6, sur la base de l’International Standard Classification of Education (ISCED – classification internationale type de l’éducation), qui compte 8 échelons comme le CEC. L’OFS classe les examens professionnels supérieurs (et/ou les diplômes fédéraux) à l’échelon 7 (OFS, 2019). Ces classifications peuvent sembler peu pertinentes en dehors du domaine des statistiques sur l’éducation et des partenaires nationaux de la formation professionnelle et sont en outre largement inconnues sur le marché du travail. Le fait qu’en référence à des systèmes de classification internationaux (CEC et ISCED), des diplômes de la formation professionnelle supérieure soient considérés comme comparables à des diplômes des hautes écoles et qu’ils soient considérés comme moins exigeants par certains acteurs du marché du travail et surtout par l’opinion publique, semble encourager l’adoption d’une réforme de la LFPr qui aurait des conséquences plus importantes : l’introduction – qui reste à discuter par le Parlement mais qui est en principe soutenue par le SEFRI – de titres « attractifs, complémentaires » de la formation professionnelle supérieure, à savoir les titres de « Professional Bachelor » pour les brevets fédéraux et les diplômes d’écoles supérieures et de « Professional Master » pour les diplômes fédéraux (SEFRI, 2023, p. 3).
Il serait certainement présomptueux d’affirmer que l’introduction de ces titres complémentaires est une conséquence directe du CNC formation professionnelle. Mais il ne fait aucun doute qu’il y a contribué d’une certaine manière, paradoxalement du fait de son manque de visibilité sur le marché du travail. Reste à savoir – dans le cas où une réforme de la Loi sur la formation professionnelle verrait effectivement le jour – si l’introduction de ces nouveaux titres renforcera effectivement la formation professionnelle supérieure et endiguera le phénomène d’académisation, qui est la hantise du système d’éducation, ou si, au contraire, elle mettra en péril une particularité essentielle de la formation professionnelle supérieure, à savoir son orientation sur la pratique relativement élevée, ou si la crédibilité de certains diplômes de la formation professionnelle en pâtira.
[1] Ce texte s’appuie sur des parties d’une conférence sur le thème : « Limites de la standardisation internationale dans le secteur de la formation : à propos de l’efficacité insuffisante des cadres des certifications dans le secteur de la formation professionnelle », qui a eu lieu le 22 mars à l’Université de Zurich.Bibliographie
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Citation
Maurer, M. (2024). CNC en Suisse : peut-être plus efficace qu’on ne le pense ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 9(8).