Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Formation professionnelle initiale en maçonnerie

Conditions de formation du point de vue des apprenti-e-s

La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est forte dans de nombreux métiers manuels, notamment dans la maçonnerie. Beaucoup d’entreprises parviennent de moins en moins bien à trouver et à garder des apprenti-e-s. Le nombre d’apprenti-e-s maçons (CFC) a diminué d’un quart entre 2015 et 2020 (OFS 2021). Un travail manuel exécuté en extérieur, dans des conditions météorologiques parfois difficiles, manque peut-être d’attrait auprès des jeunes. Une étude qualitative mené par la HEFP auprès de futurs maçons et futures maçonnes a révélé que les jeunes s’épanouissent dans ce métier et apprennent vite à s’accommoder de conditions de travail exigeantes. Cependant, les conditions de formation dans les entreprises sont parfois jugées difficiles. Elles ne dépendent pas seulement de l’entreprise formatrice, mais aussi de spécificités sectorielles.


La plupart des apprenti-e-s interrogé-e-s dans le cadre du présent projet s’identifient avec leur métier, car elles et ils le perçoivent comme varié et exigeant.

La plupart des apprenti-e-s interrogé-e-s dans le cadre du présent projet s’identifient avec leur métier, car elles et ils le perçoivent comme varié et exigeant. Les maçon-ne-s travaillent sur de petits et de grands chantiers, dans la construction neuve comme dans la rénovation. L’éventail des tâches est très large. Elles et ils construisent des murs, fabriquent des coffrages, exécutent divers travaux de bétonnage, posent des fers d’armature et participent aux travaux d’excavation et de canalisation. Le métier est exigeant sur le plan non seulement physique, mais aussi mental. Outre l’habileté manuelle et la patience, il sollicite aussi la faculté d’abstraction et une pensée logique et mathématique, nécessaires à la compréhension de processus complexes et à l’exécution de travaux de mensuration.

Les jeunes en formation apprécient tout particulièrement les travaux pratiques, car bon nombre d’entre elles sont issues de milieux proches des métiers manuels. Même si certaines n’ont découvert le métier qu’après quelques détours dans leurs parcours, il est rarement perçu comme un second choix. Ces apprenti-e-s trouvent un sens à leur activité en voyant par exemple le travail accompli à la fin de la journée. De plus, elles et ils bâtissent des ouvrages qui sont d’une grande utilité. Il ne faut pas non plus oublier les conditions de travail attrayantes (salaire, p. ex.), garanties par des conventions collectives, ni les possibilités de carrière (à titre de contremaître ou chef de chantier), qui jouent un rôle essentiel. Pourtant, comment se fait-il que certain-e-s apprenti-e-s critiquent les conditions de formation en entreprise ? à quels défis les personnes en formation (et indirectement aussi les entreprises) sont-elles confrontées durant l’apprentissage (Felder et al. 2020, Duemmler et al.2021, Caprani et al. 2022) ?

L’intégration dans l’équipe, condition préalable à l’apprentissage professionnel

Les responsables officiels de la formation en maçonnerie dépendent pour l’encadrement pratique des apprenti-e-s fortement des contremaîtres ou d’autres membres de l’équipe, car ils sont eux-mêmes peu présents sur le chantier. Dans les grandes et moyennes entreprises, ils travaillent par exemple comme techniciens au niveau de la planification dans les bureaux. Dans les petites entreprises, ce sont les entrepreneurs eux-mêmes, qui se chargent entre autres aussi des commandes. Ils sont responsables du respect du plan de formation et affectent les apprenti-e-s aux équipes de chantier. L’apprentissage du métier s’effectue donc prioritairement sur le chantier et en collaboration avec les maçon-ne-s, les ouvriers non-qualifiés ou semi-qualifiés, les chef-fe-s d’équipe et contremaîtres.

Au sein de ces communautés de pratiques, selon la littérature sur l’apprentissage sur le lieu de travail (Lave & Wenger 1991), les personnes en formation sont d’abord affectées à des tâches simples et périphériques, afin de se familiariser avec les normes, valeurs et pratiques du métier. Avec le temps, elles se voient confier des tâches plus exigeantes et centrales et deviennent des membres à part entière de l’équipe. Comme le révèle l’enquête, ce passage n’est pas automatique. Les personnes en formation doivent pouvoir s’intégrer dans l’équipe. Un bon climat de travail et de la collaboration ainsi que l’ouverture des membres de l’équipe leur facilitent bien entendu la tâche. Elles ne se verront affecter des tâches exigeantes que si elles sont acceptées par les membres de l’équipe et si elles bénéficient de leur confiance. Dans les entreprises, les apprenti-e-s tournent entre plusieurs équipes afin d’apprendre de différents professionnels. Cela peut aussi constituer un avantage si l’intégration dans une communauté de travail ne fonctionne pas.

Ce qui caractérise l’apprentissage de la maçonnerie, c’est le contact avec une nombreuse main-d’œuvre non qualifiée ou semi qualifiée, qui maîtrise parfois mal les langues parlées en Suisse. Cela peut, mais ne doit pas devenir un problème. De leur côté, les personnes en formation doivent faire preuve d’ouverture et de respect vis-à-vis du personnel allophone. L’entreprise formatrice doit, quant à elle, veiller à ce que l’intégration et l’encadrement dans l’équipe soient réellement garantis. Il importe à cet égard que les membres de l’équipe aient de l’expérience en formation pour que les collègues et les responsables sachent s’identifier aux besoins des apprenti-e-s et corréler les travaux pratiques aux contenus théoriques de la formation. Certaines entreprises misent par conséquent sciemment sur un seul contremaître de formation et une équipe spécialisée dans l’encadrement des apprenti-e-s pendant toute la durée de l’apprentissage, ce qui leur épargne de devoir constamment s’intégrer dans une nouvelle équipe.

La concurrence : une forte pression sur les entreprises

Certaines personnes ont rapporté en outre qu’au fur et à mesure de la formation, elles ne pouvaient plus se permettre de commettre des erreurs mêmes si elles s’étaient peu exercées jusque-là et avaient acquis peu d’expérience.

Les entreprises du bâtiment s’engagent dans la formation professionnelle en vue de trouver une main-d’œuvre qualifiée et des cadres dirigeants dans un secteur à très forte intensité de main-d’œuvre. Cependant, l’orientation vers la production est largement prioritaire dans de nombreuses entreprises. Depuis des années, le secteur du bâtiment connaît une forte pression concurrentielle, conditionnée par de multiples petites et grandes entreprises suisses et étrangères, qui se font fortement concurrence pour une demande de construction limitée (Kaufmann & Bill-Körber 2007). La forte pression concurrentielle a même donné lieu en 2019 à davantage de faillites que de créations d’entreprise (SSE 2020 : 29). Notamment en raison de la hausse du prix des matières premières, les marges bénéficiaires s’avèrent plutôt maigres pour les entreprises (Kaufmann & Bill-Körber 2007, SSE 2020 : 16-17, 18). Ces défis structurels sont aussi parfois ressentis par les apprenti-e-s sur le chantier. Plusieurs d’entre elles et eux ont rapporté que leurs collègues et supérieurs hiérarchiques étaient régulièrement sous pression pour respecter les plannings et tenus de travailler de manière particulièrement efficiente.

Les personnes interrogées qui ont problématisé les conditions de formation imputent aussi les difficultés à cette pression structurelle. En effet, selon leur expérience, le stress peut avoir pour effet que leurs collègues et supérieurs hiérarchiques leur confient des tâches simples, capables d’être exécutées de manière routinière. L’affectation à des tâches plus exigeantes expose au risque que trop d’erreurs soient commises et retardent le travail. Certaines personnes ont rapporté en outre qu’au fur et à mesure de la formation, elles ne pouvaient plus se permettre de commettre des erreurs mêmes si elles s’étaient peu exercées jusque-là et avaient acquis peu d’expérience. On attendait vite d’elles qu’elles travaillent comme une main-d’œuvre qualifiée.

Cependant, le stress n’entraîne pas seulement un manque de tolérance par rapport aux erreurs. Les collègues et les supérieurs hiérarchiques manquent de plus en plus de temps pour encadrer les personnes en formation et les aider. La pression peut aussi avoir une incidence négative sur le climat de travail au sein de l’équipe et exercer une influence négative sur l’intégration sociale dans l’équipe. Certaines entreprises formatrices en sont conscientes et s’efforcent d’envoyer les apprenti-e-s sur des chantiers qui présentent une plus grande souplesse au niveau des délais (dans la rénovation, p. ex.). D’autres engagent des formateurs pratiques qui disposent de temps pour surveiller et encadrer la formation sur le chantier. Toutes les personnes interrogées ne souffraient pas de pression et de manque de temps dans l’entreprise formatrice ; ce qui leur importait finalement était la manière dont le stress était géré sur le chantier.

Éventail d’activités réduit par le travail à la tâche et les modes de construction modernes

Certain-e-s apprenti-e-s déploraient d’autres aspects des conditions de formation. Dans les moyennes et grandes entreprises, l’externalisation d’activités (construction en briques, p. ex.) au profit de travailleurs à la pièce, souvent engagés par des sous-traitants, est répandue. Cette main-d’œuvre n’est pas payée à l’heure, mais en fonction du travail accompli, ce qui stabilise et réduit les calculs de temps et de coût pour les entreprises. Le travail à la tâche a toujours fait partie du métier de maçon, mais, d’après les entretiens avec des experts, il s’est développé en raison de la forte pression concurrentielle. Cela réduit toutefois les opportunités d’apprentissage pour les activités externalisées, car les apprenti-e-s ne peuvent pas collaborer et apprendre avec ce type de main-d’œuvre. Avec les autres membres de l’équipe, elles et ils s’occupent alors des activités restantes sur le chantier.

À cela s’ajoute que les apprenti-e-s sur de gros chantiers (immeubles collectifs ou commerciaux, p. ex.), sur lesquels travaillent surtout de grandes entreprises, sont moins en contact avec les travaux de maçonnerie traditionnels (briques, coffrages, revêtements, p. ex.) en raison des modes de construction modernes et standardisés. Selon le plan de formation, elles et ils devraient pourtant apprendre également ces techniques et ne prennent souvent conscience de leurs carences que dans le cadre de cours interentreprises et, plus tard, durant la préparation à l’examen final. Dans les petites entreprises, elles et ils participent plus souvent à la construction de maisons individuelles et sont donc davantage en contact avec l’ensemble des activités de maçonnerie. Les petites entreprises sont cependant liées à l’offre locale, qui peut s’avérer restreinte en fonction de la saison et limiter ainsi l’apprentissage du métier. Certaines entreprises du bâtiment s’efforcent déjà d’y remédier et fournissent du temps et du matériel sur des chantiers d’entraînement ou bien lancent des projets permettant aux apprenti-e-s d’exercer certaines activités.

Conclusions

De même, la surveillance cantonale de l’apprentissage doit assumer ses responsabilités et veiller au respect du plan de formation. Il est courant d’organiser des stages dans d’autres entreprises si l’entreprise formatrice ne peut offrir certaines activités.

La plupart des apprenti-e-s s’identifient au travail physique, aux compétences manuelles et aux possibilités de carrière en maçonnerie. Beaucoup veulent rester dans ce métier ou dans un autre métier manuel. Cependant, elles et ils ne trouvent pas toujours des contextes d’apprentissage leur offrant l’accès au large éventail des travaux de maçonnerie (Fuller & Unwin 2011), ce qui peut s’avérer problématique surtout vers la fin de la formation professionnelle. La forte pression concurrentielle, le travail à la tâche et les modes de construction modernes peuvent ainsi restreindre le contexte de la formation. Les entreprises formatrices doivent donc y remédier, ce que font déjà certaines d’entre elles. Cela implique un engagement clair en faveur de l’apprentissage et un meilleur encadrement dans l’entreprise. La communauté de travail doit être sensibilisée aux besoins de formation des apprenti-e-s et à son rôle dans leur intégration. Mais le personnel prenant en charge l’apprentissage sur le chantier devrait également être reconnu dans sa fonction et bénéficier de ressources temporelles suffisantes pour l’encadrement. De plus, les responsables de formation peuvent davantage veiller à sélectionner des chantiers sur lesquels il sera possible d’apprendre et d’exercer les tâches professionnelles. Le cas échéant, des chantiers d’entraînement peuvent constituer une bonne variante. De même, la surveillance cantonale de l’apprentissage doit assumer ses responsabilités et veiller au respect du plan de formation. Il est courant d’organiser des stages dans d’autres entreprises si l’entreprise formatrice ne peut offrir certaines activités. Il est également opportun de ne pas réduire les cours interentreprises, mais au contraire de les renforcer en guise de compensation de certaines lacunes. Enfin, la révision actuelle du plan de formation apportera sans doute des réponses à ces défis.

Remarques méthodologiques sur l’enquête

Dans le cadre de l’étude financée par le Fond national suisse sur le développement de l’identité professionnelle, 34 entretiens d’une heure ont été menés avec des apprenti-e-s maçon-ne-s en formation, de Suisse alémanique et de Suisse romande, ainsi que 7 discussions en groupe avec des classes d’écoles professionnelles entre 2018 et 2021. Les personnes interrogées étaient employées dans de petites, moyennes et grandes entreprises formatrices et se sont confiées à propos de leurs expériences de travail et de formation dans l’entreprise, de leurs progrès et de leur identification avec le métier. L’équipe de recherches a également pris part à 18 journées de cours en école professionnelle et à des cours interentreprises, à l’occasion desquels elle a pu mener des entretiens informels avec les personnes en formation. Deux tiers d’entre elles se trouvaient en fin de première année d’apprentissage, un tiers en dernière année. 8 entretiens ont également été menés avec le personnel enseignant, des responsables de cours interentreprises, des représentant-e-s d’associations professionnelles ainsi que des responsables de la formation.

Bibliographie

  • OFS (2021) : Statistique de la formation professionnelle initiale (SBG-SFPI). Neuchâtel, Office fédéral de la statistique.
  • Caprani, I., Duemmler, K., & Felder, A. (2022). L’influence de l’accompagnement dans la transmission des savoirs pratiques de métier. Le contexte de la formation en alternance en maçonnerie en Suisse. Education & Socialisation, 63.
  • Duemmler, K., Felder, F. & Caprani, I. (2021). Aktuelle Arbeits- und Produktionsbedingungen im Schweizer Maurerhandwerk. Einflüsse auf die betrieblichen Ausbildungsbedingungen aus Sicht von Lernenden. Zeitschrift für Berufs- und Wirtschaftspädagogik 117, 4, 538–559.
  • Felder, A., Duemmler, K., & Caprani, I. (2020). Restrictive and Expansive Participation in Companies’ Activities: A Case Study of Bricklaying and Automation Technology Apprentices in Switzerland. Journal of Education and Work, 1-14.
  • Lave, J. & Wenger, E. (1991). Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Cambridge: Cambridge University Press.
  • Fuller, A., & Unwin, L. (2011). Workplace learning and the organization. In M. Malloch, L. Cairns, K. Evans, & B. N. O’Connor (Eds.), The sage handbook of workplace learning. London: Sage. 46- 59.
  • Kaufmann, P. & Bill-Körber, A. (2007). Die Schweizer Bauwirtschaft – zyklische Branche mit strukturellen Problemen. Die Volkswirtschaft, 11, 36–40.
  • SSE (2020). Faits et chiffres 2020 : Nous créons le futur. Zurich, Société suisse des entrepreneurs.
Citation

Duemmler, K., Felder, A., & Caprani, I. (2022). Conditions de formation du point de vue des apprenti-e-s. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7.

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