Défis spécifiques pour les jeunes vivant en foyer
L’insertion professionnelle des Care Leavers
Les jeunes vivant dans des foyers se voient confrontés à des défis spécifiques pour leur insertion professionnelle. Ainsi, dans la plupart des cas, ils sont peu soutenus par leurs parents ou leur entourage social élargi pour le choix d’un métier et pendant leur formation. On remarque que beaucoup de ces jeunes choisissent plutôt un apprentissage d’accès aisé – et qu’il n’est guère question de formations plus exigeantes, éventuellement scolaires dans des écoles secondaires II. C’est ce qui ressort d’une étude achevée récemment de la haute école de travail social ZHAW.
Introduction
Les interviews fournissent des indications suggérant que les éducatrices et éducateurs sociaux ont des attentes de formation plutôt peu élevées envers les jeunes en ce qui concerne le niveau de formation, et ont tendance à favoriser des formations de courte durée.
On entend par Care Leavers des jeunes femmes et hommes qui doivent quitter leur foyer ou la famille d’accueil à l’atteinte de leur majorité ou quelque temps après, parce que la prise en charge par l’aide à l’enfance et à la jeunesse prend fin. Des études réalisées à l’étranger et en Suisse montrent que les Care Leavers doivent devenir autonomes plus tôt que d’autres jeunes, et sont confrontés à divers défis tels que des ressources financières restreintes ou peu de soutien social (cf. Marion & Paulsen, 2019 ; Ahmed, Rein & Schaffner, 2020 ; Stohler, Werner & Brahmann, 2021). La littérature internationale fait également ressortir que les Care Leavers obtiennent des certifications formelles de niveau moins élevé que les jeunes adultes qui grandissent chez leurs parents, et que leur intégration à long terme au marché du travail est ainsi compromise (O’Higgins et al. 2015 ; Köngeter et al. 2016 ; Cameron et al. 2018 ; Groinig et al. 2019).
On ne connaît pas en Suisse le nombre de jeunes adultes qui quittent annuellement les foyers et les familles d’accueil. De même, il n’y a que peu de données empiriques établies sur l’insertion professionnelle de Care Leavers. Des indications que celle-ci ne se passe pas toujours sans problème sont fournies d’une part par des études sur les jeunes adultes dans l’aide sociale (Schaffner 2007 ; Stohler & Gehrig, 2014), ainsi que par quelques études plus anciennes sur les Care Leavers (Crain 2012, Schaffner & Rein 2013). L’on ne sait également que peu de chose sur la façon dont les jeunes dans les foyers sont soutenus par des spécialistes pour le choix d’un métier et pendant leur formation. De premières études montrent que les spécialistes travaillant dans les foyers accordent une grande importance à l’insertion professionnelle, mais font souvent face dans leur travail à des aspirations professionnelles peu réalistes des jeunes (Schaffner, 2014). Les jeunes eux-mêmes ont des perceptions diverses de l’utilité du soutien dont ils bénéficient pour le choix d’un métier (Schaffner & Läber 2017, Ahmed et al., 2020).
L’étude : insertion professionnelle des Care Leavers en Suisse
L’étude qualitative « Insertion professionnelle des Care Leavers en Suisse»[1] s’est penchée sur les défis auxquels sont confrontés les jeunes dans les foyers pour le choix d’un métier et pendant leur formation. Elle a pris en compte les perspectives des jeunes, des éducatrices et éducateurs sociaux dans les foyers et des spécialistes de la formation professionnelle.
On n’a inclus dans le sondage que des foyers dans lesquels les jeunes accomplissent leur formation à l’extérieur sur le premier marché du travail. Au total, huit éducatrices et éducateurs sociaux de huit foyers des cantons de Berne et de Zurich ont été interrogés dans le cadre d’interviews structurées. L’accès aux jeunes s’est fait par le biais des éducatrices et éducateurs sociaux. Deux discussions de groupe dans deux foyers ont été menées. Deux jeunes intéressés de deux autres foyers ont été interviewés individuellement. Au total, onze jeunes adultes (huit femmes et trois hommes) de 14 à 22 ans ont participé à l’enquête. Parmi les jeunes interrogés, deux fréquentaient encore l’école obligatoire, cinq se trouvaient dans une solution transitoire, trois étaient en apprentissage, et une personne avait déjà accompli un apprentissage.
Par ailleurs, on a mené dans les cantons de Berne et de Zurich des entretiens avec 28 spécialistes de la formation professionnelle. Parmi ceux-ci comptaient des formateurs et formatrices, des responsables de formation dans les entreprises, des enseignants et enseignantes d’écoles professionnelles, des spécialistes de services de conseil dans les écoles professionnelles, des conseillers et conseillères en orientation, ainsi que deux spécialistes des offices cantonaux responsables. Les données ont été relevées entre janvier 2019 et mars 2020. Toutes les interviews et discussions de groupe ont été enregistrées numériquement avec l’accord des personnes interrogées, transcrites et soumises à une analyse du contenu.
Stigmatisation lors de la recherche d’une place d’apprentissage ?
Les résultats montrent que le choix d’un métier et la recherche d’une place d’apprentissage constituent pour les jeunes des foyers un défi particulier. Ils doivent – tout comme d’autres jeunes – opter de façon précoce pour un métier, ce que la plupart des jeunes interrogés ont qualifié de difficile. Plusieurs jeunes adultes ont fait état d’expériences de stigmatisation lors de la recherche d’une place d’apprentissage parce qu’ils vivent dans un foyer. Ainsi, Sophie explique : « Eh bien, je pense que c’est encore vraiment méga grave comment les entreprises formatrices… quelle que soit la raison pour laquelle on ne vit plus à la maison, elles nous stigmatisent : » Ah, c’est un enfant à problèmes « ». Pour ne pas être victime de tels préjugés, plusieurs jeunes adultes racontent que lors de la recherche d’une place d’apprentissage, ils cachent dans un premier temps le fait qu’ils vivent dans un foyer. Marie : « Je suis aussi allée à l’entretien de candidature. (…) Là encore, je ne l’ai pas dit, et ça s’est passé tout à fait normalement, et ils m’ont prise. Et puis, tout à la fin [de la procédure de candidature, n.d.a), lorsqu’il s’est agi du financement, là je l’ai dit (qu’elle vivait dans un foyer, n.d.a.) ».
Plusieurs éducatrices et éducateurs sociaux également ont exprimé la supposition que certains responsables de la formation dans les entreprises ont des réserves par rapport aux jeunes venant d’un foyer. Les responsables de formation interrogés ont toutefois nié cela, et souligné que pour l’attribution d’une place d’apprentissage, c’étaient les compétences et la personnalité des jeunes qui étaient déterminantes, et non pas leur situation familiale.
Défis pendant l’apprentissage
Dans la plupart des cas, les jeunes sont peu soutenus par leurs parents ou leur entourage social élargi pour le choix d’un métier et pendant leur formation, comme le soulignent la plupart des éducatrices et éducateurs sociaux et des spécialistes de la formation professionnelle interrogés.
Pour les jeunes femmes et les jeunes hommes qui vivent dans un foyer, la formation est associée à des défis spécifiques. Ce fait est souligné par tous les trois groupes de personnes interrogées. Les spécialistes du domaine des foyers et de la formation évoquent avant tout les problèmes personnels pesant sur les jeunes, qui peuvent rendre leur parcours de formation plus difficile. Les jeunes ont en outre mentionné les contraintes temporelles supplémentaires en raison d’exigences ou de rendez-vous dans le foyer, par exemple la participation à des soirées de groupe ou les entretiens individuels avec les responsables. Sophie l’a exprimé ainsi : « Et ça prend tellement de temps. Aussi suivre la formation, fonctionner là-bas, et ici aussi, il faut fonctionner d’une façon ou d’une autre. […] C’est un peu comme si on avait une double charge, que l’on n’aurait pas dans ce sens à la maison ».
Dans la plupart des cas, les jeunes sont peu soutenus par leurs parents ou leur entourage social élargi pour le choix d’un métier et pendant leur formation, comme le soulignent la plupart des éducatrices et éducateurs sociaux et des spécialistes de la formation professionnelle interrogés. Les jeunes eux-mêmes ont des perceptions diverses du soutien apporté par leur famille. Certains se sentent soutenus de façon adéquate pour les questions de formation. D’autres considèrent plutôt leur famille comme une charge, par exemple parce que leurs parents, en raison de leurs propres problèmes, ne peuvent pas s’employer dans leur intérêt. Anita dit : « Je pense que pour moi, ça fait une grande différence, parce que si j’étais à la maison, je crois que je ne m’investirais pas beaucoup pour mon avenir (…). Enfin, ma maman ne travaille pas non plus. »
Comment les jeunes sont aidés
Les éducatrices et éducateurs sociaux compensent le manque de soutien familial en assistant les jeunes femmes et les jeunes hommes pour le choix d’un métier et pendant leur formation. Dans les interviews, des formes variées de soutien sont évoquées, telles que l’aide pour la constitution de dossiers de candidature ou la proposition d’aides à l’apprentissage, et notamment l’accompagnement des jeunes en cas de crise. Les jeunes interrogés apprécient ce soutien et perçoivent également le foyer comme un espace qui leur permet de se concentrer sur leur formation. Nikki : « Eh bien, pour moi, cela a une influence, parce que si j’étais à la maison maintenant, je n’aurais vraiment pas du tout de temps, ou je serais sans arrêt dérangé, enfin j’étais dérangé. Je serais dérangé par ma famille, et ensuite, je n’aurais absolument pas le temps d’écrire des lettres de candidature. »
On remarque que les Care Leavers ne sont pas perçus par les spécialistes du domaine de la formation professionnelle comme un groupe particulier parmi les jeunes en formation. Peu d’enseignantes et enseignants des écoles professionnelles seulement ont conscience d’avoir des enfants placés ou des enfants vivant en foyer parmi leurs élèves. Selon les conseillers et conseillères dans les écoles professionnelles, les enfants placés ou vivant en foyer n’ont pas plus souvent recours à leurs prestations de conseil que les autres élèves. Ce fait est expliqué de diverses manières. Certaines personnes interviewées pensent que les enfants placés ou vivant en foyer bénéficient déjà d’un soutien suffisant de la part des parents d’accueil ou du foyer, et ne viennent donc pas en consultation. D’autres toutefois supposent que les Care Leavers ne se révèlent pas comme tels à l’école professionnelle parce qu’ils veulent être aussi normaux et bien intégrés que possible, comme l’illustre l’affirmation d’une conseillère dans une école professionnelle : « Il y a sans doute des élèves qui ne veulent pas révéler, et dont nous ne savons pas, qu’ils vivent dans une famille d’accueil ou sont pris en charge. »
Peu d’enseignantes et enseignants des écoles professionnelles seulement ont conscience d’avoir des enfants placés ou des enfants vivant en foyer parmi leurs élèves.
L’étude fait clairement ressortir que pour les jeunes adultes et les spécialistes, il est incontesté qu’une formation accomplie au degré secondaire II constitue un prérequis important pour l’intégration au marché du travail. On remarque que tous les jeunes interrogés – à une exception près – évoquent l’apprentissage, mais que des formations scolaires consécutives dans une école du secondaire II ne sont pas mentionnées. C’est également le cas pour les éducatrices et éducateurs sociaux interrogés. Dans les interviews, on trouve des indications qu’il leur importe particulièrement que les jeunes acquièrent une certification professionnelle avant de devoir quitter le foyer, ce qui est plutôt possible avec des exigences moins élevées et une durée de formation plus courte. Certains remarquent de manière autocritique que leurs attentes envers les jeunes, en ce qui concerne le niveau de formation, sont plutôt peu élevées en tendance. Plusieurs spécialistes du domaine de la formation professionnelle supposent par ailleurs que les enfants placés ou vivant en foyer, en raison de la situation financière précaire de leur famille, optent plutôt pour une formation de courte durée afin d’acquérir le plus rapidement possible une autonomie financière.
Mais les entretiens et les discussions de groupe avec les jeunes adultes montrent qu’ils ont bien des projets pour leur avenir professionnel ultérieur. Certains veulent progresser au sein du champ professionnel dans lequel ils ont accompli leur formation. D’autres mentionnent une deuxième formation ou une école consécutive (par exemple la maturité professionnelle) comme options possibles, comme le montre l’exemple d’Anita : « Oui, après, quand j’aurai fini l’apprentissage, je peux toujours encore réfléchir si je veux aussi passer la MP [maturité professionnelle, n.d.a.] ou suivre une haute école spécialisée, ou une formation continue, ou quelque chose comme ça. » On remarque que les jeunes ont des incertitudes et des doutes par rapport à la question si de telles formations professionnelles menant à des qualifications supérieures sont réalistes pour eux. La question du financement des projets professionnels notamment les préoccupe, car ils ont conscience du fait qu’ils seront financièrement livrés à eux-mêmes une fois qu’ils auront quitté le foyer.
Conclusion
Les résultats de l’étude montrent qu’une formation accomplie au degré secondaire II représente un objectif important des jeunes interrogés, pour lequel ils sont – comme l’indiquent par exemple les déclarations sur des expériences de stigmatisation et sur les difficultés familiales – confrontés à de nombreux défis. Afin qu’ils puissent les relever, ils sont soutenus de multiples manières dans le foyer par les éducatrices et éducateurs sociaux. Dans le contexte de la formation professionnelle, ils ne sont pas perçus par les spécialistes comme un groupe qui se démarque particulièrement des autres. Lors de la transition de l’école à la formation, l’accent est mis sur l’apprentissage, aussi bien par les jeunes que par le personnel d’éducation sociale. Les interviews fournissent des indications suggérant que les éducatrices et éducateurs sociaux ont des attentes de formation plutôt peu élevées envers les jeunes en ce qui concerne le niveau de formation, et ont tendance à favoriser des formations de courte durée. Ce résultat est confirmé par les constats de Schaffner (2014). Il convient donc de mener une réflexion critique sur le processus de choix d’un métier des jeunes vivant dans un foyer, afin que le potentiel de formation de ces jeunes puisse être pleinement exploité. Face au fait que l’apprentissage tout au long de la vie est devenu indispensable de nos jours, il importe par ailleurs de s’intéresser davantage au développement professionnel ultérieur des Care Leavers. Puisque le soutien par l’aide à la jeunesse prend fin au plus tard à l’issue de la formation, il est plus difficile pour les Care Leavers que pour les autres jeunes de leur âge, en raison de leur autoresponsabilité financière précoce et du manque de soutien familial, de réaliser leurs objectifs professionnels, par exemple d’entreprendre une formation continue, une deuxième formation ou des études. Du point de vue de la politique sociale et éducative, il convient donc d’étudier avec quelles mesures structurelles et conceptuelles (telles que des programmes ou des services de conseil spéciaux) l’on pourrait améliorer les chances de formation des Care Leavers en Suisse.
[1] Werner, Karin/Stohler, Renate (2021) : Berufliche Integration von Jugendlichen in Institutionen der Kinder- und Jugendhilfe – Herausforderungen und Unterstützung. Dans : Gesellschaft – Individuum – Sozialisation (GISo). Zeitschrift für Sozialisationsforschung, 2 (1).Literatur
- Ahmed, S., Rein, A., Schaffner, D. (2020): Care Leaver erforschen Leaving Care. Projektergebnisse und fachliche Empfehlungen. Muttenz: Fachhochschschule Nordwestschweiz.
- Cameron, C., Hollingworth, K., Schoon, I., van Santen, E., Schröer, W., Ristikari, T., Heino, T. , Pekkarinen, E. (2018): Care Leavers in early adulthood: How do they fare in Britain, Finland and Germany? In: Children and Youth Services Review, 87, 163–172.
- Crain, Fitzgerald (2012): «Ich geh ins Heim und komm als Einstein heraus». Wiesbaden: VS Verlag für Sozialwissenschaften.
- Groinig, M., Hagleitner, W., Maran, Th., Sting, St. (2019): Bildung als Perspektive für Care Leaver? Bildungschancen und Bildungswege junger Erwachsener mit Kinder- und Jugendhilfeerfahrung. Opladen: Verlag Barbara Budrich.
- Köngeter, St., Mangold, K., Strahl, B. (2016): Bildung zwischen Heimerziehung und Schule. Ein vergessener Zusammenhang. Weinheim: Beltz Juventa.
- Marion, E., Paulsen, V. (2019): The Transition to Adulthood form Care. A Review of Current Research. In Mann-Feder, V., Goyette, M. (Eds): Leaving Care and the Transition to Adulthood. International Contributions to Theory, Research, and Practice. – Oxford, S. 107-129.
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- Stohler, Werner, K., Brahmann, J. (2021). Leaving Care – eine Herausforderung für Pflegekinder in der Schweiz. Diskurs Kindheits- und Jugendforschung.16(3), S. 333-346.
Citation
Stohler, R., & Werner, K. (2022). L’insertion professionnelle des Care Leavers. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(3).