«Employé-e-s de commerce 2022»
Implications didactiques d‘une réforme de grande ampleur
La réforme «Employé-e-s de commerce 2022» vise à adapter la formation commerciale initiale aux nouvelles exigences du monde du travail globalisé et numérique. La formation des personnes impliquées doit être systématiquement axée sur le développement et la vérification des compétences opérationnelles, et ce sur les trois lieux de formation. L’approche non limitée à un lieu de formation et orientée sur les compétences représente un changement de paradigme. Cet article analyse les implications didactiques de la réforme «Employé-e-s de commerce 2022» pour les écoles professionnelles commerciales et pour la formation des enseignant-e-s.
La transformation du monde du travail se manifeste notamment par la globalisation des relations avec les client-e-s et les fournisseur-e-s, par la numérisation des processus de création de valeur et par la flexibilisation du marché du travail. Ces changements concernent en particulier les professions orientées vers les services comme les employé-e-s commerciaux qui exercent des activités au niveau d’interfaces opérationnelles. Avec la réforme «Employé-e-s de commerce 2022» de la formation commerciale initiale[1], les personnes en formation doivent être «prêtes pour le monde du travail numérique» (CSBFC, 2018). On attend des futur-e-s employé-e-s de commerce qu’ils-elles possèdent des aptitudes techniques, des compétences sociales et personnelles ainsi qu’un esprit critique et créatif.
L’objectif principal de la réforme «Employé-e-s de commerce 2022» consiste à orienter de manière systématique la formation commerciale initiale sur le développement et le contrôle rétroactif des compétences opérationnelles, et ce dans les trois lieux de formation: l’entreprise formatrice, l’école professionnelle et les cours interentreprises[2]. La réforme prévue représente ainsi un changement de paradigme pour la formation commerciale initiale, et en particulier pour les écoles professionnelles commerciales: suppression des matières traditionnelles de culture générale, introduction et renforcement des connaissances professionnelles et prise en compte du développement et de l’épanouissement individuels des personnes en formation. Tout cela place les écoles professionnelles devant des défis d’ordre pédagogique, didactique, personnel et organisationnel.
Cet article analyse en particulier les implications didactiques de la réforme «Employé-e-s de commerce 2022»[3] pour l’enseignement dans les écoles professionnelles commerciales et pour la formation des enseignant-e-s dans ces établissements (cf. Ackermann, 2021).[4]
1 L’orientation sur les compétences opérationnelles comme principe curriculaire
Les programmes d’enseignement sont soumis à des «courants» didactiques changeants. À ce titre, l’orientation vers les compétences représente un courant récent. Dans l’élaboration du programme d’étude en pédagogie économique, trois principes curriculaires, qui ne sont pas conçus comme des principes isolés mais complémentaires, sont proposés:
- Le Principe scientifique (orientation sur les disciplines académiques),
- Le Principe situationnel (orientation sur les situations de vie actuelles et futures),
- Le Principe de personnalité (orientation sur le développement de la personnalité des personnes en formation).
Dans les programmes d’enseignement commercial, le principe scientifique a longtemps prévalu. Les matières de culture générale (par ex. les sciences économiques, l’instruction civique, le droit, la première langue, les langues étrangères) et les matières professionnelles (par ex. l’arithmétique commerciale, la comptabilité, la sténographie, la dactylographie, la correspondance commerciale) ont une longue tradition. Ainsi, en 1930, les langues étrangères (français, anglais, italien) représentaient environ un tiers de la grille scolaire. L’importance élevée accordée à la culture générale dans la formation professionnelle commerciale s’explique notamment par le statut visé par les employé-e-s de commerce qui, depuis toujours, se voyaient comme des citoyens et citoyennes (plus) instruit-e-s. Cela va de pair avec les idéaux éducatifs de «citoyen économique responsable» et de «commerçant respectable» véhiculés dans la pédagogie en économie.
Dans le projet de nouveau plan de formation (cf. CSBFC, 2020), et donc dans le programme d’enseignement commercial, l’orientation sur les compétences opérationnelles est érigée comme principe curriculaire premier. Cela peut être perçu comme une combinaison du principe situationnel et du principe de personnalité. Un déplacement de la focale du principe scientifique (structure spécialisée disciplinaire) vers le principe situationnel (domaines d’action situationnels) et le principe de personnalité se produit. Les situations de travail commerciales forment simultanément le point de départ et l’objectif de cette nouvelle conception de la didactique. Le nouveau profil de qualification d’employé-e de commerce CFC décrit ainsi cinq domaines de compétences opérationnelles; et chacun d’eux comprend quatre à six compétences opérationnelles:
- A) Travail dans des structures d’activité et d’organisation dynamiques;
- B) Intégration dans un environnement de travail interconnecté;
- C) Coordination de processus de travail au sein de l’entreprise;
- D) Gestion des relations avec les clients et les fournisseurs;
- E) Utilisation des technologies numériques.
2 Connaissances professionnelles et culture générale dans les écoles professionnelles
La formation professionnelle initiale en Suisse remplit trois objectifs essentiels: la qualification professionnelle, l’enseignement en culture générale et l’apprentissage tout au long de la vie (art. 15 al. 2 de la loi sur la formation professionnelle). Dans la grande majorité des formations professionnelles initiales, trois domaines d’enseignement sont proposés à l’école professionnelle: les connaissances professionnelles, la culture générale et le sport (art. 16 al. 2 let. b de la loi sur la formation professionnelle). Le premier domaine doit permettre aux personnes en formation d’acquérir les connaissances professionnelles nécessaires à l’exercice de leur métier. Le deuxième domaine, l’enseignement en culture générale, doit permettre aux personnes en formation de s’orienter sur les plans personnel et social et de relever les défis correspondants (art. 2 de l’ordonnance sur les conditions minimales relatives à la culture générale dans la formation professionnelle initiale).
Conformément au projet de la nouvelle ordonnance sur la formation (cf. SEFRI, 2020) et au projet de nouveau plan de formation (cf. CSBFC, 2020), les matières traditionnelles, structurées par discipline (par ex. économie et société, première langue nationale, langues étrangères) sont supprimées dans les écoles professionnelles commerciales et sont remplacées par le vaste domaine didactique «connaissances professionnelles, y c. culture générale». Ce domaine didactique est structuré et pondéré selon les cinq domaines de compétences opérationnelles A à E. Toutefois, les domaines thématiques de culture générale ne sont pas expressément listés dans la grille horaire, mais sont intégrés dans les domaines de compétences opérationnelles. On peut toutefois supposer que les enseignements professionnels bénéficient d’une pondération nettement plus forte que les enseignements de culture générale.
Dans le projet de nouveau plan de formation, une compréhension différente de la culture générale est perceptible. Tout d’abord, les compétences linguistico-communicatives sont surtout acquises et pratiquées dans le domaine de compétences opérationnelles D dans la langue nationale de la région et/ou dans une langue étrangère et sont appliquées dans tous les autres domaines de compétences opérationnelles. Deuxièmement, les compétences pour relever les défis personnels et sociaux sont structurées par thème dans le domaine de compétences opérationnelles A: développement personnel des compétences et apprentissage tout au long de la vie (au moyen du portefeuille), capacité à surmonter avec succès les différentes étapes de la vie (thèmes: relations sociales, habitat, travail, assurance et prévoyance, budget et dette, impôts), participation à la vie professionnelle (thèmes: réseaux, capacité à «se vendre»), participation à la vie sociale (thèmes: ordre juridique, démocratie, droits politiques et formation d’opinion, migration, globalisation, mobilité, changement climatique). Certains domaines thématiques comportent des objets d’étude issus des disciplines de culture générale (droit: par ex. ordre juridique, contrats, économie: par ex. rapports et développements d’économie générale, politique économique et sociale, politique financière et monétaire), mais avec une perspective (limitée), à savoir la profession d’employé-e de commerce dans l’entreprise et la branche.
De plus, la priorité sur les connaissances et les aptitudes commerciales est perceptible dans le projet du nouveau plan de formation: elles sont structurées dans les domaines de compétences B à E à partir des situations de travail commerciales. Ces aptitudes et connaissances professionnelles s’appuient en grande partie sur des concepts scientifiques, par exemple sur l’économie d’entreprise, la communication/linguistique et la technologie/informatique. Toutefois, les compétences opérationnelles sont formulées de manière générale par branche, de sorte qu’elles sont certes esquissées sur les plans méthodologique, social et/ou personnel, mais qu’elles restent vagues sur le plan technique car elles sont très différentes compte tenu des branches hétérogènes. Les compétences opérationnelles doivent davantage être interprétées comme interprofessionnelles que comme professionnelles. Les exemples suivants le montrent: «a3: recevoir et exécuter des mandats propres au domaine commercial», «c3: documenter, coordonner et mettre en œuvre des processus en entreprise», «d4: entretenir les relations avec les clients et les fournisseurs», «e4: préparer des contenus en lien avec l’entreprise à l’aide d’outils multimédia». Il est possible que les enseignant-e-s en commerce n’aient pas une connaissance suffisante des situations de travail et d’apprentissage des personnes en formation pour pouvoir enseigner de manière authentique les compétences correspondantes lors des cours.
La préparation et l’exécution du nouveau domaine didactique «connaissances professionnelles, y c. culture générale» place les enseignant-e-s des écoles professionnelles commerciales devant un grand défi technique et didactique. D’une part, dans leur grande majorité, les enseignant-e-s ont une formation académique (par ex. sciences économiques, linguistique) et n’ont pas ou peu d’expérience pratique dans le secteur commercial. On peut donc supposer que les enseignant-e-s en commerce ne connaissent pas suffisamment bien les situations d’apprentissage et de travail de leurs élèves pour pouvoir enseigner les compétences correspondantes de manière authentique dans les cours. D’autre part, pour le traitement et l’enseignement des matières professionnelles, les enseignant-e-s en commerce ne peuvent pas s’appuyer sur une didactique spécialisée traditionnelle (par exemple, didactique spécialisée pour l’économie, didactique spécialisée pour l’allemand) avec ses concepts, méthodes, matériaux et supports spécifiques.
3 Méthodologie pédagogique dans la formation des enseignants
La didactique spécialisée est la science de l’enseignement et de l’apprentissage propres à une matière. Des modèles théoriques et conceptuels (par exemple sur la planification et l’évaluation des cours) ainsi que des résultats empiriques (par exemple sur la mise en œuvre des programmes d’études, sur l’utilisation des supports d’apprentissage, sur l’efficacité des dispositifs d’enseignement et d’apprentissage) sont tout aussi pertinents pour la qualité de la formation des enseignants. Dans un sens plus strict, la didactique spécialisée s’oriente sur un domaine de travail et d’apprentissage, on peut aussi y inclure la didactique professionnelle. Cette dernière peut être différenciée en didactique selon le lieu d’apprentissage (établissement d’enseignement, entreprise ou cours interentreprises) et en didactique selon la phase d’apprentissage (formation pré-professionnelle, formation professionnelle initiale et supérieure, formation continue professionnelle).
La didactique spécialisée appliquée à la pédagogie en économie se réfère traditionnellement à la matière «économie» et/ou aux matières d’intégration «économie et société», «économie et politique» et «économie et droit». En revanche, la didactique professionnelle appliquée à la pédagogie en économie se réfère au domaine professionnel «économie et gestion» et/ou à la profession commerciale dans les différentes branches commerciales.
Sur la base du projet de nouveau plan de formation, on peut recourir seulement de manière restreinte à une didactique traditionnelle propre à la matière pour la formation des enseignant-e-s en commerce. Il est donc nécessaire d’élaborer une didactique professionnelle pour les écoles professionnelles commerciales. Celle-ci doit être développée et testée étape par étape. Un tel concept est indispensable pour former les enseignant-e-s des écoles professionnelles commerciales à un enseignement interdisciplinaire et axé sur les compétences et pour préparer les personnes en formation d’employé-e de commerce au monde du travail globalisé et numérique.
4 Conclusion
La réforme «Employé-e-s de commerce 2022» de la formation commerciale initiale entend prendre en compte la transformation du monde du travail, désormais globalisé et numérique. La formation des personnes en formation d’employé-e de commerce doit systématiquement être axée sur le développement et le contrôle rétroactif des compétences opérationnelles, et ce sur les trois lieux de formation. Pour les écoles professionnelles commerciales, il s’agit d’une nouveauté. En effet, jusqu’à présent, l’enseignement était orienté sur une approche disciplinaire.
Dans le nouveau plan de formation et le programme d’enseignement, l’orientation professionnelle sur les compétences opérationnelles est érigée comme principe curriculaire premier. Une plus forte importance est ainsi accordée au principe situationnel et au principe de personnalité par rapport au principe scientifique. Un vaste domaine didactique «connaissances professionnelles, y c. culture générale» est introduit dans les écoles professionnelles commerciales. Il y a ainsi un risque de glissement du focus vers des objets d’étude professionnels au détriment des objets d’étude de culture générale et de restriction de ces mêmes objets d’étude de culture générale à la perspective professionnelle. Pour la formation des enseignant-e-s en commerce dans les écoles professionnelles, il faut à l’avenir élaborer une didactique axée sur les compétences, pluridisciplinaires, liées à la profession, et qui se rapportent au nouveau domaine d’enseignement.
Une mise en œuvre réussie et durable de la réforme «Employé-e-s de commerce 2022» exige donc une étroite collaboration entre les écoles professionnelles commerciales et les établissements de formation des enseignant-e-s.
[1] Dans le système éducatif suisse et en regard du marché du travail, une grande importance est accordée à la formation commerciale initiale. Sur les quelque 240 professions en Suisse, les professions commerciales CFC et AFP sont les plus souvent choisies, à savoir par environ 20% des personnes en formation. L’apprentissage de commerce peut être effectué dans une vingtaine de branches différentes, notamment dans le secteur bancaire, l’industrie, l’administration publique, les assurances privées, les transports et l’hôtellerie. [2] Cette approche orientée sur les compétences et non liée à un lieu de formation en particulier est une nouveauté pour les employé-e-s de commerce. Elle est toutefois mise en œuvre depuis des années dans de nombreuses autres professions du système suisse de formation professionnelle. [3] Cet article se rapporte à l’état du projet de réforme de février 2021. [4] Pour une analyse détaillée et des références bibliographiques, nous renvoyons à l’article original: Ackermann, N. (2021). «Fit für die digitale Arbeitswelt»: Didaktische Implikationen der Reform «Kaufleute 2022» für die kaufmännischen Berufsfachschulen und die Lehrerinnen- und Lehrerbildung. In C. Caduff (Hrsg.), Perspektiven auf den Lernort Berufsfachschule: Festschrift zum 60. Geburtstag von Christoph Städeli (S. 75-105). Bern: hep.Reférences
- Ackermann, N. (2021). «Fit für die digitale Arbeitswelt»: Didaktische Implikationen der Reform «Kaufleute 2022» für die kaufmännischen Berufsfachschulen und die Lehrerinnen- und Lehrerbildung. In C. Caduff (Hrsg.), Perspektiven auf den Lernort Berufsfachschule: Festschrift zum 60. Geburtstag von Christoph Städeli (S. 75-105). Bern: hep.
- Schweizerische Konferenz der kaufmännischen Ausbildungs- und Prüfungsbranchen (SKKAB) (2018). Kaufleute 2022: Fit für die digitale Arbeitswelt. Medienmitteilung. Bern, 13.02.2018.
- Schweizerische Konferenz der kaufmännischen Ausbildungs- und Prüfungsbranchen (SKKAB) (2020). Bildungsplan Kauffrau/Kaufmann EFZ («Kaufleute 2022»), Entwurf vom 1. Dezember 2020, nach a.o. Delegiertenversammlung.
- Staatssekretariat für Bildung, Forschung und Innovation (SBFI) (2020). Verordnung des SBFI über die berufliche Grundbildung Kauffrau/Kaufmann mit eidgenössischem Fähigkeitszeugnis (EFZ) Online (15.02.2021).
Citation
Ackermann, N. (2021). Implications didactiques d‘une réforme de grande ampleur. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 6(2).