Étude de l'IFFP
Innovations en matière de formation professionnelle pour les PME en Suisse romande
La majorité des apprenti-e-s en Suisse sont formé-e-s dans des petites et moyennes entreprises (PME). La pression du temps, une charge de travail élevée et des ressources plus limitées que dans les grandes entreprises rendent difficile d’apporter un soutien adéquat aux apprenti-e-s et d’innover dans la formation professionnelle (FP). En même temps, les changements sur le marché du travail et dans les écoles exigent de nouvelles cultures d’apprentissage dans la formation en entreprise. En Romandie, les jeunes qui suivent une FP sont proportionnellement moins nombreux qu’en Suisse alémanique, l’influence culturelle gymnasiale étant plus présente. Ainsi, plusieurs pratiques innovantes ont su s’implanter en Romandie et se focalisent sur les processus d’orientation et de recrutement des potentiel-le-s apprenti-e-s. Dans ce cadre, l’article présentera la situation spécifique liée aux PME. Sur la base de plusieurs entretiens avec des institutions, des exemples sélectionnés de projets innovants seront illustrés.
La formation professionnelle dans le contexte romand : une histoire de PME
Au niveau national la formation professionnelle initiale (FPI) connaît un succès indéniable, avec 67.7% de jeunes qui débutent cette voie (Office fédéral de la statistique [OFS], 2020). L’attrait de la FPI n’est cependant pas également reparti entre régions suisses : en Romandie, à peine plus que la moitié (56.3%) des élèves qui terminent la scolarité obligatoire se dirigent vers la FPI, ce pourcentage étant particulièrement faible dans la région lémanique. A Genève, par exemple, seul un tiers des jeunes optent pour l’apprentissage, alors que dans les cantons primitifs de Suisse alémanique ce taux dépasse le 80% (OFS, 2020). Ceci peut s’expliquer par plusieurs raisons d’ordre socioculturel (systèmes de valeurs différents ; Geser, 2003) et historique (notamment en matière de préservation ou pas des politiques cantonales ou fédérales ; Berner & Bonoli, 2018). En Romandie, autant du côté des apprenti-e-s que du côté des entreprises, il y a une plus faible demande d’apprentissages. Cela se reflète notamment dans les taux de places d’apprentissage, où les cantons suisses-allemands ont tendance à « accueillir » plus d’apprenti-e-s que les romands (en guise d’exemple, le canton d’Uri a un taux de 7.8% de places d’apprentissage, contre 1.7% à Genève ; OFS, 2019).
A Genève, par exemple, seul un tiers des jeunes optent pour l’apprentissage, alors que dans les cantons primitifs de Suisse alémanique ce taux dépasse le 80% (OFS, 2020).
En Suisse, le 99% des entreprises sont classifiées en tant que petites et moyennes entreprises (PME), soit des sociétés de moins de 250 employé-e-s (OFS, n.d.). Parmi les PME, presque 90% sont des microentreprises (moins de 10 employé-e-s). Pour une PME, former un-e apprenti-e comporte plusieurs avantages, comme le fait d’assurer la relève. En effet, former quelqu’un « à l’interne », qui est déjà intégré-e dans le fonctionnement du travail et dans la culture de l’entreprise, fait de cette personne une très bonne candidate pour être embauchée (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle [CEDEFOP], 2015). En outre, dans le contexte suisse, former des apprenti-e-s donne une bonne réputation à l’entreprise (Elias, 2003). Au niveau organisationnel, il faut planifier les activités en prévoyant du temps pour l’encadrement de l’apprenti-e et pour la formation continue de la personne formatrice. Certaines PME, étant sectorielles, ne sont pas en mesure de montrer toutes les facettes du métier. Ce manque est en partie compensé par les deux autres lieux de la FPI (école professionnelle et cours interentreprises ; Wettstein et al., 2018) et par des arrangements tels que les réseaux d’entreprises formatrices. En termes de ressources humaines, la personne formatrice en entreprise (qui souvent est aussi le/la chef-fe d’entreprise) doit non seulement exécuter son travail, mais également suivre et former l’apprenti-e. D’ailleurs, le manque de temps et de ressources humaines pour former sont parmi les principales difficultés invoquées par les PME (Elias, 2003). Finalement, au niveau financier, l’apprenti-e, surtout les premières années, n’est pas rentable pour une entreprise (Gehret et al., 2019). C’est pourquoi, même si munies de bonne volonté, certaines PME ne sont pas en mesure d’accueillir des apprenti-e-s (CEDEFOP, 2015).
Des cultures d’apprentissage innovantes dans la FPI
La formation professionnelle en Suisse se transforme. La transmission des compétences transversales et la demande croissante de formation préalable des apprenti-e-s et des professionnel-le-s indépendant-e-s conduisent non seulement à de nouvelles formes d’enseignement et à une nouvelle culture de l’apprentissage (Brown et al., 1989) sur le lieu de travail, mais peuvent également nécessiter de nouvelles structures scolaires (Barabasch & Caldart, 2019). Si les conditions de l’enseignement professionnel ou de l’orientation professionnelle nécessitent des améliorations, les mesures compensatoires peuvent être considérées comme innovantes. Il peut s’agir de la création de réseaux d’information, de l’offre d’une première expérience professionnelle ou encore d’un placement dans un emploi. Dans le cadre de l’étude sur les nouvelles cultures d’apprentissage dans la formation professionnelle (Barabasch, 2020), des projets utilisant des approches innovantes pour répondre aux faiblesses systémiques en Suisse romande ont été spécifiquement recherchés.
Notre étude part de ce contexte pour essayer de mettre en lumière des projets innovants dans le domaine de la FPI en Romandie. Comment fonctionnent ces projets ? A quel niveau du parcours d’apprentissage interviennent-ils ? Quelle est la valeur ajoutée pour l’apprenti-e et pour les PME ? Voici quelques-unes des questions auxquelles on essaiera de donner une réponse. Il s’agit d’une étude exploratoire qui vise à investiguer le terrain et mettre en évidence les pratiques actuelles en matière d’innovation. Ainsi, les représentant-e-s d’institutions ayant des approches innovantes ont été interviewé-e-s. Notons que les projets présentés ci-dessous ne s’adressent pas uniquement aux PME mais, de par leurs caractéristiques, ils peuvent leur venir en aide.
Quelques pistes réflexives
Des pratiques innovantes tout au long du parcours d’apprentissage
Les institutions rencontrées nous ont permis de mettre en lumière un élément chronologique : la présence de pratiques innovantes allant de la période avant le début d’un apprentissage, jusqu’à la fin de ce dernier. En ce sens, le programme LIFT, avec son objectif de prévention à la non-insertion, donne la possibilité aux élèves entre la 9ème et la 11ème année HarmoS de se familiariser au monde du travail en effectuant – sur base volontaire – quelques heures (maximum 3 heures/jour selon les directives du SECO) de travail dans différentes entreprises. Trois expériences d’environ trois mois sont donc proposées à des jeunes ayant une scolarité souvent délicate ; des réseaux entre les écoles et les entreprises sont créés par les écoles elles-mêmes, leur permettant d’avoir une certaine marge de manœuvre et de valoriser le tissu économique régional. Dans une telle configuration, ce sont souvent les apprenti-e-s en formation qui s’occupent des jeunes du programme LIFT ; de plus, ces dernier-ère-s augmentent leurs chances de trouver une place d’apprentissage à la fin de la scolarité obligatoire.
Lors du choix d’un apprentissage, d’autres mesures innovantes sont présentes : il s’agit de START ! Job dating(mesure présente dans le Canton Fribourg) et de la plateforme en ligne d’orientation et d’active sourcing Gateway one. Ces initiatives en faveur des futur-e-s apprenti-e-s leur permettent de dénicher une place d’apprentissage de manière non-conventionnelle, à savoir en se présentant à des entretiens de courte durée lors de START ! Job dating ou en créant un profil avec dossier sur le site Gateway. Les deux pratiques mettent en ce sens les apprenti-e-s au centre du processus de recherche d’une place d’apprentissage car leur permettent d’avoir un rôle plus actif. D’une part, en ayant plusieurs entretiens lors de la même occasion et, d’autre part, en décidant s’ils et elles veulent transmettre leur dossier complet aux entreprises intéressées à leur profil.
Pendant l’apprentissage, dans le Canton Vaud les apprenti-e-s peuvent compter sur des mesures appelées AppApp et CoachApp, qui offrent des cours d’appui dans les branches professionnelles ou un accompagnement individualisé en cas de difficultés diverses. Il s’agit de mesures spécifiques au Canton Vaud qui ont été mises en place, entre autres, grâce à l’impulsion du canton et des associations économiques régionales.
Finalement, au moment de terminer leur apprentissage, les apprenti-e-s pourront faire appel aux cafés tremplins, soit des rencontres en face à face entre apprenti-e-s à la recherche d’un premier emploi et recruteurs et recruteuses actifs et actives chez leurs partenaires, des sociétés de placements autorisées par la Loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LES). Les mesures telles que START ! Job dating et les cafés tremplins s’inspirent du concept de speed dating pour favoriser la rencontre entre jeunes et entreprises. L’innovation est de faire rencontrer les personnes en face à face plutôt que par l’intermédiaire d’un CV, moins pertinent lorsqu’on (re)cherche son premier emploi.
Une participation horizontale
Démarche, qui travaille dans la requalification dans l’emploi, a mis en place des centres de formation où des personnes formatrices se dédient exclusivement aux apprenti-e-s, ce qui permet d’en former jusqu’à six par personne formatrice.
Davantage d’implication des apprenti-e-s dans tous les niveaux du processus de travail, une collaboration et communication ouvertes entre personnes pour faciliter les échanges entre différents échelons de la hiérarchie, sont autant d’éléments qui participent à des pratiques de formation innovantes. En sont des bons exemples, des projets tels que Youth for Soap ou les initiatives de la société coopérative Démarche, où les apprenti-e-s sont directement impliqué-e-s dans la conception, gestion et réalisation des activités. Les apprenti-e-s doivent faire face à des aspects caractéristiques du monde du travail : prise de décision, travail en équipe, gestion des délais, prise de contact avec les partenaires, contrôle du processus de travail, service à la clientèle, comptabilité etc. Ainsi, le projet Youth for Soap vise à recycler les savons usagés des hôtels pour les donner à des associations. L’innovation ? Le processus est entièrement géré par des apprenti-e-s employé-e-s de commerce à plein temps qui collaborent avec les partenaires du projet (hôtels, milieu social, hautes écoles spécialisées etc.). Démarche, qui travaille dans la requalification dans l’emploi, a mis en place des centres de formation où des personnes formatrices se dédient exclusivement aux apprenti-e-s, ce qui permet d’en former jusqu’à six par personne formatrice. Par ailleurs, une boutique de vêtements autogérée par des apprenti-e-s a été créée, ce qui augmente considérablement l’implication de ces dernier-ère-s.
Dans les pratiques innovantes, tout le monde y trouve sa place
Comme dans le marché du travail, l’insertion dans l’apprentissage peut être rude. Et la sélection impitoyable. C’est pourquoi, les institutions interrogées mettent l’accent sur l’accès à une place d’apprentissage pour toutes et tous, sans discrimination liée au parcours scolaire. Les jeunes fréquentant le programme LIFT – souvent étant défavorisé-e-s à l’école – ont par exemple la possibilité de mettre en avant des compétences transversales que les notes scolaires négligent. Ainsi, après avoir suivi des périodes de travail hebdomadaire, leur dossier s’enrichit de cette expérience et fait en quelque sorte « oublier » certains résultats scolaires, en faveur des connaissances professionnelles. Le même phénomène peut apparaitre lors de START ! Job dating ou des cafés tremplins, où des jeunes à la recherche d’une place d’apprentissage ou de travail peuvent mettre en avant des atouts humains et faire la différence lors de rencontres en personne, en dépassant le concept traditionnel de postulation. La société coopérative Démarche, quant à elle, donne la possibilité à toute personne de démarrer un apprentissage, qu’elle soit à bénéfice d’une mesure de transition professionnelle ou simplement à la recherche d’une première place d’apprentissage.
Conclusion
Des offres telles que CoachApp, AppApp et Youth for Soap ont contribué à la création d’un réseau entre plusieurs partenaires publics et privés, permettant une meilleure adéquation aux besoins régionaux.
Ces mesures permettent de décharger les PME d’une partie des tâches liées à la formation des apprenti-e-s : un recrutement qui se cible sur des aspects différents qu’un CV ou des notes scolaires, un appui et un accompagnement lors de difficultés scolaires ou personnelles, l’établissement de réseaux entre les différents acteurs. Avec certaines de ces initiatives les besoins locaux sont considérés. Par exemple, START ! Job dating était initialement proposé lors du Forum des métiers START ! à Fribourg. Après le constat que beaucoup de PME d’autres régions fribourgeoises ne se déplaçaient pas pour cette manifestation – et que les apprenti-e-s ne cherchaient pas une place loin de chez eux/elles non plus – la mesure a été réajustée. Elle a désormais une implantation plus locale afin de mieux cibler les entreprises de la région. Cette même logique locale existe pour le programme LIFT, où les écoles créent des réseaux avec des entreprises situées à moins de vingt minutes en transports publics de leur établissement, ce qui promeut notamment les PME. Des offres telles que CoachApp, AppApp et Youth for Soap ont contribué à la création d’un réseau entre plusieurs partenaires publics et privés, permettant une meilleure adéquation aux besoins régionaux. Bien que les projets cités ne constituent pas une liste exhaustive de ce qui est présent en Romandie, ils peuvent servir d’inspiration pour la promotion des cultures d’apprentissage innovantes dans la FPI.
Références
- Barabasch, A. (2020). Dimensions des cultures d’apprentissage : études de cas d’apprentissages professionnels en entreprises innovantes. IFFP.
- Barabasch, A., & Caldart, D. (2019). Betriebliche Berufsbildung in der Schweiz. Auswirkungen einer innovativen Lernkultur auf die Kompetenzen von Lernenden. Bildung und Beruf, 2(5), 179-184.
- Brown, J. S., Collins, A., & Duguid, S. (1989). Situated cognition and the culture of learning. Educational Researcher, 18(1), 32–42.
- Berner, E. & Bonoli, L. (2018). La formation professionnelle suisse entre Confédération et cantons. Éléments d’une histoire complexe. In L. Bonoli, J.-L. Berger, N. Lamamra (Eds.), Enjeux de la formation professionnelle. Le «modèle» suisse sous la loupe (pp. 53-78). Seismo.
- Gehret, A., Aepli, M., Kuhn, A. & Schweri, J. (2019). Formation des apprenti-e-s : quel intérêt pour les entreprises ? Résultats de la 4ème étude coût/bénéfice. IFFP.
- Geser, H. (2003). Profession et formation des deux côtés de la Sarine. Panorama, 3, 51-53.
- OFS. (n.d.). Chiffres sur les PME: entreprises et emplois.
- OFS (2019). Degré secondaire II: taux de places d’apprentissage.
- OFS (2020). Choix de formation au degré secondaire II selon le canton de domicile.
Citation
Sauli, F., Wenger, M., & , . (2021). Innovations en matière de formation professionnelle pour les PME en Suisse romande. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 6(2).