Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Les jeunes adultes présentant des « problématiques multiples »

Limites du système de transition

Bien souvent, les jeunes présentant des « problématiques multiples » ne disposent ni de ressources propres ni d’aides informelles dans leur environnement social pour venir à bout de leurs problèmes. Par ailleurs, la formation professionnelle et les structures de transition se heurtent souvent à des limites quand il s’agit d’apporter un soutien adapté en fonction des besoins. C’est ce qu’indique une étude commandée par la Plateforme nationale contre la pauvreté. La structure des différents organismes manque de clarté, ces systèmes ne suivent trop souvent qu’un seul objectif unilatéral (l’intégration professionnelle par exemple), l’intégration sociale est oubliée. L’étude montre clairement que pour mettre en pratique les principes de « soutien adapté en fonction des besoins » et de « coordination des aides », des évolutions sont nécessaires à au moins trois niveaux du système : au niveau stratégique, au niveau de la gestion des cas et au niveau du suivi des cas. Le projet de la « Cité des Métiers » de Genève est pris en exemple : ce modèle suggère des angles d’approche possibles.


« Je n’avais personne pour m’aider », « Je n’avais tout simplement rien sur quoi m’appuyer et les problèmes se sont accumulés. » « Une fois que les problèmes sont là, de nouveaux problèmes viennent vite s’y rajouter. »

L’objectif commun de la Confédération et des cantons en matière de politique éducative[1] est que 95 % des jeunes jusqu’à 25 ans disposent d’une éducation se poursuivant au-delà de la scolarité obligatoire. Derrière cet objectif se tient l’espoir que l’éducation permette une participation à la vie de la société et réduise les risques de pauvreté et d’exclusion sociale. En moyenne, l’objectif est atteint par 90,9 % des jeunes au total ; mais ce chiffre varie fortement en fonction du sexe, de la nationalité ou de la région d’origine (OFS 2019). Ce taux élevé de réussite est rendu possible, entre autres, par deux facteurs. D’une part, il y a actuellement peu de concurrence pour les postes d’apprentissage. Et d’autre part, en parallèle du système de formation professionnelle, un système d’offres de soutien diverses s’est établi, connu sous le nom de système de transition. Offres passerelles, semestres de motivation, Case management Formation professionnelle, coaching, éducation assistée, etc. : toutes ces formes de soutien viennent compléter les offres régulières, telles que l’orientation professionnelle dans le cadre de l’école primaire ou les conseillers d’orientation professionnelle, universitaire et de carrière. Ces offres visent à encourager l’intégration professionnelle et sociale ainsi que l’égalité des chances chez les jeunes.

Néanmoins, une étude récente commandée par la Plateforme nationale contre la pauvreté indique que le système de formation professionnelle et le système de transition se heurtent tous deux à des limites lorsqu’il s’agit de prendre en charge des « problématiques multiples » (Schaffner, Heeg, Chamakalayil & Schmid 2022a). Ces limites apparaissent notamment dans le fait que les systèmes impliqués (dans les domaines de l’éducation, des assurances sociales, de la santé et de la migration), en raison de leur structure et de leur orientation, ne sont pas suffisamment en mesure de réagir aux défis spécifiques des jeunes en leur apportant un soutien adapté en fonction de leurs besoins. Il appartient donc au système de formation professionnelle et au système de transition de réduire les discriminations d’origine structurelle et individuelle, et de travailler à un objectif d’égalité des chances.

Détails de l’étude

Cette étude s’est développée autour de la question centrale suivante : comment mieux accompagner les jeunes se trouvant dans une situation problématique complexe sur la voie de la formation et du travail rémunéré. Le plan de recherche s’est efforcé de prendre en compte les différentes perspectives de toutes les personnes impliquées et de les mettre en relation avec les débats actuels du monde de la recherche. Dans cette optique, en vue d’évaluer les difficultés et les besoins du groupe cible, une recherche bibliographique a été effectuée sur les groupes cibles spécifiques parmi les jeunes, et des discussions de groupe ont été menées avec des jeunes. De plus, des ateliers ont été réalisés au sein des différentes régions linguistiques pour déterminer où se trouvaient les limites des professionnels spécialisés face aux cas complexes, et où ces derniers voient des nécessités d’évolution dans le système de transition. Afin de mettre en place des points de repère pour les évolutions futures du système, des exemples de bonnes pratiques ont été recherchés et trouvés à Genève et dans la ville de Bâle, et les facteurs de succès y ont été déterminés.

Les jeunes qui présentent des problématiques complexes et ce dont ils ont besoin

« Arrive le jour où tu dois faire face à une montagne de papiers administratifs. » « Cela n’allait déjà pas fort psychiquement et là, il y a eu tout ce stress à cause de l’argent. Alors je me suis dit que non, je n’allais rien faire. »

La notion de « problématiques multiples » est surtout employée comme un terme générique, autant dans les publications spécialisées que dans la pratique. D’autres expressions telles que « les situations problématiques complexes », « le cumul de difficultés » et « les situations problématiques précaires » peuvent être employées comme synonymes. Les spécialistes utilisent cette notion pour désigner les cas où des jeunes présentent des difficultés dans différents domaines de la vie et où, pour la plupart, ces difficultés vont en s’amplifiant. Les origines des problèmes sont diverses. Ils peuvent se situer chez le jeune lui-même ou sa famille. Ils peuvent aussi tirer leur origine d’un manque d’accès à des activités de loisirs ; ou de difficultés vécues avec leurs pairs ou à l’école ou au sein d’une solution transitoire, dans leur établissement d’enseignement professionnel ou leur entreprise formatrice. Des problèmes peuvent également surgir à la suite d’un service de conseil ou de suivi inapproprié, dans le cadre des offres de soutien. Les conditions sociales et économiques peuvent, elles aussi, jouer un rôle dans l’apparition de difficultés (p. ex. l’insuffisance d’offres de formation, le manque d’accès en raison d’une situation irrégulière).

Les résultats de l’enquête auprès des jeunes montre qu’en cas de « problématiques multiples », ces derniers manquent de ressources propres ou d’aides informelles au sein de leur environnement social. En règle générale, les jeunes concernés ont besoin de soutien dans plusieurs domaines différents, qui doit donc être fourni par plusieurs institutions. Bien que des aides diverses existent, leur accès leur apparaît difficile. Ils s’y retrouvent à peine dans cette jungle d’offres et échouent (de leur propre perspective) à cause de défis administratifs impossibles à surmonter ou du manque de coordination des aides. Et lorsqu’ils reçoivent de l’aide, ils la perçoivent souvent comme étant trop centrée sur un problème en particulier tandis que pour leurs autres problèmes, ils sont renvoyés vers d’autres instances. Les jeunes souhaitent avoir accès à un suivi à bas seuil, adapté en fonction de leurs besoins, ainsi qu’à un soutien dans la coordination des aides et pour venir à bout des défis administratifs.

Des « problématiques multiples » dans les systèmes de formation professionnelle et de transition ?

Les professionnels interrogés, quant à eux, déclarent principalement que les aides dans les domaines de la formation professionnelle, des assurances sociales, de la santé ou de la migration sont prévues pour une situation particulière de droit à prestations : avec, par exemple, des aides pour l’absence de formation, le chômage, l’invalidité, les problèmes de santé ou les difficultés financières. Dès que plusieurs aides différentes sont nécessaires, les services responsables de la gestion des cas se heurtent à des limites.

« Les conditions-cadres et l’orientation sur la formation professionnelle sont trop restrictives dans les cas complexes, ce qui ne permet pas de faire ce qui serait nécessaire. (…) » « Une stricte procédure de conseil n’est souvent pas indiquée dans le case management. »

C’est le cas également des offres spécialisées dans le suivi des cas, avec lesquelles ces services travaillent. Ainsi, les conditions-cadres institutionnelles (dans les offres passerelles, les semestres de motivation, les offres d’orientation professionnelle de l’AI ou de l’aide sociale) causent des limitations au niveau de la clarification des cas, de la détermination des objectifs et de l’organisation des offres (organisation temporelle et contenu). Dans la plupart des cas, l’attention est (trop) focalisée sur l’intégration professionnelle. De plus, tout comme les jeunes, le personnel spécialisé estime que l’accès aux aides manque de clarté et n’est pas suffisamment flexible. De leur point de vue par ailleurs, la collaboration interinstitutionnelle, dans la plupart des cas, ne fait pas encore suffisamment l’objet d’un système réglementé et dépend donc des personnes qui y interviennent. Tous ces facteurs contribuent à ce que les jeunes présentant un besoin de prise en charge élevé ne reçoivent pas les aides nécessaires, adaptées en fonction de leurs besoins. Malgré l’existence d’aides diverses, ces circonstances contribuent à une « sélection des risques » et à un « triage ». L’exclusion sociale s’en trouve finalement renforcée, plutôt que de favoriser l’intégration.

Deux principes servent d’orientation commune

Selon les résultats de l’enquête, deux principes globaux occupent une importance centrale pour permettre un soutien prometteur des jeunes aux « problématiques multiples ». Premièrement, pour assurer un conseil et un suivi qui soient adaptés aux jeunes et à leurs besoins, un examen de cas approfondi et une planification de l’aide à venir sont nécessaires, en tenant compte de l’ensemble des problèmes pertinents dans les différentes sphères de la vie. Deuxièmement, la coordination des aides pour chaque cas concret est importante, par-delà les compétences institutionnelles. Pour cela, il est nécessaire de réglementer la collaboration interinstitutionnelle, dans la mesure des possibilités légales.

Tableau 1 : Facteurs de succès des systèmes de transition cantonaux

L’étude montre que pour mettre en pratique les principes de « soutien adapté en fonction des besoins » et de « coordination des aides », des évolutions sont nécessaires à au moins trois niveaux du système : au niveau stratégique, au niveau de la gestion des cas et au niveau du suivi des cas. Pour chacun de ces niveaux, en s’appuyant sur les résultats obtenus, des facteurs de succès ont pu être déterminés. Ceux-ci sont présentés dans le tableau ci-après.

Le guide issu de cette étude (Schaffner et. al. 2022b) décrit sous forme concise les différents facteurs de succès et suggère des points de développement à chaque niveau concerné dans les cantons, les villes et les communes.

Exemple de bonnes pratiques : la « Cité des Métiers » à Genève

L’exemple de la « Cité des Métiers » (CdM) à Genève[2] montre comment la collaboration interinstitutionnelle peut-être réglementée et organisée, en vue de permettre un soutien adapté des jeunes en fonction de leurs besoins. Ici, ce sont surtout les facteurs de succès no 2 à 6 (cf. tableau 1) que l’on peut observer. La CdM est un centre interinstitutionnel de conseil et d’information pour les questions portant sur l’orientation professionnelle et la recherche d’emploi. Ses partenaires sont l’Office de la formation professionnelle, le service de l’emploi cantonal et l’aide sociale. La CdM suit les principes de fonctionnement du réseau international de la « Cité des Métiers » (facteurs de succès no 2 et 3). Toutes les instances qui appartiennent au réseau de la CdM s’engagent à veiller à une structure de qualité pour leur projet, à échanger entre elles et à se soutenir mutuellement dans le cadre de l’organisation et de l’exécution des projets.

Illustration 1 : Cité des Métiers du canton de Genève ; (Source : Schaffner et. Al. 2022b, p. 24)

La CdM constitue la porte d’entrée centrale pour les jeunes qui ont besoin d’une prise en charge. Elle assure la première consultation et endosse des fonctions de triage pour diriger les jeunes, en fonction de leurs besoins, vers d’autres organismes. La CdM est accessible à l’ensemble de la population sans inscription préalable. Elle est gratuite, anonyme, librement et facilement accessible (facteur de succès no 5).

Après un premier examen de cas réalisé par la CdM, des offres spécifiques sont mises à la disposition des jeunes. « Cap Formations » (CF) s’occupe du Case management Formation professionnelle (facteur de succès no 4). « Tremplin Jeunes » apporte son soutien à CF pour la clarification des problématiques d’ensemble des jeunes, et crée un plan pour leur formation scolaire et professionnelle et leur soutien. Une fois ce plan créé, CF prend à nouveau en main le suivi et la coordination des cas. Les jeunes adultes qui, dans un premier temps, ne peuvent pas débuter de formation sont pris en charge par le « Point Jeunes », un service de l’Hospice général de Genève. Ce dernier vérifie, par exemple, si un hébergement d’urgence ou un autre type de financement peut entrer en jeu.

Les facteurs de succès suivants ont été soulignés par les professionnels interrogés à Genève :

  • Premièrement, la CdM dispose de points de repère solides pour la mise en place du processus de collaboration interinstitutionnelle, puisqu’elle applique les principes de fonctionnement de la charte du réseau international « Cité des Métiers ».
  • Deuxièmement, la collaboration interinstitutionnelle est réglée entre les services partenaires de la CdM et les offres spécialisées associées.
  • Troisièmement, le processus de collaboration interinstitutionnelle bénéficie d’un pilotage (sous la direction de l’Office de la formation professionnelle) et il est mis à jour régulièrement : par le biais par exemple de guides en ligne contenant des informations pertinentes, de formations détaillées, de perspectives obtenues sur les méthodes de travail des services partenaires et de rencontres régulières pour le partage entre les différentes instances partenaires.
  • Quatrièmement, les professionnels interrogés insistent sur l’importance de l’organisation des différents services en un même lieu.
  • Cinquièmement, l’existence d’un lieu d’accueil central et à bas seuil, avec une fonction de triage, est considérée comme importante.

Bilan

En résumé, l’étude montre qu’en cas de besoin d’une aide complexe, ce n’est pas seulement la qualité de chaque service d’aide qui est décisive, mais surtout la relation judicieuse entre les différentes offres de soutien et la qualité de leur collaboration. La « Cité des Métiers » remplit bien cette exigence. Pour assurer de telles conditions, les recommandations de cette étude offrent des points de départ qui invitent à évaluer les systèmes de transition cantonaux et à les faire évoluer en fonction de certains facteurs de succès spécifiques.

[1] Valorisation optimale des chances : Déclaration 2011 de la CDIP et du DEFR ; Transition scolarité obligatoire – degré secondaire II (déclaration d’engagement) en 2015 ; Valorisation optimale des chances : Déclaration 2019 de la CDIP et du DEFR, toutes accessibles sous le lien suivant : https://www.cdip.ch/fr/documentation/textes-juridiques/prises-de-position?set_language=fr [11/05/2022]

[2] En 2020, une Cità dei Mestieri a également été implantée dans le canton du Tessin.

Bibliographie

Citation

Schaffner, D., Hirschfeld, H., & Chamakalayil, L. (2022). Limites du système de transition. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(1).

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