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Interface Politikstudien Forschung Beratung pour la promotion des compétences de base

Un équilibre à trouver entre la logique administrative et l’orientation vers le groupe cible

Selon la FSEA (Fédération suisse pour la formation continue), la Suisse compte environ un demi-million de personnes avec des compétences de base insuffisantes, par exemple en écriture, en lecture, en expression orale, en calcul ou dans l’utilisation des outils informatiques de base. Depuis de nombreuses années, des institutions privées et publiques s’engagent à faire baisser ce chiffre, mais avec des résultats mitigés. L’hétérogénéité du groupe cible, le sentiment de honte des personnes concernées et le caractère insuffisamment adapté des offres aux besoins réels rendent cette tâche difficile. Une étude d’Interface Politikstudien Forschung Beratung se penche en détail sur ces facteurs et formule des propositions. Il est crucial de définir clairement les compétences des différents services administratifs si l’on veut accroître l’efficacité de la collaboration (interinstitutionnelle). Photo © Egelmair Photography


Les compétences de base sont une condition indispensable pour que les adultes puissent gérer le quotidien, réussir dans le monde du travail et participer à des offres de formation. Avec les cantons, la Confédération fait en sorte que les adultes puissent conserver les compétences de base dont ils disposent et acquérir celles qui leur manquent. La promotion des compétences de base repose notamment sur la loi fédérale sur la formation continue (LFCo), qui prévoit le versement d’aides financières par la Confédération aux cantons (article 16).

Cette étude a été réalisée par Interface Politikstudien Forschung Beratung sur mandat de la Collaboration interinstitutionnelle (CII) nationale. Elle dresse un état des lieux de la situation en matière de promotion des compétences de base en Suisse en 2021 et a saisi les aspects « interfaces » et « qualité ». Sur le plan de la méthodologie, cette étude repose sur une analyse de documents, sur des entretiens avec des expert·e·s et sur deux enquêtes en ligne, l’une adressée aux prestataires de formation continue et l’autre aux services administratifs cantonaux. Par ailleurs, cinq cantons ont été sélectionnés pour des études de cas, grâce auxquelles la mise en œuvre de la promotion des compétences de base a été décrite.

Qu’est-ce que la Collaboration interinstitutionnelle (CII) ?

La CII désigne la collaboration d’au moins deux institutions du domaine de la sécurité sociale, de la réinsertion et de la formation. Il peut s’agir d’une collaboration structurelle ou d’une collaboration fondée sur des cas individuels. La CII existe à la fois au niveau national et cantonal. Elle a pour objectif de coordonner les conditions-cadres institutionnelles et les dispositions légales afin d’améliorer les chances de réinsertion des personnes dans le domaine de la formation et sur le marché du travail. Depuis l’entrée en vigueur de la LFCo en 2017, les compétences de base occupent une importance de plus en plus grande et sont devenues un thème potentiel de la CII. Avec cette étude, la CII nationale souhaitait déterminer dans quelle mesure elle devait s’occuper du thème de la promotion des compétences de base.

Des informations supplémentaires sur l’objectif et la mission de la CII nationale sont disponibles sur le site Internet de la CII nationale.

À quels groupes cibles la promotion des compétences de base s’adresse-t-elle ?

Les groupes de population pour lesquels la promotion des compétences de base est nécessaire sont variés. Ils ont tous en commun le fait d’appartenir le plus souvent à une frange de la population vulnérable et souvent difficilement accessible. Les groupes vulnérables se distinguent de la « population normale » par le fait qu’ils se trouvent dans des situations de vie qui restreignent leurs possibilités. En font partie les situations de vie suivantes :

  • Faibles revenus
  • Chômage
  • Niveau de formation insuffisant
  • Personne seule avec enfant à charge
  • Personne dont la langue maternelle n’est pas celle du pays où elle vit
  • Appartenance à une minorité
  • Personne touchée par la pauvreté[1]

La capacité à toucher ce groupe cible hétérogène est un défi central dans le cadre de la promotion des compétences de base. En plus de l’hétérogénéité, un autre facteur complique l’accès à ces groupes cibles : le sentiment de honte que les personnes concernées éprouvent du fait de l’insuffisance de leurs compétences de base.

Ces facteurs peuvent apparaître individuellement ou de manière combinée. De toute évidence, ils entraînent une grande hétérogénéité des besoins du groupe cible. Ainsi, les besoins en termes de format et de contenu de formation ne sont pas les mêmes pour des mères qui élèvent seules leur enfant, qui ont demandé l’asile et qui n’ont aucune formation scolaire, que pour un citoyen suisse sans enfant, qui a effectué toute sa scolarité en Suisse et qui présente des lacunes dans les compétences de base.

La capacité à toucher ce groupe cible hétérogène est un défi central dans le cadre de la promotion des compétences de base. En plus de l’hétérogénéité, un autre facteur complique l’accès à ces groupes cibles : le sentiment de honte que les personnes concernées éprouvent du fait de l’insuffisance de leurs compétences de base. Ce sentiment est particulièrement élevé chez les adultes sans activité lucrative et chez ceux qui occupent des métiers mal rémunérés et qui ont effectué leur scolarité en Suisse. Du fait d’expériences décourageantes au cours de leur scolarité, qui les obligent à répartir de zéro, les adultes concernés se sentent bloqués, ils manquent de confiance en eux et ont honte de révéler leurs lacunes et de participer à des cours de compétences de base.[2]

Qui développe les compétences de base des adultes ?

Les offres pour la promotion des compétences de base sont proposées par les prestataires de formation continue. En font partie de grands prestataires qui interviennent au niveau national ou régional, des organisations sans but lucratif et de petites organisations locales, par exemple des rencontres de quartier ou des associations de bénévoles.

Avec l’introduction de la LFCo, la Confédération et les cantons ont été conjointement chargés d’agir dans le domaine des compétences de base, en complément des lois existantes. Le SEFRI est compétent pour le versement des aides financières prévues par la LFCo. Toutefois, outre le SEFRI, d’autres offices fédéraux sont chargés de promouvoir les compétences de base dans le cadre de leur domaine d’activité, à savoir l’action sociale (Office fédéral des assurances sociales OFAS), l’intégration (Secrétariat d’État aux migrations SEM) et les mesures en lien avec le marché du travail (Secrétariat d’Etat à l’économie SECO). La LFCo prévoit d’exploiter ces synergies et de parvenir à une coordination dans le domaine de la promotion des compétences de base avec les autres offices fédéraux et les acteurs concernés (art. 15, al. 2, LFCo), ainsi que de combler les lacunes en matière de promotion.

Quels sont les défis qui se posent lors de la mise en œuvre ?

En même temps, il existe des chevauchements entre les groupes cibles et la question des priorités de financement manque souvent de clarté pour les services administratifs. Cela entraîne des structures parallèles et des inefficacités.

La mise en œuvre de la promotion des compétences de base intervient dans les cantons. Le défi posé par la promotion des compétences de base réside dans le fait que divers services administratifs sont confrontés à des différences à la fois dans le mode de financement (p. ex. financement axé sur la personne / financement axé sur l’offre), dans la gestion des cas et dans les logiques systémiques (p. ex. logique de couverture d’assurance, comme dans l’assurance-chômage/l’AI, ou logique d’encouragement comme dans la LEI ou la LFCo). En même temps, il existe des chevauchements entre les groupes cibles et la question des priorités de financement manque souvent de clarté pour les services administratifs. Cela entraîne des structures parallèles et des inefficacités. Ainsi, il peut arriver que des groupes cibles bénéficient d’un double financement : une administration finance directement la participation au cours d’une personne (financement axé sur la personne), et un autre service administratif finance l’ensemble de l’offre de cours (financement axé sur l’offre). Un autre problème réside dans les lacunes que présente la promotion des compétences de base. Du fait de l’absence de gestion des cas et des différentes logiques systémiques qui prévalent, il est possible que le financement de formations au profit de personnes ayant besoin de développer leurs compétences de base s’arrête après l’intégration sur le marché du travail. En effet, dans la logique de l’assurance chômage, plus aucun autre financement n’est possible. Or, du point de vue des personnes concernées, il serait souhaitable de poursuivre la participation à des cours de compétences de base (approfondissement et application des acquis). Actuellement, il appartient aux personnes concernées de trouver un financement prenant le relais du financement précédent. Compte tenu de la vulnérabilité de ces personnes et de la diversité des services et des directives, c’est chose impossible pour les personnes concernées. Il y a donc un risque que l’acquisition des compétences n’ait pas un caractère durable et, par conséquent, que le financement ne soit pas efficace.

Qu’est-ce qui distingue la qualité d’une formation ?

Pour garantir une efficacité maximale des offres de formation dans le domaine de la promotion des compétences de base, la conception des cours et le respect d’un niveau de qualité adapté ont une importance cruciale. Il faut notamment que l’offre tienne compte des besoins diversifiés des groupes cibles vulnérables. Ainsi, tant le contenu que l’organisation de la formation doivent être conçus en conséquence. Grâce à des formats de cours flexibles, les personnes qui occupent plusieurs emplois, qui ont la garde de leurs enfants ou qui ont des horaires de travail irréguliers peuvent participer aux formations :

Graphique 1 : critères de qualité des cours de compétences de base. Source : présentation Interface.

L’étude arrive à la conclusion que ce sont notamment les offres à bas seuil et orientées vers les groupes cibles qui permettent de promouvoir les compétences de base.

L’étude arrive à la conclusion que ce sont notamment les offres à bas seuil et orientées vers les groupes cibles qui permettent de promouvoir les compétences de base. Ce type d’offres représente toutefois un défi pour les responsables de cours. Ces derniers doivent au minimum présenter un certificat de responsable de cours FSEA pour pouvoir répondre de manière adéquate aux besoins spécifiques des groupes cibles. Il faut également un concept national qui englobe des qualifications didactiques supplémentaires pour les responsables de cours dans le domaine des compétences de base. Afin d’améliorer la qualité de l’enseignement, de telles qualifications doivent inclure des thèmes comme la diversité culturelle, l’analphabétisme et l’illettrisme.

Il est également judicieux de promouvoir les offres à bas seuil et accessibles au public, par exemple les espaces d’apprentissage (Lernstuben) dans le canton de Zurich. Ils offrent un soutien et des conseils dans un environnement qui inspire confiance, ce qui est particulièrement important pour des personnes qui éprouvent un sentiment de honte.

L’assurance qualité et le développement de la qualité des offres relèvent essentiellement de la responsabilité des prestataires de formation continue. Toutefois, la LFCo précise que la Confédération et les cantons doivent pouvoir soutenir des procédés dédiés à l’assurance qualité et au développement de la qualité afin de garantir la transparence et la comparabilité des formations continues. Les cantons peuvent par exemple définir des normes et des critères de qualité dans le cadre du financement et de la conception des offres (p. ex. dans une convention de prestations). De plus, certains cantons imposent la certification avec des labels de qualité comme eduQua ou IN-Qualis. Cependant, l’obtention d’un label qualité pose un défi en termes de coût et de charge de travail, notamment pour les petits prestataires et les petites associations. Par conséquent, à l’heure actuelle, l’étude juge irréaliste l’introduction généralisée de ces labels pour l’ensemble des prestataires de formation continue.

Conclusion : quelles sont les approches de solutions ?

Les cantons et les prestataires de formation continue sont tenus d’adapter les offres de cours aux besoins du groupe cible, tant sur le plan de la forme que du contenu de la formation.

Cette étude a souligné quels sont les services administratifs qui interviennent dans le domaine de la promotion des compétences de base et comment ils collaborent avec les prestataires de formation continue dans les domaines du financement et de la qualité. Les résultats montrent qu’au moment de l’étude, les structures de financement ne sont pas suffisamment coordonnées entre les différents domaines et que cela crée des inefficacités, des doublons et des lacunes. Pour garantir l’efficacité et la qualité de la promotion des compétences de base, la réflexion sur ce thème doit davantage se baser sur le groupe cible que sur la logique administrative. On peut en déduire les approches de solutions suivantes :

  • Clarification des interfaces : il est essentiel de définir clairement les compétences des différents services administratifs pour que la collaboration (interinstitutionnelle) soit plus efficace. Les services administratifs en charge de la formation et de l’éducation dans tous les cantons doivent faire partie de la CII cantonale[3].
  • Harmonisation des modes de financement et introduction de concepts de promotion : l’orientation du financement sur les besoins des groupes cibles est une bonne option pour simplifier les processus de financement dans la promotion des compétences de base. Le défi que représentent les différents modes de financement au sein des cantons peut être surmonté par des concepts de promotion communs, avec une orientation sur les groupes cibles.
  • Conception des cours orientée sur les groupes cibles et sur la proximité : les cantons et les prestataires de formation continue sont tenus d’adapter les offres de cours aux besoins du groupe cible, tant sur le plan de la forme que du contenu de la formation. Cela va de pair avec un soutien à bas seuil au profit des personnes concernées.
[1] Stamm (2003) : Retrospektive Literaturstudie zum Begriff Vulnerabilität. Herchen + Herchen. Frankfurt am Main.
[2] Faulstich, Peter (2011) : Weiterbildungsbeteiligung : Volk – Stand – Klasse – Schichten und Soziale Milieus. In: Gieseke, Wiltrud/Ludwig, Joachim (Hrsg.): Hans Tietgens. Ein Leben für die Erwachsenenbildung. Theoretiker und Gestalter in der zweiten Hälfte des 20. Jahrhunderts. Erwachsenenpädagogischer Report). Berlin: Humboldt-Universität Berlin, 211-218.
[3] CII (2023) : Contextualisation et perspectives du projet de la CII « Promotion des compétences de base : interfaces et qualité », consulté le 10 septembre 2024.
Citation

Feller, R., & Schwegler, C. (2024). Un équilibre à trouver entre la logique administrative et l’orientation vers le groupe cible. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 9(13).

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