Formation continue à des fins professionnelles : état des lieux
Un domaine pédagogique sous-estimé
La formation continue à des fins professionnelles fait souvent l’objet d’une couverture médiatique moins importante comparé à la formation professionnelle initiale et à la formation professionnelle supérieure. C’est un constat surprenant car l’importance de la formation continue à des fins professionnelles est incontestable depuis les années 1970. En conséquence, le changement de nom de la chaire de la formation professionnelle à l’Université de Zurich est parfaitement logique : elle s’appelle désormais « chaire de la formation professionnelle et continue ». Dans ce texte, Katrin Kraus, la nouvelle titulaire de cette chaire, dresse un état des lieux de la formation continue à des fins professionnelles et présente des perspectives de recherche complémentaires. Le projet actuel « Governance : Cohesion and Context (GoCC) » s’interroge sur la manière dont les personnes prennent des décisions en matière de formation continue dans le cadre de leur activité lucrative. Ce projet se penche aussi sur les besoins en matière de gestion qui existent chez les différents acteurs à propos des nouvelles approches sur le développement des compétences.
L’éducation tout au long de la vie se divise en quatre domaines principaux : l’éducation précoce, la scolarité, l’enseignement supérieur dans les hautes écoles et l’éducation des adultes.
Pour les employé·e·s comme pour les entreprises et les secteurs d’activité, la formation continue est un élément important de la formation professionnelle. Elle est donc définie comme un domaine à part entière en tant que « formation continue à des fins professionnelles » dans le chapitre 4 de la loi sur la formation professionnelle (LFPr), en plus de la formation professionnelle initiale et de la formation professionnelle supérieure, même si, par rapport aux autres dispositions de la LFPr, ce chapitre est plus court et contient des explications moins détaillées. Ce n’est pas un hasard car la formation continue à des fins professionnelles ne constitue pas seulement une partie de la formation professionnelle, un secteur fortement structuré via les partenaires de la formation professionnelle. Elle fait aussi partie de l’éducation des adultes, un domaine de formation traditionnellement pluriel. Il est donc judicieux d’examiner en détail la formation continue à des fins professionnelles, qui se situe à la croisée entre la formation professionnelle très structurée et le domaine pluriel qu’est la formation des adultes. Il est utile d’approfondir les recherches à ce sujet car les données concernant ce domaine sont encore relativement peu nombreuses en Suisse.[1]
Formation continue à des fins professionnelles et éducation tout au long de la vie
Une personne développe sa propre professionnalité à partir de sa décision d’exercer un métier, en passant par la formation initiale, puis l’activité professionnelle et les offres de formation continue. Avec la formation continue à des fins professionnelles, les explications suivantes sont principalement axées sur une phase précise de l’évolution biographique de la professionnalité, c’est-à-dire la phase après la formation, au cours de laquelle l’exercice de l’activité professionnelle figure au premier plan et qui a longtemps été considérée comme une simple phase de mise en pratique des compétences acquises pendant la formation. Cette situation a changé depuis les années 1970, période à partir de laquelle la formation des adultes a été davantage prise en compte, et pas seulement dans le contexte de la formation professionnelle. La Décennie de l’« apprentissage tout au long de la vie », initiée en 1970 par l’UNESCO en collaboration avec d’autres organisations internationales dans le cadre de l’« Année internationale de l’éducation », en est le symbole. Les deux termes « lifelong » et « lifewide » ont permis de mettre davantage en avant l’apprentissage au-delà de la scolarité et en dehors des institutions pédagogiques, alors que l’accent était mis auparavant sur l’école. La distinction entre « lifelong learning » et « lifelong education » (Billet 2022) reprend dans ce contexte la différence entre l’apprentissage en tant qu’activité individuelle et le système éducatif en tant que pratique institutionnalisée de l’enseignement et de l’apprentissage.
Dans son étude récente sur la mise en place de l’éducation tout au long de la vie de 1950 à 2020, McLean (2022) précise que cette dernière se divise en quatre domaines principaux : l’éducation précoce, la scolarité, l’enseignement supérieur dans les hautes écoles et l’éducation des adultes. McLean note également que la participation individuelle à chacun de ces domaines varie fortement d’un pays à l’autre, en fonction des conditions politiques et institutionnelles. En Suisse, à l’exception de l’éducation précoce, nous connaissons une branche professionnelle dans chacun de ces domaines. Malgré les différences spécifiques à chaque pays, McLean constate dans ses analyses des « tendances globales » qui ont favorisé le développement des activités de formation tout au long de la vie dans les quatre domaines énumérés. McLean cite par exemple l’implication plus forte des filles dans la formation scolaire au niveau mondial. Parmi les quatre domaines mentionnés, la formation continue à des fins professionnelles est rattachée au domaine de l’éducation des adultes.
Formation continue à des fins professionnelles et apprentissage tout au long de la vie
Si l’on élargit le champ d’étude du système éducatif à l’apprentissage tout au long de la vie, l’apprentissage dans des cadres informels vient s’ajouter aux quatre domaines précités. Il s’agit d’une forme d’apprentissage ayant lieu dans des environnements qui, contrairement à une école ou à une université, n’ont pas été aménagés selon des critères pédagogiques dans un but d’apprentissage, et dans lesquels l’apprentissage a lieu avec d’autres activités, par exemple l’activité lucrative. Ce complément est important pour favoriser la compréhension de la formation continue à des fins professionnelles. En effet, l’apprentissage professionnel à l’âge adulte a souvent lieu en dehors du système éducatif. La formation professionnelle initiale englobe aussi, avec l’entreprise formatrice, les éléments de l’apprentissage dans des situations de travail, même si ces dernières sont encadrées de manière institutionnelle dans le système de formation professionnelle. Pour résumer, les explications ci-dessus peuvent être représentées dans la vue d’ensemble ci-après (figure 1) :
Dans cette représentation élargie à cinq domaines pédagogiques, l’éducation des adultes à partir d’une perspective individuelle inclut la participation à la formation à l’âge adulte, ainsi que l’apprentissage dans des cadres informels et l’apprentissage pendant le travail. Dans le domaine pédagogique institutionnel, l’éducation des adultes se compose des différents prestataires de formation dont les offres sont spécialement destinées aux adultes, que ce soit pour l’apprentissage d’une langue, la promotion de la santé ou la formation continue à des fins professionnelles. À cela s’ajoutent les contextes pédagogiques dans d’autres domaines, par exemple les entreprises. Dans le domaine de l’éducation des adultes, la gestion est assurée via des processus de la gouvernance éducative. Dans le cas de la formation continue à des fins professionnelles, elle implique aussi des acteurs de l’économie et de la société. Dans l’apprentissage dans des cadres informels, la reconnaissance des résultats d’apprentissage est importante. La formation continue à des fins professionnelles, dont le contenu est spécifié plus en détail dans le paragraphe suivant à travers une définition de la professionnalité, peut être localisée comme suit dans le schéma suivant :
Formation continue à des fins professionnelles et professionnalité
Traditionnellement, en Suisse, la professionnalité est en grande partie encadrée par le concept de profession auquel se rapportent à la fois les entreprises, les branches et le système éducatif. La profession endosse ainsi une « fonction transsectorielle » et allie le système éducatif et le monde du travail. Un tel concept revêt une grande importance politique. En effet, par le biais de la politique, des processus de négociation sont possibles, tels ceux régis par la loi au sein des partenaires de la formation professionnelle. Dans le cadre de tels processus, des décisions sont prises à propos de l’apprentissage d’une profession, de son exercice ultérieur et de la formation continue : Quelles sont les connaissances techniques requises ? Quelles sont les attentes qui en découlent en termes de personnalité ? Comment l’exigence de formation générale est-elle satisfaite ? Dans le cadre de la formation professionnelle, de telles questions ne peuvent pas être répondues seulement d’après un besoin à court terme. Les réponses (qui doivent sans cesse être revues) à ces questions équilibrent en permanence les exigences en termes de flexibilité et de stabilité dans le développement du système (Kraus 2022a).
La professionnalité est un concept riche qui regroupe différents contenus. Ce concept allie les connaissances et les aptitudes techniques ainsi que les compétences interdisciplinaires et la formation générale. Il englobe en outre l’identité et l’éthique professionnelles. Ce concept peut être présenté de manière synthétique comme suit (figure 2, Kraus 2022b, extrait) :
Le concept de la professionnalité porte d’une part sur la capacité à exercer une activité professionnelle et d’autre part sur la compétence à concevoir son parcours professionnel (ibid.). La formation initiale et continue à des fins professionnelles vise donc à permettre aux personnes exerçant une activité professionnelle de travailler de manière productive dans leur profession tout en étant en mesure d’organiser activement leur propre parcours professionnel. La formation continue à des fins professionnelles joue un rôle déterminant à cet effet.
Il existe en Suisse quelque 250 métiers accessibles via la formation professionnelle[2], parmi lesquels des métiers connus comme cuisinier/cuisinière, et des métiers moins connus, comme opérateur/trice de sciage d’édifice. Parmi ces métiers, certains, comme employé·e de commerce, sont très demandés, tandis que d’autres comptent très peu de personnes en formation, par exemple céramiste. Le panel de métiers comporte des professions traditionnelles comme maréchal/e-ferrant/e, mais aussi des métiers qui ont été créés ces dix dernières années : assistant/e en promotion de l’activité physique et de la santé, interactive media designer ou recycleur/recycleuse. Ces nouveaux métiers reflètent des thèmes de société comme la condition physique (fitness), la santé, le numérique et le développement durable. Parmi ces 250 métiers, certains illustrent les traditions culturelles de la Suisse, comme employé/e de remontées mécaniques ou technologue du lait. Malgré cette diversité de métiers accessibles via la formation, il n’en existe aucun pour lequel il n’y aurait pas besoin de formation continue au fil de l’exercice du métier, ni aucun pour lequel il n’existerait pas d’offre de formation continue adaptée. La formation continue fait donc partie de la formation professionnelle au même titre que la formation professionnelle initiale ou supérieure. Toutefois, la formation continue à des fins professionnelles est un domaine très hétérogène, cette caractéristique se reflète d’ailleurs très clairement dans les statistiques ci-après.
La formation continue à des fins professionnelles vue à travers les statistiques
La formation initiale et continue à des fins professionnelles vise donc à permettre aux personnes exerçant une activité professionnelle de travailler de manière productive dans leur profession tout en étant en mesure d’organiser activement leur propre parcours professionnel.
En Suisse, la plupart des données relatives à la formation continue à des fins professionnelles proviennent du microrecensement Formation de base et formation continue de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Ces données sont saisies tous les cinq ans et renseignent sur les habitudes en matière de formation continue des personnes de 15 à 75 ans résidant à titre permanent en Suisse. Les données collectées se rapportent aux activités de formation continue de ces personnes au cours des 12 derniers mois.
En 2021, environ la moitié des personnes actives occupées a déclaré avoir suivi une formation continue à des fins professionnelles au cours des 12 derniers mois.[3] La moitié de ces formations continues avait une durée inférieure à huit heures et environ 15 % avaient une durée de plus de 40 heures. Les différentes durées des formations sont souvent liées aux différents formats et prestataires : la formation continue à des fins professionnelles peut se décliner sous différentes formes : une conférence technique unique organisée dans l’entreprise, un cours préparatoire complet en vue d’un examen professionnel, un atelier sur la communication en équipe, la visite d’un salon, une formation organisée par un syndicat sur les droits des employé·e·s, une formation à la sécurité organisée par la SUVA, un diplôme CAS dans une haute école, une formation organisée par un fabricant dans une usine, un cours de langue ou d’informatique proposé par un prestataire commercial ou une formation de coaching de direction. La diversité des contenus, des prestataires et des formats de formation dont disposent les personnes qui suivent une formation continue à des fins professionnelles est donc très large. En général, les personnes actives sur le plan de la formation continue suivent plus d’une formation continue par an.
La plupart des personnes interrogées avancent les mêmes raisons pour expliquer leur participation à la formation continue[4] : près de 90 % veulent rester « à la page » et pratiquement autant veulent améliorer leurs perspectives de carrière. Pour 60 % des personnes interrogées, des changements survenus dans le travail ont été l’élément déterminant dans la décision de suivre une formation continue. Pour la moitié d’entre elles, la formation continue était obligatoire. Toutefois, cette large unanimité ne doit pas cacher le fait qu’il existe dans la population de grandes disparités en matière de participation à la formation continue. Ces disparités sont dues à des facteurs structurels. Plus le niveau d’éducation de la personne est élevé, plus la probabilité de participer à une formation continue augmente. La participation dépend à la fois du secteur d’activité et du poste dans l’entreprise. Par ailleurs, les femmes qui ont des enfants déclarent avoir nettement moins de projets de formation continue que les hommes avec des enfants ou les femmes sans enfant. Les personnes qui souhaiteraient suivre une formation continue à des fins professionnelles mais qui n’en ont pas la possibilité sont principalement des personnes issues de l’immigration, qui souffrent d’un handicap ou qui ont seulement terminé leur scolarité obligatoire.
Conclusion et perspectives
Toutefois, cette large unanimité ne doit pas cacher le fait qu’il existe dans la population de grandes disparités en matière de participation à la formation continue.
Depuis les années 1970, la formation continue à des fins professionnelles fait partie de l’éducation des adultes, un domaine dont l’importance s’est accrue dans le monde entier. En Suisse, la formation continue à des fins professionnelles est devenue un élément majeur de la formation professionnelle. En matière de contenu, elle repose sur une large compréhension du concept de professionnalité. La formation continue à des fins professionnelles a pour objectif la capacité à exercer une activité professionnelle et porte sur la compétence à concevoir son propre parcours professionnel. Il s’agit donc d’une possibilité d’être acteur ou actrice de son propre développement professionnel. Au regard des chiffres actuels, la formation continue à des fins professionnelles est un domaine pédagogique à la fois vaste et pluriel. Même si la formation continue à des fins professionnelles est aujourd’hui la « norme » pour de nombreuses personnes et qu’elle est suivie en règle générale par des actifs souhaitant rester « à la page », suivre le rythme des changements ou progresser dans leur carrière, il n’y a pas de « norme » en matière de formation continue à des fins professionnelles. Ce domaine se distingue par une hétérogénéité qui est une caractéristique propre à la formation continue. Cette hétérogénéité complique la visibilité en termes de contenus, de formes et de prestataires, mais elle offre aussi de nombreuses possibilités pour répondre aux différents besoins. Dans le même temps, le type de participants à la formation continue reflète le tissu social de la population et renforce ainsi les inégalités socio-structurelles dans le domaine de l’activité lucrative.
Différentes perspectives de recherche découlent de cette interprétation de la formation continue à des fins professionnelles. Elles peuvent contribuer à améliorer les connaissances sur ce domaine pédagogique. Par exemple, le projet actuel « Governance : Cohesion and Context (GoCC) » dirigé par la chaire de la formation professionnelle et continue s’intéresse aux deux problématiques suivantes : Comment les personnes prennent-elles les décisions en matière de formation continue en lien avec leur activité lucrative ? Quels sont, chez les différents acteurs, les besoins de gestion en lien avec les nouvelles approches sur le développement des compétences ? De plus, il est important de comprendre les répercussions des évolutions actuelles de l’économie sur le concept de professionnalité et sur d’autres formes de l’activité lucrative [5]. Une autre question transversale se pose aussi : Comment les exigences en matière de qualification professionnelle peuvent-elles être conciliées avec l’exigence de concevoir son propre parcours professionnel ? Pour aborder ces questions, il faut davantage de recherche empirique sur la formation continue à des fins professionnelles et aussi des concepts adaptés, qui permettent d’analyser ces problématiques.
[1] Ce texte repose sur le discours intitulé « Formation continue à des fins professionnelles – Ébauche d’un domaine de recherche en lien avec les sciences de l’éducation » que Katrin Kraus a prononcé le 21 avril 2022 à l’occasion de sa nomination à la chaire de la formation professionnelle et continue de l’Université de Zurich. La version enregistrée de ce discours est disponible via ce lien. [2] Il s’agit des métiers accessibles via la formation professionnelle initiale sanctionnés par une attestation fédérale de formation professionnelle ou un certificat fédéral de capacité. À ces diplômes s’ajoutent environ 650 diplômes reconnus de la formation professionnelle supérieure (examens professionnels / examens professionnels supérieurs et écoles supérieures). [3] Toutes les données dans la section suivante sont issues des résultats de l’Office fédéral de la statistique et ont été partiellement arrondies à des fins de présentation. Lien vers le microrecensement Formation de base et formation continue : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/education-science/formation-continue/population.html (dernier accès le 8.8.2022) [4] Source des informations : Office fédéral de la statistique (OFS): La formation tout au long de la vie en Suisse: résultats du microrecensement Formation de base et formation continue 2016. Neuchâtel 2018 [5] Voir à ce sujet les deux projets actuels de la chaire: « Compétences en entrepreneuriat dans la formation professionnelle » et « Compétences transversales dans le secteur des services »Bibliographie
- Billett, Stephen (2022). Lifelong Learning. Oxford Research Encyclopedia of Education. 20 Jun. 2022; Accessed 8 Aug. 2022.
- Kraus, Katrin (2022a). Funktionalität des Berufsbildungssystems im produktiven Spannungsverhältnis zwischen Flexibilität und Stabilität. Berufsbildung in Wissenschaft und Praxis 3/2022.
- Kraus, Katrin (2022b). Die Entwicklung von professionnalité über iterative Lern- und Bildungsprozesse. Zeitschrift für Weiterbildungsforschung – Report.
- Scott McLean (2022). Understanding the evolving context for lifelong education : global trends, 1950-2020, International Journal of Lifelong Education, 41:1, 5-26
Citation
Kraus, K. (2022). Un domaine pédagogique sous-estimé. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(3).