Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Evaluation du projet « kabel » dans les écoles professionnelles du canton de Zurich

Les jeunes ont besoin de conseils

L’apprentissage professionnel n’est pas une voie facile à suivre pour tous les jeunes. Des difficultés à l’école et en entreprise, mais aussi des problèmes de santé ou familiaux les obligent à chercher conseil. « kabel », service spécialisé des deux Églises nationales, s’occupe de ces jeunes dans le canton de Zurich depuis plus de 30 ans. L’offre a été élargie à quatre écoles professionnelles dans le cadre d’un projet. Une évaluation montre que les besoins sont élevés et que les utilisateur.trice.s sont très satisfaits. Cela pose donc la question de savoir si des offres de ce genre ne seraient pas utiles dans toutes les écoles professionnelles.


L’ampleur des pressions rapportées et les signes d’enlisement dans des mesures transitoires ont surpris l’équipe d’évaluation. Les pressions multiples sont étonnamment répandues.

« kabel », service spécialisé en formation professionnelle, est actif dans le canton de Zurich depuis 1991. kabel élabore des solutions adaptées aux problèmes de l’entreprise, de l’école et de la vie privée avec les apprenants afin qu’ils puissent terminer leur formation avec succès ou trouver des solutions adéquates pour rebondir en cas de résiliation du contrat d’apprentissage. Cette offre s’adresse aux apprenants de tous métiers ainsi qu’aux personnes de référence telles que les parents, les enseignants et les formateurs professionnels.

Depuis 2013, kabel propose en outre des consultations sur place au centre de formation Limmattal (BZLT) à Dietikon. Les expériences faites jusqu’à présent sont positives et confirment l’effet préventif des consultations à bas seuil dont il est fait état dans des études. Pour les personnes concernées, la voie menant du problème à sa solution est raccourcie. Avec le projet « kabel dans les écoles professionnelles du canton de Zurich » (2018-2021), cette offre a été étendue à trois autres écoles professionnelles du canton (BFS Winterthur, GBW Wetzikon, BZZ Horgen). La Haute école pédagogique de Zurich a été chargée de l’accompagnement scientifique et de l’évaluation de l’ensemble du projet. L’analyse s’est concentrée sur des aspects spécifiques au site ainsi que sur des questions relatives à la mise en œuvre et à l’utilisation de l’offre, à la clientèle et aux motifs ainsi qu’à l’efficacité de l’offre de consultations. Il existe un rapport intermédiaire et un rapport final sur le projet (en allemand).

Démarche méthodologique et instruments

Afin de tenir compte de la complexité de l’objet de l’étude, le design combine des méthodes qualitatives et quantitatives de collecte et d’évaluation des données selon une approche de méthode mixte (Mayring, 2007). Dans la première phase de l’évaluation, la triangulation a été utilisée pour estimer la mise en œuvre de l’offre de consultations (Flick, 2008). Les données relatives à chaque cas ont été collectées sur la base de questionnaires longitudinaux (consultations pour les jeunes) et complétées par des enquêtes transversales (évaluation de l’offre par les coachs, les enseignants et les responsables impliqués, les jeunes). Cette approche multi-perspective s’est établie dans la recherche sur l’évaluation pour relever les effets et les corrélations (Klawe, 2006). De plus, des entretiens focalisés basés sur des guides ont été menés avec les coachs et la direction du projet kabel. La deuxième phase de l’évaluation s’est concentrée sur des questions relatives à la spécificité des sites à partir de données émanant des questionnaires et des cas (point de vue des coachs et des personnes conseillées).

Objectifs et échantillon

La première phase de l’évaluation (année scolaire 2018/19) a eu pour objectif de recenser et de documenter la mise en œuvre et la pratique des consultations de « kabel dans les écoles professionnelles » de la manière la plus différenciée possible en fonction des questions posées. Dans la deuxième phase de l’évaluation réalisée à partir de l’année scolaire 2019/20, l’analyse s’est concentrée sur des questions spécifiques au site (y compris sur la pratique des consultations au Centre de formation de Limmattal (BLZT)). L’échantillon comprend quatre écoles professionnelles de différentes tailles situées dans le canton de Zurich proposant divers métiers[1], 1 065 cas, 217 enseignants, cinq responsables et recteurs, quatre coachs et la direction du projet.

Résultats

Mise en œuvre et utilisation de l’offre

Dans l’ensemble, les personnes en quête de conseils sont satisfaites, voire très satisfaites du déroulement des consultations.

L’attention des personnes en quête de conseils a été attirée sur l’offre de consultations par des dépliants publicitaires et des affiches (2%), par l’Internet (4%) ainsi que par différentes personnes (enseignants 43%, spécialistes 18%, centres de consultations kabel externes à l’école 18%, parents 8%, personnes en formation professionnelle 5%). Les jeunes se sont rendus spontanément au service de consultations ou ont pris rendez-vous ; cette dernière possibilité a été utilisée par plus des trois quarts des personnes ayant bénéficié d’une consultation (78%). Bien que les écoles et les métiers soient différents, le besoin de conseils est présent partout. La mise en œuvre des consultations (p. ex. formats de consultation) varie dans les écoles professionnelles. Les différences sont dues à la charge de travail et aux horaires des coachs (par ex. présence pendant les pauses), à l’endroit où se trouve le bureau de consultation (au sein de l’école ou à proximité immédiate) ou au campus (par ex. école professionnelle avec plusieurs bâtiments scolaires).

Impact

Les trois quarts des personnes qui ont recours à une consultation assistent à une ou deux séances (une séance : 57% ; deux séances : 17% ; trois séances : 8%), 10% assistant à quatre ou six séances. L’offre est jugée efficace par les personnes interrogées et elle est largement acceptée par les enseignants et les responsables impliqués ainsi que par les personnes bénéficiant elles-mêmes de conseils. Dans l’ensemble, les personnes en quête de conseils sont satisfaites, voire très satisfaites du déroulement des consultations. Il est signalé que les problèmes diminuent pendant l’accompagnement et que les situations difficiles peuvent être en majeure partie clarifiées à l’aide de kabel. Les accompagnements (consultations de longue durée) sont jugés plus efficaces par les personnes conseillées (M=4,6) que les séances de consultation isolées (M=4,0), bien que ces dernières conduisent également en majorité à une amélioration de la situation. Il convient de noter que pour certaines personnes, la situation ne s’est que partiellement (7%), plutôt pas (9%) ou pas du tout (3%) clarifiée. Ces évaluations majoritairement positives de l’efficacité sont partagées par les coachs, quoique dans une moindre mesure. Il est réjouissant de constater que près de 800 personnes conseillées ont exprimé une satisfaction quasi-maximale à la question de savoir si elles recommanderaient l’offre de kabel (M=4,9 ; échelle de Likert à 5 niveaux).

Clientèle

Les personnes en quête de conseils et d’aide sont en majorité des apprenants des écoles professionnelles (60%). Il y a aussi des apprenants externes à l’école (31%), des parents (3%) ou des enseignants (2%) qui se font conseiller. Les formateurs professionnels et les spécialistes ont plutôt rarement recours à kabel (1% respectivement).

La majorité des consultations a lieu en première ou deuxième année d’apprentissage (83%) (n=928), et environ 90% des jeunes conseillés suivent une formation initiale de trois ou quatre ans (CFC). L’offre est utilisée par un peu moins d’apprenants masculins (46%) que féminins. Les trois quarts des personnes conseillées environ ont entre 17 et 20 ans (13% de 15 à 16 ans et de 21 à 24 ans ; min.=15 ans, max.= plus de 40 ans).

En comparaison avec les données statistiques actuelles portant sur l’enseignement dans le canton de Zurich, les apprenants en section A sont fortement sous-représentés dans la cohorte, les apprenants en section B étant en revanche fortement surreprésentés

Environ 90% des personnes en consultation ont fréquenté une école secondaire, dont 51% une école de niveau B, 26% une école de niveau A et 12% une école de niveau C. En comparaison avec les données statistiques actuelles portant sur l’enseignement dans le canton de Zurich (www.bista.zh.ch), les apprenants en section A sont fortement sous-représentés dans la cohorte (Bista 2021: 49.6%), les apprenants en section B étant en revanche fortement surreprésentés (Bista 2021 : 34%), de même que les apprenants en section C (Bista 2021 : 5%). 53% des personnes conseillées (n=565) sont arrivées dans la formation professionnelle après une solution intermédiaire (stage, interruption de l’apprentissage, année de préparation professionnelle, semestre de motivation, autres) et dans 54% des cas, des services spécialisés autres que kabel sont impliqués dans le travail de conseil.

Environ 70% des personnes conseillées sont suisses, 16% ont une autorisation d’établissement C, 11% une autorisation de séjour B et 4% sont admis provisoirement (statut F). Les personnes conseillées (N=1065) parlent plus de 17 langues premières, dont une majorité allemand (55%). Ce rapport correspond à la moyenne cantonale de la répartition des langues premières parlées à l’école obligatoire.

Motifs de consultation

60% des motifs de consultation sont d’ordre professionnel (résiliations de contrats d’apprentissage, conflits dans l’entreprise ou avec les supérieurs, sollicitation excessive ou insuffisante, choix d’un métier ou menace de perte de la place d’apprentissage) et 15% sont d’ordre scolaire. Les motifs de consultation liés à l’école se concentrent sur les pressions liées aux problèmes de concentration, aux difficultés d’apprentissage, à la peur des examens ainsi qu’aux difficultés de motivation (sollicitation excessive ou insuffisante). En outre, 15% des motifs de consultation concernent des motifs privés et familiaux (conflits au sein de la famille et dans l’environnement proche, difficultés financières, situation de logement). 10% des pressions sont liées à la santé (problèmes de santé, contraintes psychologiques, troubles physiques, faiblesses de performance partielles).

Les client.e.s dans les écoles se distinguent surtout par leur sexe, en fonction des métiers de formation. À Wetzikon et à Dietikon, la majorité des apprenants conseillés sont de sexe masculin, à Winterthur féminin. L’analyse met en évidence des profils de pression différents dans les écoles et, par conséquent, des formats de consultation différents (par exemple, des accompagnements à long terme). Dans l’ensemble, les personnes conseillées de sexe masculin font état de pressions plus importantes que les personnes de sexe féminin. Les raisons invoquées sont entre autres la résiliation du contrat d’apprentissage et la perception des troubles physiques qui en découle. Des cas de pressions multiples ont été identifiés, souvent liées à des conflits familiaux, ainsi qu’à des défis dus à des conditions linguistiques et socioculturelles. Un nombre supérieur à la moyenne de jeunes de la cohorte a déjà fréquenté une solution intermédiaire et fait état de diagnostics dans le domaine des atteintes psychiques et des troubles du développement. Dans divers cas, les coachs renvoient à la nécessité de clarifications supplémentaires.

Résumé de l’évaluation des résultats du projet et perspectives

Les jeunes issus de solutions intermédiaires sont surreprésentés dans la cohorte. On suppose que les offres passerelles et les stages soutiennent efficacement l’intégration professionnelle en atténuant ainsi les situations problématiques complexes lors de la transition de l’école au travail, mais en revanche que les problèmes au niveau personnel ou familial ne sont pas suffisamment traités.

Il est remarquable que « kabel dans les écoles professionnelles » ait pu s’établir sur les sites dès la première année du projet. Une amélioration du profilage de l’offre de consultations dans les écoles passe par la règlementation de la collaboration avec la direction de l’école et une coordination de l’offre de consultations et des offres de formation de l’école afin d’exploiter les synergies. Les exigences en matière de protection des données ont dû être clarifiées entre kabel et les écoles et il a aussi fallu convenir d’une démarche pour échanger les informations sur les cas. Dans un des cas, le bureau de consultation est externe à l’école, mais à proximité immédiate tandis que dans deux cas, différents bâtiments scolaires font partie de l’école professionnelle. Ces conditions rendent nécessaires certaines dispositions pour garantir des consultations à bas seuil (p. ex. concernant les mesures de candidature, les horaires de travail et le taux d’occupation des coaches, la collaboration avec les enseignants).

Les prestations de conseil sont largement acceptées par les personnes concernées et sont perçues comme efficaces. Une dynamique de l’offre et de la demande s’est établie sur tous les sites, ce qui indique un besoin de consultation comparable pour les apprenants de sexe féminin et masculin. Les analyses différenciées sur la pratique des consultations (cf. rapport intermédiaire ; en allemand) mettent en évidence la multiplicité des défis auxquels les jeunes sont confrontés, surtout au cours des deux premières années de formation. Cette situation exige de la part des coachs de vastes connaissances et un répertoire de conseils professionnels ainsi qu’un réseau d’autres services spécialisés pour le triage.

L’ampleur des pressions rapportées et les signes d’enlisement dans des mesures transitoires ont surpris l’équipe d’évaluation. Les pressions multiples sont étonnamment répandues, surtout chez les apprenants de sexe masculin. Les jeunes issus de solutions intermédiaires sont surreprésentés dans la cohorte. On suppose que les offres passerelles et les stages soutiennent efficacement l’intégration professionnelle en atténuant ainsi les situations problématiques complexes lors de la transition de l’école au travail, mais en revanche que les problèmes au niveau personnel ou familial ne sont pas suffisamment traités. De ces résultats découlent des questions qui vont au-delà du projet « kabel dans les écoles professionnelles » ; ils renforcent néanmoins l’importance de kabel dans les écoles professionnelles en tant que « dispositif de consultation sur place », car il en existe un besoin avéré. En outre, l’analyse met en évidence la nécessité d’une gestion au cas par cas continue, accompagnée par des personnes/services spécialisés. En raison des contraintes psychiques et physiques répandues déclarées par les jeunes, qui s’accompagnent de difficultés professionnelles, la question d’une collaboration interinstitutionnelle renforcée s’impose (cf. le réseau interinstitutionnel IIZ dans le canton de Zurich comprenant les ORP, l’aide sociale, l’office AI et l’orientation professionnelle). Du point de vue de l’évaluation, les offres de consultations à bas seuil dans les écoles professionnelles telles que kabel peuvent apporter une contribution importante à la prévention ainsi qu’à l’accompagnement de la formation et au triage.

[1] École professionnelle GBW Wetzikon : métiers du bâtiment, métiers du bois, jardiniers, métiers de l’automobile, métiers de l’électricité (2500 élèves). École professionnelle BFS Winterthur : métiers de la santé (assistant.e socio-éducatif.ive, assistante dentaire), commerce de détail, assistant.e socio-éducatif.ive (4000 élèves). Centre de formation du lac de Zurich, BZZ Horgen : Commerce de détail, apprentissage technico-commercial, informatique/médiatique, assistant.e socio-éducatif.ive, technique (1400 élèves). Centre de formation Limmatal, BZLT Dietikon : construction mécanique, logistique, recyclage (1160 élèves).

Bibliographie

  • Flick, U. (2008). Triangulation: Eine Einführung (2ème éd.). Qualitative Sozialforschung: Vol. 12. Wiesbaden: VS Verlag für Sozialwissenschaften / GWV Fachverlage GmbH Wiesbaden.
  • Klawe, W. (2006). Multiperspektivische Evaluationsforschung als Prozess – Wirkungsrekonstruktion aus Sicht der Beteiligten. Dans le projet eXe (Éd.), Wirkungsevaluation in der Kinder- und Jugendhilfe: Einblicke in die Evaluationspraxis. (pp. 125–142). Munich : Institut allemand de la jeunesse.
  • Mayring, P. (2007). Mixing Qualitative and Quantitative Methods. Dans P. Mayring, G. L. Huber, L. Gürtler, & M. Kiegelmann (Éds.), Mixed Methodology in Psychological Research (pp. 27–36). Rotterdam: Sense Publishers.
Citation

Maag, S. P. (2022). Les jeunes ont besoin de conseils. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7.

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