Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles et leur identité professionnelle

Comment les enseignants de connaissances professionnelles jonglent avec les exigences de leur métier

Qui enseigne les connaissances professionnelles a souvent derrière lui ou elle un parcours professionnel intéressant. Ces personnes sont tout à la fois des professionnels et des pédagogues. Et elles sont soumises à des conditions cadre hétérogènes, typiques dans la formation professionnelle. La présente étude examine comment les enseignantes et enseignants gèrent cette situation. À l’exemple de personnes enseignant des connaissances professionnelles dans le cadre de l’apprentissage en automatisme, installation électrique et informatique, on voit se dessiner trois profils types : les médiateurs, les instructeurs et les épanouisseurs. L’étude formule une série de recommandations, dont le fait qu’il faille assurer une adéquation entre les objectifs d’apprentissage des plans de formation orientés compétences et des méthodes d’examen orientées compétences.


Dans le système suisse de formation professionnelle, la majorité des jeunes accomplissent leur formation dans le cadre d’un système dual avec trois différents lieux de formation (l’entreprise formatrice, les cours interentreprises et l’école professionnelle). À l’école professionnelle – le troisième lieu de formation – les jeunes suivent un enseignement professionnel et de culture générale ainsi que des cours d’éducation physique. Les enseignantes et enseignants de l’école professionnelle préparent les jeunes à l’exercice de leur métier par l’enseignement de bases théoriques et la promotion de compétences professionnelles et transversales (SEFRI, 2022). Dans ce contexte, l’enseignante ou l’enseignant de connaissances professionnelles assume un rôle spécifique et essentiel. Selon le SEFRI (2015) et le plan d’études cadre, ils doivent enseigner de manière à faire le lien entre la théorie et la pratique.

Le profil de l’enseignante ou enseignant de connaissances professionnelles est donc caractérisé par un ensemble de compétences :

  • éléments du métier auquel les jeunes sont formés,
  • sciences spécialisées ou de référence du métier, et
  • pédagogie et didactique (Arpagaus, 2020).

Les personnes enseignant les connaissances professionnelles sont confrontées à des conditions cadre externes politiques, économiques et sociales qui diffèrent de celles d’autres niveaux scolaires.

Par ailleurs, les personnes enseignant les connaissances professionnelles sont confrontées à des conditions cadre externes politiques, économiques et sociales qui diffèrent de celles d’autres niveaux scolaires. Elles sont soumises à la législation nationale et mettent en œuvre des ordonnances sur la formation et des plans de formation valables pour les trois lieux de formation et pour toute la Suisse. De même, elles dépendent dans leur activité du monde du travail. D’une part, les entreprises formatrices définissent par le biais de leur organisation du monde du travail (OrTra) les compétences à acquérir par les jeunes, et donc les contenus de l’enseignement des connaissances professionnelles. D’autre part, elles sont les partenaires contractuels des apprenties et apprentis. En tant qu’entrée dans la vie professionnelle des jeunes, la formation professionnelle revêt un intérêt public, de sorte qu’il y a également régulièrement des débats sociopolitiques sur les conditions cadre à modifier. Malgré la complexité des conditions cadre externes, les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles accompagnent annuellement avec succès des milliers de jeunes jusqu’à l’accomplissement de leur apprentissage et à travers la procédure de qualification (CSRE, 2018). Jusqu’à présent, la manière dont la pratique d’enseignement se présente pour les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles face aux exigences multiples est toutefois restée largement inexplorée.

Les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles ont une perception spécifique de leur métier

L’étude qualitative « Les enseignants de connaissances professionnelles et leur identité professionnelle » (en allemand) analyse quelle vision de leur métier les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles en automatisme, en installation électrique et en informatique ont développée sur la base de leur parcours de carrière et de formation, et quel impact cela a sur l’agencement de leur enseignement. L’objet de la recherche s’appuie sur la thèse suivante : les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles ont développé au fil de leur parcours scolaire et professionnel une autoperception professionnelle individuelle et continuent à la développer, et celle-ci a une influence sur leur pensée et leur action professionnelle dans l’enseignement. Afin de répondre aux questions à étudier, on a tout d’abord élaboré la base théorique dans le domaine des approches théoriques de la profession. À partir de là, on a examiné avec les méthodes de la Grounded Theory (cf. Strauss & Corbin, 1996) les éléments constitutifs de l’identité professionnelle des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles et la manière dont cette identité professionnelle influence la perception, l’interprétation et la maîtrise de leur mandat professionnel. L’intérêt a notamment porté sur les différences au niveau de la perception des conditions cadre et des exigences, issues des identités professionnelles reconstruites, ainsi qu’au niveau des stratégies d’action disponibles pour les maîtriser et des formes d’enseignement qui en résultent.

Dans la littérature spécialisée germanophone, on fait en règle générale référence, pour les théories de la profession, à l’approche relevant de la théorie des compétences, à l’approche relevant de la théorie structurelle et à l’approche orientée vers la biographie professionnelle. Ces trois approches permettent de situer l’étude sur le plan théorique.

  1. L’approche relevant de la théorie des compétences renseigne sur les compétences qui distinguent le professionnalisme pédagogique d’une personne enseignante, sachant que d’après Baumert et Kunter (2006), des compétences supradisciplinaires sont également essentielles à côté des connaissances de la profession.
  2. L’approche relevant de la théorie structurelle souligne que l’action professionnelle de toute personne enseignante s’accompagne d’exigences contradictoires ; la capacité de surmonter ces contradictions ou de les contourner représente donc une tâche centrale de la professionnalisation, qui doit pouvoir s’appuyer sur les expériences d’action accumulées ainsi que sur une autoperception réfléchie (Helsper, 2016).
  3. L’approche orientée vers la biographie professionnelle fait ressortir dans quelle mesure le professionnalisme pédagogique continue à se développer tout au long d’un parcours professionnel.

L’identité professionnelle est souvent considérée comme un indicateur du professionnalisme pédagogique, parce qu’elle aide les personnes enseignantes à agir de manière compétente.

L’identité professionnelle est souvent considérée comme un indicateur du professionnalisme pédagogique, parce qu’elle aide les personnes enseignantes à agir de manière compétente. Drewes (1993, p. 71s) définit en conséquence l’identité professionnelle comme « une construction subjective de savoir, d’attitudes, de sentiments, etc. à propos de soi-même, qui est organisée dans une structure cognitive cohérente et est pertinente pour l’orientation, la planification et l’exécution des actions de l’individu ». Pour reprendre l’idée de Drewes, l’idée que se fait une personne enseignante de son métier contribue donc à sa perception subjective, à son interprétation et à la maîtrise des exigences du quotidien professionnel par la planification et l’action. En comparaison avec d’autres niveaux scolaires, la constitution de l’autoperception professionnelle des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles s’avère particulièrement complexe. Avant de passer au métier d’enseignant, ces personnes ont généralement eu un parcours de carrière dans le métier d’apprentissage donné et connaissent une socialisation multidimensionnelle.

Conception de l’étude

À partir de la base empirique, composée de données issues d’interviews et d’observations, on a pu reconstruire six éléments constitutifs – qui s’influencent mutuellement – de l’identité professionnelle des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles.

  1. objectifs (1)
  2. modèle directeur personnel (2)
  3. conception didactique de l’enseignement (3)
  4. attitude envers les groupes d’exigences (4)
  5. attitude envers le développement du professionnalisme personnel (5) et
  6. accents et expériences du parcours professionnel et de formation (6).

Ces six éléments constituent la vision intérieure à partir de laquelle les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles étudiés exercent leur activité professionnelle. Comme fondement de leur agencement personnel de l’enseignement, les personnes enseignantes étudiées ont fait référence, à des degrés divers, aux conditions cadre externes ci-après :

  1. plan de formation (1)
  2. procédure de qualification (2)
  3. prescription internes de l’école (3)
  4. conditions systémiques (4)
  5. pratique professionnelle (5)

On constate que sur la base de leur identité professionnelle, les personnes participant à l’étude non seulement perçoivent différemment, mais aussi interprètent et gèrent de multiples façons les exigences qui en découlent.

Figure 1 : Conditions cadre externes (cercle extérieur) et éléments constitutifs de l’autoperception professionnelle (cercle intérieur) des personnes participant à l’étude.

Médiateurs, instructeurs et épanouisseurs

Grâce à une méthode de comparaison et de contraste de cas, les identités professionnelles des personnes enseignantes étudiées ont pu être associées à trois types : les instructrices et instructeurs, les épanouisseuses et épanouisseurs, et les médiatrices et médiateurs. Il est clairement apparu que toute la diversité des types d’enseignants a sa raison d’être, et qu’aucune forme d’enseignement en soi ne saurait être considérée comme la meilleure.

  • Ainsi, les instructrices et instructeurs s’efforcent de former des jeunes qui accompliront leur apprentissage avec succès, en leur transmettant dans le respect des prescriptions et des contenus tout ce qui est nécessaire pour réussir la procédure de qualification.
  • Les épanouisseuses et épanouisseurs s’orientent systématiquement en fonction des ressources des jeunes, et favorisent leur autodétermination et leur responsabilité personnelle pour les préparer à l’apprentissage tout au long de la vie.
  • Les médiatrices et médiateurs ont particulièrement à cœur d’assurer le lien entre la théorie et la pratique. Ils veulent former une relève professionnelle convaincue et motivée qui comprend bien son métier.

Au sein d’un même type, les éléments constitutifs de l’identité professionnelle sont très similaires.

  • Ainsi, le modèle directeur personnel de toutes les identités professionnelles associées au type des médiatrices et médiateurs présente une forte orientation pratique. Les médiatrices et médiateurs se réfèrent donc avant tout à la pratique professionnelle lorsqu’ils s’expriment à propos des exigences perçues.
  • Les instructrices et instructeurs, avec leur modèle directeur plus technique, perçoivent plutôt comme exigences envers eux les éléments théoriques des plans de formation, les prérequis pour la procédure de qualification et les prescriptions internes de l’école.
  • Les épanouisseuses et épanouisseurs présentent un modèle directeur pédagogique. Ils placent des conditions systémiques, qui sont entre autres alimentées par les possibilités individuelles des jeunes en formation, avant les contenus théoriques des plans de formation.

On constate que l’adéquation entre les conditions cadre en place et les éléments de l’identité professionnelle a un grand impact sur l’agencement de l’enseignement. Lorsqu’elle est donnée, non seulement les conditions cadre en question sont plutôt perçues comme telles, mais elles sont aussi mises en œuvre dans l’enseignement. Ainsi, pour les épanouisseuses et épanouisseurs avec leur modèle directeur pédagogique, il est aisé d’encadrer individuellement leurs élèves en fonction des conditions systémiques. Pour les instructrices et instructeurs avec leur modèle directeur technique et leur conception transmissive de l’enseignement, une situation de tension s’établit toutefois dans le cas de plans de formation orientés compétences. Ils préfèrent donc les éléments théoriques des plans de formation aux objectifs de formation orientés compétences, et continuent ainsi à dispenser un enseignement d’orientation technique.

Jongler avec les antinomies et les situations de tension

Les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles sont donc souvent confrontés dans leur quotidien professionnel à des antinomies et des situations de tension. On a affaire à des antinomies lorsque les conditions cadre externes sont en contradiction les unes avec les autres. On mentionne par exemple souvent le paradoxe entre les plans de formation orientés compétences et les procédures de qualification d’orientation technique. Les personnes enseignantes doivent trouver leurs propres façons de gérer ces antinomies. Des situations de tension, quant à elles, apparaissent lorsqu’il y a un champ de polarité entre les exigences perçues et la conception de l’identité professionnelle. Ainsi, du fait de leur conception constructiviste de l’enseignement, les épanouisseuses et épanouisseurs ressentent par exemple une situation personnelle de tension lorsqu’ils doivent s’aligner dans leur enseignement, conformément aux directives internes de l’école, sur un script à caractère technique et linéaire. Pour la gestion de telles antinomies et situations de tension, les personnes enseignantes misent sur des stratégies d’action alimentées par leur expérience et leur autoréflexion.

Liens des résultats avec le discours de la recherche

On peut faire le lien entre les approches théoriques de la profession, ou des facteurs qui en découlent, et les résultats de l’étude. Ainsi, si l’on considère l’approche relevant de la théorie structurelle, il se confirme que les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles sont également confrontés à des antinomies et à des situations de tension. Comme l’a constaté Helsper (2016), l’autoréflexion professionnelle semble aider les personnes enseignantes à développer des stratégies d’action appropriées. Ceci à son tour réaffirme la pertinence, mentionnée par Terhart (2011), des expériences d’action visées dans l’approche orientée vers la biographie professionnelle, qui débouchent dans le meilleur des cas sur des solutions professionnelles par le biais de l’autoréflexion. Par ailleurs, les éléments constitutifs de l’identité professionnelle peuvent non seulement être reliés aux éléments de l’approche relevant de la théorie des compétences, mais encore être concrétisés et étendus (cf. Baumert & Kunter, 2006). Cette approche peut ainsi être complétée de l’aspect de l’estime de soi. Les résultats montrent que l’estime de soi influence fortement les points sur lesquels les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles se concentrent et les domaines dans lesquels ils sont prêts à se développer personnellement.

Bilan et postulats pour le développement de la qualité

Dans la formation professionnelle en Suisse, il y a, à côté de certaines antinomies inévitables, aussi des antinomies qui peuvent être évitées et qu’il importe de réduire.

À titre de bilan, on peut formuler des postulats pour le développement de la qualité de l’enseignement des connaissances professionnelles et de la formation professionnelle dans son ensemble. Ils concernent notamment les antinomies structurelles et les situations de tension personnelles auxquelles les personnes enseignantes étudiées se voient confrontées. Sachant que de nombreux champs de tension ne peuvent pas être résorbés, les postulats visent en particulier à renforcer les enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles en vue de leur permettre une gestion plus productive des situations de tension et des antinomies et de minimiser les facteurs qui provoquent des tensions.

Postulat 1 : l’identité professionnelle des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles doit être reconnue comme une tâche centrale de développement
L’identité professionnelle est un facteur d’influence important pour l’agencement de l’enseignement. Elle représente donc une tâche de développement centrale dès la formation des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles.

Postulat 2 : les formations initiales et continues des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles doivent s’aligner résolument d’une part sur les exigences normatives, et d’autre part sur l’individu
Afin de permettre aux enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles une gestion productive des exigences qui leur sont posées, les conceptions des tâches, de la discipline et de l’identité professionnelle doivent être accordées entre elles. Dans le cas de divergences, les personnes enseignantes ont besoin de stratégies de réflexion et d’action correspondantes.

Postulat 3 : il faut faire progresser la professionnalisation des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles sur le plan de l’action pédagogique
Le parcours professionnel hybride des enseignantes et enseignants de connaissances professionnelles influence dans une certaine mesure les accents qu’ils posent individuellement dans la planification et l’agencement de leur enseignement. Afin de mettre l’accent sur les exigences pédagogiques et didactiques (et pas seulement sur les perspectives relatives aux aspects techniques et à la pratique du métier), le développement des compétences correspondantes dans la formation d’une personne enseignante de connaissances professionnelles doit être accompagné de manière ciblée, en étroit ajustement avec son identité professionnelle et les éventuels champs de tension.

Postulat 4 : mettre en œuvre des procédures de qualification orientées compétences
Dans la formation professionnelle en Suisse, il y a, à côté de certaines antinomies inévitables, aussi des antinomies qui peuvent être évitées et qu’il importe de réduire. Il faut assurer une adéquation entre les objectifs de formation des plans de formation orientés compétences et des méthodes d’examen ou procédures de qualification orientées compétences.

Références

  • Baumert, J. & Kunter, M. (2006). Stichwort: Professionelle Kompetenz von Lehrkräften. Zeitschrift für Erziehungswissenschaft, 9(4), 469-520.
  • Drewes, R. (1993). Identität. Der Versuch einer integrativen Neufassung eines psychologischen Konstrukts: eine qualitative Untersuchung mit jungen Erwachsenen. Münster: Internationale Hochschulschriften.
  • Helsper, W. (2016). Lehrerprofessionalität – der strukturtheoretische Ansatz. In M. Rothland (Hrsg.), Beruf Lehrer/Lehrerin. Ein Studienbuch (S. 103-125). Münster & New York: Waxmann.
  • SBFI (2015). Rahmenlehrpläne. Berufsbildungsverantwortliche vom 01.02.2011 – Stand 1.1.2015. Bern: SBFI.
  • SBFI (2022). Berufsbildung in der Schweiz. Fakten und Zahlen 2022. Bern: SBFI.
  • SKBF (2018). Bildungsbericht Schweiz 2018. Aarau: SKBF.
  • Strauss, A., & Corbin, J. (1996). Grounded Theory: Grundlagen qualitativer Sozialforschung. Weinheim: Beltz.
  • Terhart, E. (2011). Lehrerberuf und Professionalität. Gewandeltes Begriffsverständnis – neue Herausforderungen. Zeitschrift Pädagogik, 57, 202-224.
Citation

Degen, D. (2024). Comment les enseignants de connaissances professionnelles jonglent avec les exigences de leur métier. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 9(4).

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