Souvenirs – rétrospective de 50 ans d’école professionnelle
Et les chaises volèrent à travers la classe
Il y a 50 ans, la jeunesse a commencé à se rebeller contre les autorités – également dans les écoles professionnelles. Certains enseignants et enseignantes ont réagi de manière autoritaire, d’autres ont cherché le dialogue. Johannes Widmer était apprenti mécanicien à l’époque – et il est revenu à la TBZ huit ans plus tard comme enseignant en connaissances professionnelles. «Mon Dieu, que vient faire chez nous ce sauvage de Widmer?», s’est exclamé un membre du corps enseignant. Aujourd’hui, Widmer est à la retraite. Pour Transfert, il a consigné quelques-uns de ses souvenirs, par exemple ce moment où les chaises ont volé à travers la classe.
Au début des années 70, donc il y a environ 50 ans, je fréquentais l’école professionnelle d’Uster comme apprenti mécanicien. À cette époque déjà, nos enseignants nous disaient que «c’était mieux» autrefois dans les écoles professionnelles, parce que les jeunes étaient plus disposés à l’effort et que les classes étaient plus calmes. Cette thèse a déjà été réfutée par de nombreux experts, mais n’en persiste pas moins avec ténacité. Je l’aborde ci-après avec mes propres anecdotes, en les inscrivant dans un contexte social et pédagogique.
Conservateur ou antiautoritaire?
Les enseignants étaient en majorité très autoritaires, et certains frappaient même encore les élèves – imaginez donc cela aujourd’hui!
Vers le milieu des années 70, il y avait deux courants dans les classes des écoles professionnelles: les jeunes plutôt conservateurs et assidus dans l’apprentissage, et ceux qui étaient élevés de façon antiautoritaire. Du point de vue du deuxième groupe, les autres étaient des «bünzli» – ou même, selon l’orientation politique, des «ennemis de classe». Pendant ces années, j’allais à l’école et étais en apprentissage. Je me situais toujours, comme beaucoup de mes camarades, entre ces deux camps. D’un côté, nous admirions les antiautoritaires; d’un autre côté, nous voulions réussir notre apprentissage, ou même faire des études. Mais ce qui nous unissait, c’étaient nos propres voitures (rapides) et nos premières soirées en discothèque.
Les enseignants étaient en majorité très autoritaires, et certains frappaient même encore les élèves – imaginez donc cela aujourd’hui! Je n’avais donc en fait pas de véritables modèles dans le corps enseignant. Il n’y en a qu’un qui m’a impressionné, et voici comment: pendant une pause de midi, la classe était très agitée et s’est mise à lancer des éponges mouillées à travers la salle. Lorsque les premières chaises ont volé à leur tour, notre enseignant Monsieur R. a passé la tête à l’intérieur et hurlé «Arrêtez!». Mais ceci ne nous a guère impressionnés. Lorsque la première table a basculé, le professeur F. est entré. Il s’est assis parmi nous sur une chaise et a commencé dans tout ce tumulte à parler très calmement avec un ou deux élèves. Bientôt, nous étions tous assis en rond autour de lui et discutions. Je me souviens qu’il s’est entretenu avec nous sur le sujet « premier amour » – très calmement, mais de façon claire et déterminée. Au bout de 30 minutes, il a déclaré : « Maintenant, vous allez ranger et vous excuser auprès de mon collègue R. ». Pendant la leçon du professeur R. qui a suivi, nous avons été doux comme des agneaux et avons beaucoup appris. Comment le professeur F. avait-il fait cela ? Aujourd’hui, nous le savons ; à l’époque, c’était révolutionnaire.
Je devais avoir une réputation douteuse à l’école professionnelle, car lorsque je suis entré dans la salle des professeurs de nombreuses années plus tard comme enseignant stagiaire, le professeur R. m’a accueilli en ces termes: «Mon Dieu, que vient faire chez nous ce sauvage de Widmer?». C’est également le professeur R. qui m’a un jour lancé à la tête: «Je te souhaite ce qu’il y a de pire au monde, à savoir de devenir un jour enseignant à l’école professionnelle et de devoir enseigner à une telle bande de voyous.»
«Je te souhaite ce qu’il y a de pire au monde, à savoir de devenir un jour enseignant à l’école professionnelle et de devoir enseigner à une telle bande de voyous.»
Après des études d’ingénieur et quelques années à l’étranger, j’avais décidé de devenir enseignant à temps partiel à l’école professionnelle. Non, ce n’est pas Monsieur R. qui m’y a incité, c’est le professeur F. que j’ai revu plus tard et avec lequel je me suis même lié d’amitié. Ce professeur F. avec son attitude compréhensive envers les jeunes m’impressionne jusqu’à ce jour. Aujourd’hui, je sais comment il nous a calmés à l’époque!
Drogues et lutte de classe
À l’époque où j’ai moi-même commencé à enseigner à l’école professionnelle technique de Zurich (TBZ), les drogues sont devenues un thème majeur parmi les jeunes. Dans les années 80, cette question s’est exacerbée, et la jeunesse s’est divisée en deux camps: la minorité à la mentalité toujours encore plutôt conservatrice, et la majorité tendant au chahut et à la consommation de drogues. Superficiellement, il s’agissait de drogues, d’un centre autonome de jeunes et de la lutte contre l’«establishment», notamment contre la répression de la part des gouvernants et des enseignants. En y regardant de plus près et sur la base de mes propres expériences dans les années 70, j’ai dû constater que la semence de certains penseurs politiques de l’époque avait germé parmi les jeunes, poussant les drogues et la lutte de classe au premier plan. L’ère de la «génération dupée» avait commencé (Roland Baader, Die belogene Generation, Resch, 1999).
À l’école professionnelle, deux mondes s’affrontaient. D’une part, il y avait encore beaucoup d’enseignants âgés qui agissant de manière répressive, fumaient encore dans la classe et se promenaient en blouse bleue et cravate. D’un autre côté, il y avait les jeunes à l’éducation antiautoritaire, que personne ne comprenait plus et qui étaient ingérables avec les «recettes passe-partout» de la répression. Une situation critique. Ainsi, des rouleaux de papier hygiénique en feu ont été lancés par la fenêtre du cinquième étage («Zurich brûle»), certains jeunes pratiquaient la «désobéissance» à l’école, il y avait d’interminables discussions avec les élèves sur leur comportement. Malheureusement, il y a également eu des incidents avec des armes, et malheureusement aussi des jeunes clairement attirés par les milieux d’extrême-droite, ce qui se voyait immédiatement dans leur apparence.
Le dialogue ouvert
La seule issue pour sortir de cette impasse était à l’époque déjà le dialogue ouvert avec les jeunes sur leurs préoccupations.
La seule issue pour sortir de cette impasse était à l’époque déjà le dialogue ouvert avec les jeunes sur leurs préoccupations; il importait de les prendre au sérieux, mais aussi d’avoir une attitude claire par rapport aux règles qui devaient s’appliquer à l’école. Aujourd’hui, je sais: c’est cela que le professeur F. avait déjà fait avec nous dans les années 70.
Avec le changement du corps enseignant, avec des enseignants et enseignantes plus jeunes, on a réussi au fil des années à créer une ambiance plus favorable à l’école. Les directions des établissements, notamment les responsables des services, ont fait ici un excellent travail. Rétrospectivement, il faut reconnaître que Jeanne Hersch était l’une des seules pédagogues du pays à considérer à juste titre les révoltes de la jeunesse en Suisse dans les années 80 comme le résultat d’une éducation antiautoritaire avec un manque de modèles adultes et un manque de repères. Elle écrivait: «En réalité, l’une des sources du malheur d’une certaine jeunesse contemporaine, c’est, à mon avis, l’absence dans notre société de véritables adultes – et non la répression. Le ‘tout est permis’ est une façon de dire qu’il n’y a rien – rien qui contraigne, rien qui vaille, rien qui s’impose. On n’attend rien de personne, puisque tout est permis. C’est ce que j’ai appelé le vide nihiliste.» (Antithèses aux Thèses de la Commission fédérale pour la jeunesse 1980, Georg éditeur, Genève, 1981)
Les choses n’empirent pas, elles s’améliorent
Depuis les années 2000, on observe une amélioration constante de la compréhension de la jeunesse dans nos écoles. Ceci peut être dû à diverses raisons. Il y a certainement le sentiment général dans la société que la performance et la coopération ont de nouveau de la valeur. Mais il y a aussi l’organisation de l’école professionnelle, avec des médiateurs qui assistent les jeunes dans leurs soucis quotidiens, la culture de discussion ouverte, la détermination claire de ce qui est exigé à l’école en termes de comportement et de volonté d’apprendre, l’amélioration de l’enseignement qui tient davantage compte du lien avec la pratique et certainement aussi la réflexion permanente des enseignants sur les aspects qui permettent le succès d’un apprentissage chez les jeunes.
Ce que les élèves des gymnases et les étudiants organisent souvent le vendredi n’est pas approprié pour nos apprentis.
Les succès de nos élèves stimulent ces derniers tout comme leurs enseignants, et nous incitent tous à poursuivre sur la voie abordée et à l’améliorer en permanence. Le respect mutuel et le respect des enseignants qui peuvent à nouveau être des modèles pour la jeunesse assureront un développement durable dans les écoles professionnelles. J’espère simplement que le mouvement de la jeunesse pour le climat n’aura pas une trop grande influence sur nos élèves. Ce que les élèves des gymnases et les étudiants organisent souvent le vendredi n’est pas approprié pour nos apprentis, et présente certaines parallèles avec la «jeunesse politisée» des années 80. Nos élèves des écoles professionnelles donnent l’exemple: au lieu de perdre leur temps à manifester, ils coopèrent de manière constructive à des solutions technologiques et aident ainsi de manière positive à résoudre le problème.
Une remarque conclusive
Que l’on me pardonne cette conclusion toute simple, qui est en tout cas en contradiction avec la «névrose de changement et de modernisation» des pédagogues qui travaillent dans la formation des enseignants. Trop souvent, on prêche de nos jours le vieux vin dans de nouvelles outres; de véritables arsenaux d’armes pédagogiques sont proposés. Pourtant, l’«apprentissage auto-organisé» par exemple n’est pas une nouveauté à l’école professionnelle – seule une personne qui n’a encore jamais mis les pieds dans une école professionnelle pourrait le penser. Dès les années 70, il était reconnu d’une manière générale que les futurs professionnels devaient être formés à une autonomie élevée pour l’organisation du travail.
Mais en fin de compte, on ne peut réussir que si les enseignants disposent d’«…états d’esprit souhaitables – compétences, personnalité et aptitude relationnelle» et si les élèves sont en mesure d’évaluer leur propre niveau de performance. Le développement cognitif des apprenants et l’évaluation formative (selon John Hattie, «Lernen sichtbar machen» [Apprentissage visible], Schneider Verlag, 2014), constituent le fil directeur de l’enseignement.
Citation
Widmer, J. (2022). Et les chaises volèrent à travers la classe. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(1).