Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Sondage réalisé auprès de formateurs et formatrices en entreprise, en Suisse alémanique

Comment s’y prendre avec les apprentis présentant des troubles psychiques ?

Une formation professionnelle n’est pas seulement une étape importante de la vie professionnelle ; elle offre aussi l’opportunité de déceler le plus tôt possible certaines difficultés professionnelles d’origine psychique. Ce type de difficultés professionnelles ne cesse d’augmenter chez les adolescents et les jeunes adultes : Les déclarations d’invalidité pour raisons psychiques ont triplé chez les moins de 30 ans en Suisse depuis 1997. Un sondage réalisé en 2021 auprès de formateurs et formatrices en entreprise fournit à présent, pour la première fois, des données très complètes sur la façon dont ces derniers discernent les apprentis qui souffrent de désordres psychiques, ainsi que sur leur manière d’agir, leur assurance dans ce domaine et la fréquence de ce type de problèmes. Le fait qu’environ 6400 formateurs et formatrices aient participé à ce sondage est un indice de leur engagement et de l’urgence de cette problématique. Les résultats montrent quelles caractéristiques contribuent à la résolution du problème et quels facteurs de risque doivent être pris en considération. L’étude propose aussi des recommandations concrètes pour un meilleur soutien des formateurs et formatrices eux-mêmes.


Le nombre de personnes de moins de 30 ans bénéficiant d’une rente AI en Suisse a plus que triplé au cours des 25 dernières années, passant de 3834 (soit 0,67 % des membres de cette tranche d’âge) à 13 048 (soit 2,18 %).

Les troubles psychiques chez les adolescents et les jeunes adultes sont un sujet dont l’importance est actuellement en hausse. On observe par exemple que de plus en plus de jeunes reçoivent des soins psychiatriques ou psychothérapeutiques. Les délais d’attente sont longs.

Les troubles et désordres psychiques ont une importance significative pendant l’éducation parce que, contrairement aux maladies physiques, ils débutent souvent très tôt. Un quart des troubles psychiques commence (Kessler et al., 2005). Cela signifie que la moitié des personnes souffrant de troubles psychiques ont déjà développé des troubles avant l’entrée au degré secondaire II.

En Suisse aussi, de manière comparable aux observations faites dans d’autres pays, environ 20 % des apprentis résilient leur contrat d’apprentissage (Office fédéral de la statistique, 2021). Bien que beaucoup d’entre eux trouvent ensuite un nouvel apprentissage qui leur convient peut-être mieux, les difficultés professionnelles d’origine psychique peuvent néanmoins affecter la carrière professionnelle à venir. Ainsi, le nombre de personnes de moins de 30 ans bénéficiant d’une rente AI en Suisse a plus que triplé au cours des 25 dernières années, passant de 3834 (soit 0,67 % des membres de cette tranche d’âge) à 13 048 (soit 2,18 %) (Office fédéral des assurances sociales, 2022).

Cette tendance sur le long terme ne s’explique pas par une augmentation épidémiologique des troubles psychiques chez les jeunes (Richter, 2020) mais par le fait que de nos jours, nous agissions autrement et de manière plus professionnelle face aux problèmes d’ordre psychique. En effet, les troubles psychiques ont toujours été très répandus : environ un quart des jeunes souffre d’un trouble psychique chaque année. Certes, le décèlement et le traitement plus fréquents sont un progrès. Mais de toute évidence, l’augmentation de l’aide professionnelle ne contribue pas suffisamment à ce que plus de jeunes réussissent dans leur formation et sur le marché du travail. Pourquoi en est-il ainsi ?

Caractéristiques de l’enquête et des participants

L’objectif de ce projet de recherche consistait à mettre en place une base de données concernant les apprentis qui présentent des désordres ou des troubles psychiques, ainsi que leur parcours d’apprentissage. On peut s’attendre à ce que ce projet fournisse des indices sur une meilleure manière d’apporter un soutien, à l’avenir, aux apprentis concernés ainsi qu’à leurs formatrices et formateurs. Les données ont été prélevées par WorkMed (voir encadré) au moyen d’un sondage en ligne réalisé entre mars et mai 2021.[1] Toutes les formatrices et tous les formateurs en entreprise, de même que les responsables de formation en principe actifs ont été interrogés dans cinq cantons de la Suisse alémanique (BS, BL, SO, AG et BE) et dans certaines organisations de ce secteur (Login, Gastrosuisse).

WorkMed est un Centre de Compétences de Psychiatrie à Bâle-Campagne. Il s’intéresse, dans la pratique et la recherche, au travail et à la santé psychique. Entre autres, WorkMed apporte son soutien aux formateurs et formatrices et aux entreprises, ainsi qu’aux écoles professionnelles et à leurs enseignants en Suisse alémanique par le biais d’entretiens au cas par cas, d’ateliers, de courtes consultations et de coaching. Pour en savoir plus, veuillez consulter www.workmed.ch. Contact : tél. +41 61 685 15 15, kontakt@workmed.ch

9057 personnes au total ont cliqué sur le lien de l’enquête. 6365 d’entre elles ont répondu à l’enquête, au moins en partie. 2909 personnes ont répondu à la totalité de l’enquête.

Il était demandé aux participants :

  1. de se souvenir, au hasard, d’un ou d’une apprenti·e qui n’avait pas de problème et qui n’en posait pas ;
  2. qui affichait des troubles d’ordre psychique qui ont pu être résolu ; ou
  3. qui n’ont pas pu être résolu ;
  4. ou de se souvenir simplement du dernier apprentissage.

Cette conception a permis d’analyser les différences entre les parcours d’apprentissage qui ne posent pas de problème, ceux qui posent des problèmes qui sont résolus, et ceux qui ne sont pas résolus. De plus, la dernière question d’ouverture a permis d’estimer la fréquence de ces différents types de parcours.

Résultats de l’enquête

Au total, un tiers des apprentis a été soigné pour un problème psychique, à un moment ou à un autre au cours de son apprentissage

Prendre au sérieux les troubles psychiques. À la question concernant leur dernier apprenti, les participants ont indiqué dans 41 % des cas que le parcours d’apprentissage n’avait pas posé problème, dans 33 % des cas qu’il avait posé des difficultés qui avaient été résolues et dans 26 % des cas, des difficultés non résolues. Cela signifie que des problèmes ont été perçus chez la majorité des apprentis. Il ne faut pas en conclure que tous ces apprentis souffraient d’un trouble psychique : au cours d’une formation, et plus tard aussi au travail, des problèmes peuvent survenir. Toutefois, ce résultat doit être pris au sérieux car entre les parcours problématiques et ceux qui ne posent pas de problème. De plus, parmi les cas problématiques résolus, environ 40 % bénéficiaient d’une prise en charge psychologique ou psychiatrique ; et 45 % parmi les cas problématiques non résolus. Au total, un tiers des apprentis a été soigné pour un problème psychique, à un moment ou à un autre au cours de son apprentissage ; chez 20 % des apprentis, on ne sait pas s’ils ont connu ou non une telle prise en charge.

Beaucoup de situations problématiques sont résolues. L’abandon de l’apprentissage reste un cas minoritaire : parmi les parcours problématiques résolus, on compte 12 % d’abandons ; contre 35 % parmi les parcours problématiques non résolus. Dans le cas des parcours qui ne posent pas problème, il n’y a presque jamais d’abandon. Cela signifie que l’abandon d’un apprentissage ne doit pas être simplement perçu, de manière généralisée, comme n’étant pas problématique (le métier n’était pas le bon, par exemple). D’un autre côté, il faut noter que même les parcours problématiques débouchent, dans la plupart des cas, sur une fin d’apprentissage normale. C’est certainement aussi un indice de l’engagement des personnes impliquées. D’un autre côté, la question se pose de savoir quelles seront les chances de ces jeunes sur le marché du travail une fois l’apprentissage terminé, alors qu’ils ne bénéficieront plus d’un soutien aussi intensif ou que la tolérance envers eux diminuera dans le cadre d’un contrat de travail ordinaire.

La manière dont les problèmes sont traités est décisive. Pour cela, il est particulièrement intéressant d’observer comment les apprentis ont réussi, malgré leurs difficultés d’ordre psychique, à trouver de bonnes solutions pendant leur apprentissage. Ces parcours peuvent aider les jeunes à surmonter les défis de manière productive, à l’avenir aussi, sur le marché du travail.

Figure 1 : Résolution des problèmes en fonction du déroulement de l’apprentissage

Le comportement des apprentis qui, en dépit de troubles psychiques, trouvent de bonnes solutions au cours de leur apprentissage, se distingue par les caractéristiques suivantes (figure 1) :

  • ils tendent plutôt à prendre conscience de leur problème et mentionner ouvertement son existence ;
  • en cas d’absence, ils restent en contact avec leur entreprise ;
  • ils viennent au travail même lorsqu’ils ne vont pas très bien ;
  • ils s’en tiennent à ce qui a été convenu ;
  • ils restent actifs et cherchent des solutions.

Les apprentis masculins affichent plus de troubles et une manière plus passive de résoudre leurs problèmes. En ce qui concerne les difficultés professionnelles, et aussi la manière de leur faire face, on constate des différences très nettes entre les hommes et les femmes : Les jeunes hommes affichent des déficits plus importants dans presque tous les domaines, ils sont plutôt passifs et tendent à consommer plus souvent des stupéfiants (alcool/cannabis) dans une quantité nocive. Les apprenties, quant à elles, révèlent plus souvent leur problème, s’en tiennent à ce qui a été convenu, viennent au travail même lorsqu’elles ne se sentent pas bien et s’efforcent plus souvent de résoudre activement leurs problèmes. De plus, les femmes apprenties entreprennent plus souvent un traitement. Chez elles, on observe des déficits plus fréquents uniquement dans les domaines de la capacité à s’imposer (dire « non », se défendre), de la confiance en soi (forte peur de commettre des erreurs) et de l’humeur (sautes d’humeur plus fréquentes).

Des caractéristiques de l’entreprise formatrice peuvent aussi venir augmenter le risque de parcours compliqué. Dans cette catégorie, on notera surtout l’insuffisance de travail judicieux et le manque de compréhension envers les problèmes personnels des apprentis.

Facteurs de risque liés à un déroulement problématique de l’apprentissage. On constate qu’une série de facteurs d’ordre personnel, social, fonctionnel ou liés à l’entreprise, influent sur le déroulement de l’apprentissage. Les apprentis qui souffrent d’un trouble psychosocial ou qui reçoivent peu de soutien de la part de leurs familles, qui n’ont pas de bons amis, qui présentent un problème de dépendance et qui consacrent leur temps libre à des loisirs passifs ont plus de risque de rencontrer des problèmes pendant leur apprentissage. Par ailleurs, plus les apprentis présentent de limitations fonctionnelles, plus le risque de connaître un parcours compliqué est élevé. Il est question ici, en particulier, de déficits dans les domaines suivants : respect des règles, intégration dans l’équipe, sautes d’humeur et concentration. Des caractéristiques de l’entreprise formatrice peuvent aussi venir augmenter le risque de parcours compliqué. Dans cette catégorie, on notera surtout l’insuffisance de travail judicieux et le manque de compréhension envers les problèmes personnels des apprentis.

Les formateurs et formatrices sont engagés, mais manquent d’assurance face aux problèmes psychiques. Les formateurs en entreprise ressentent de l’assurance dans de nombreux domaines en lien avec leur activité, par exemple face à la démotivation ou aux problèmes de performance des apprentis. En revanche, la majorité d’entre eux manque d’assurance face à des problèmes psychiques ou à des addictions. Ce manque d’assurance diminue à mesure que leur expérience professionnelle augmente ; malgré tout, même parmi les formateurs très expérimentés, presque la moitié manque d’assurance face à ces problèmes. À cela s’ajoute que les formateurs font certes preuve d’engagement et de soutien ; mais que lorsque les problèmes persistent, soit ils ne font pas du tout appel à une aide professionnelle, soit ils n’y ont recours que très tard.

On constate aussi un manque d’assurance dans le contact avec des tierces personnes. Il n’existe que rarement, voire presque jamais de recours à une aide spécialisée telle que des services de psychiatrie ou un office AI. Ainsi, les apprentis n’ont été signalés à un office AI que dans moins de trois pour cent des cas. Dans le même temps, environ la moitié des formateurs déclarent qu’ils auraient souhaité disposer d’une aide spécialisée : de plus d’informations concernant la condition de leur apprenti, d’un échange avec le psychiatre ou la psychothérapeute ou avec un centre de consultation externe, ou de plus grandes connaissances à ce sujet à l’aide de formations.

Peu de soutien aux formateurs et formatrices. Cependant, les services spécialisés sont non seulement rarement contactés, mais ils ne se considèrent pas non plus responsables d’apporter un soutien proactif aux formateurs en entreprise. Certes, environ 45 % des apprentis présentant des problèmes bénéficient d’une prise en charge ; mais dans seulement 17 % des cas, un contact a lieu entre leur thérapeute et l’entreprise. Peut-être à cause d’une certaine gêne : en substance, il faut éviter que les apprentis soient précipitamment ou inutilement pathologisés. La conséquence est que les formateurs en entreprise sont livrés à eux-mêmes, ou gardent pour eux la situation, et que l’opportunité est manquée d’apporter un soutien aux jeunes dans leur développement et d’agir le plus tôt possible, et de façon ciblée, contre leurs troubles psychiques.

Conséquences

Une question nous semble plus importante que la fréquence élevée de troubles d’origine psychique chez les apprentis : il s’agit de savoir comment toutes les personnes impliquées font face, ensemble, à de telles situations. Les troubles et problèmes d’ordre psychique sont, de manière générale, très fréquents ; mais la plupart des personnes concernées parviennent malgré tout à accomplir une formation et à s’établir de façon satisfaisante sur le marché du travail. L’objectif ne consiste donc pas à empêcher les problèmes d’ordre psychique, mais à apprendre comment s’y prendre le mieux possible face à de tels problèmes.

À ce sujet, le sondage nous donne quelques indices pour un comportement productif chez les apprentis. Pour cela, ces derniers (figure 1) :

  • tendent plutôt à prendre conscience de leur problème et mentionner ouvertement son existence ;
  • restent en contact avec leur entreprise en cas d’absence ;
  • viennent au travail même lorsqu’ils ne vont pas très bien ;
  • s’en tiennent à ce qui a été convenu ;
  • restent actifs et cherchent des solutions.

Les formateurs en entreprise, quant à eux, devraient aborder les problèmes le plus tôt possible et faire plus rapidement appel à un soutien professionnel si la situation ne s’améliore pas.

Les formateurs en entreprise, quant à eux, devraient aborder les problèmes le plus tôt possible et faire plus rapidement appel à un soutien professionnel si la situation ne s’améliore pas. Les médecins traitants et psychothérapeutes devraient chercher à prendre contact, de manière proactive, avec le formateur ou la formatrice en entreprise (en concertation, bien sûr, avec leur patiente ou patient), leur proposer leur soutien et les informer de façon appropriée.

Il nous semble particulièrement important que les problèmes d’ordre psychique chez les apprentis soient pris autant au sérieux, par toutes les parties impliquées, qu’ils le sont chez les adultes. Cela signifie, entre autres, qu’un échange approprié avec des services d’aide spécialisée doivent avoir lieu aussi pour les jeunes. L’idée, bonne en soi, de ne pas vouloir « pathologiser » les jeunes, atteint ses limites lorsqu’il existe d’ores et déjà une souffrance, une maladie ou un traitement, ou encore un risque non négligeable vis-à-vis du marché du travail. Normalement, il ne suffit pas que l’apprenti soit médicalement pris en charge pour solutionner le problème. Un soutien psychologique ou psychiatrique s’impose, qui se focalise sur les conditions de formation et sur la situation de travail du formateur et de l’entreprise formatrice. Cela peut avoir lieu sous forme de formations (de base et complémentaire) pour les formateurs, ainsi que par l’accès à des offres à bas seuil de coaching et de conseil.

[1] Le rapport d’étude dans son entier peut être consulté sur Internet. L’étude a été conçue et réalisée avec les partenaires suivants : département de la santé du canton de Bâle-Ville (service prévention), département de l’éducation (service des écoles de maturité et de la formation professionnelle), Arbeitgeberverband Basel (association des employeurs de Bâle), union des arts et métiers de Bâle-Ville et fondation Rheinleben. Nous remercions la fondation Promotion Santé Suisse, le département de la santé du canton de Bâle-Ville ainsi que les fondations privées suivantes pour leur soutien financier : ALU-Stiftung GmbH, fondation Sophie et Karl Binding, fondation Koechlin-Vischer, Stiftung für Hilfeleistungen an Arbeitnehmende (fondation pour l’assistance aux salariés).

Bibliographie

  • Office fédéral de la statistique (2021). Résiliation du contrat d’apprentissage, réentrée, statut de certification. Résultats pour la formation professionnelle initiale duale (AFP et CFC), Neuchâtel. Office fédéral de la statistique.
  • Office fédéral des assurances sociales (2022). Statistique de l’AI. Berne.
  • Kessler, R.C., et al. (2005). Lifetime Prevalence and Age-of-Onset Distributions of DSM-IV Disorders in the National Comorbidity Survey Replication. Archives of General Psychiatry, 62, 593-602.
  • Richter, D. (2020). Die vermeintliche Zunahme psychischer Erkrankungen – Gesellschaftlicher Wandel und psychische Gesundheit. Psychiatrische Praxis, 47(07), 349–351.
Citation

Baer, N., Schmocker, B., & Kuhn, T. (2022). Comment s’y prendre avec les apprentis présentant des troubles psychiques ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(1).

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