Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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L'adéquation entre les plans de formation et les besoins des entreprises

Les plans de formation garantissent une formation étendue, mais occasionnent aussi des coûts

Les plans de formation décrivent les activités et les compétences opérationnelles auxquelles les entreprises doivent former leurs apprenti‑e‑s dans une profession déterminée. Ils garantissent ainsi qu’au terme de l’apprentissage, les titulaires du CFC possèderont l’ensemble des compétences opérationnelles requises, quelles que soient les caractéristiques de l’entreprise qui les a formés. Toutefois, les plans de formation, qui sont définis par profession d’apprentissage, ne correspondent pas à chaque entreprise formatrice ni à ses besoins de qualification dans la même mesure. Sur la base des données issues de l’étude coût/bénéfice, la présente étude examine les problèmes d’adéquation entre les plans de formation et les besoins des entreprises. Les analyses montrent que toutes les entreprises ne sont pas touchées par ces questions de la même manière, que le type de problèmes rencontrés dépend également de l’ancienneté du plan de formation et qu’enfin, les problèmes d’adéquation se traduisent par une augmentation des coûts de la formation pour les entreprises.


Toutes les professions acquises par apprentissage en Suisse disposent d’un plan de formation qui est régulièrement actualisé. Avec la procédure de qualification, ce document garantit une certaine uniformité des contenus et de la qualité de la formation et présente ainsi des avantages déterminants pour les apprenti‑e‑s comme pour les entreprises : les apprenti‑e‑s savent quels contenus les attendent et ont l’assurance d’acquérir les compétences opérationnelles correspondantes durant leur apprentissage – même si celles-ci n’entrent pas dans le processus de travail et de production de leur entreprise formatrice. De leur côté, les entreprises souhaitant engager des titulaires du CFC savent, grâce au plan de formation, sur quelles qualifications et compétences opérationnelles elles peuvent compter. Cela accroît leur disposition à employer des personnes formées par d’autres entreprises et favorise dès lors la mobilité sur le marché du travail.

Le respect des exigences du plan de formation peut occasionner des coûts pour les entreprises.

Le respect des exigences du plan de formation peut occasionner des coûts pour les entreprises. Si les responsables de la formation sont en mesure de transmettre les compétences opérationnelles requises directement au cours du processus de production, ces frais sont limités ; c’est le cas par exemple si une formatrice montre à l’apprenti mécanicien en cycles CFC comment effectuer un service sur un vélo. Dans d’autres cas, les compétences opérationnelles définies dans le plan de formation correspondent moins au processus de travail et de production et, partant, aux situations se présentant dans l’entreprise. Ainsi par exemple, les mécaniciennes et mécaniciens en cycles doivent, selon le plan de formation, connaître les vélos électriques. Si leur entreprise n’a pas d’activité dans ce secteur, le respect du plan de formation engendrera pour elle des coûts supplémentaires. Il se peut même que l’apprenti-e qui ne peut pas acquérir les compétences opérationnelles requises dans son entreprise doive suivre des cours à l’extérieur[1]. Cela a pour double effet d’engendrer des frais et de réduire le nombre d’heures productives de l’apprenti-e au sein de l’entreprise.

À l’inverse, il arrive que le plan de formation ne contienne pas toutes les étapes du processus de travail et de production de l’entreprise. En pareil cas, les entreprises peuvent transmettre aux personnes en formation des qualifications supplémentaires de façon qu’elles puissent les appliquer dans les situations de travail. Dans un magasin de cycles, il pourrait s’agir de connaissances spécifiques sur la palette de produits (composantes de certains types ou marques de vélos par exemple). L’entreprise tire certes un avantage de ces compétences supplémentaires – car l’apprenti-e a une meilleure productivité –, mais du fait que celles-ci ne figurent pas dans le plan de formation, leur enseignement ne bénéficie pas du soutien de l’école professionnelle ni des cours interentreprises. Dès lors, la transmission de ces qualifications représente pour l’entreprise un investissement supplémentaire, qui s’ajoute aux frais découlant de la formation aux compétences incluses dans le plan de formation.

Structure des plans de formation

L’examen des plans de formation et leur actualisation régulière par rapport aux exigences du monde du travail incombent à la commission suisse pour le développement professionnel et la qualité de la formation (CSDQ), instituée pour chacune des professions. Les partenaires de la formation siégeant au sein des CSDQ respectives (représentant‑e‑s de l’organisation du monde du travail, des cantons, de la Confédération et du corps enseignant) réexaminent le plan de formation tous les cinq ans et rédigent un rapport contenant, le cas échéant, des recommandations d’adaptation. Celles-ci vont de « aucune nécessité d’adaptation » à « révision partielle » voire « révision totale » de l’ordonnance et du plan de formation. Ce remaniement incombe alors à l’organe responsable de la formation professionnelle initiale – à savoir l’organisation du monde du travail concernée. La CSDQ assume en la matière la fonction de groupe de pilotage[2].

Sie les plans de formation définissent relativement peu de compétences opérationnelles, la charge des entreprises pour les transmettre est faible. En revanche, les entreprises doivent plus souvent former à d’autres compétences afin de pouvoir en bénéficier de façon optimale.

Il existe un conflit d’objectifs dans la structuration des plans de formation : si ces derniers définissent relativement peu de compétences opérationnelles, la charge des entreprises pour les transmettre est faible. En revanche, les entreprises doivent plus souvent former à d’autres compétences afin de pouvoir en bénéficier de façon optimale. Du côté des apprenti‑e‑s, le risque est grand qu’au terme de leur formation, peu de postes leur soient ouverts sur le marché du travail, en dehors de leur entreprise formatrice. Ce point a fait l’objet d’une étude d’Eggenberger, Rinawi et Backes-Gellner (2018) : les personnes ayant acquis des compétences plutôt spécifiques en apprentissage touchent certes des salaires relativement élevés dans leur profession, mais ont une mobilité limitée sur le marché du travail. À un stade ultérieur de leur parcours, ce paramètre peut se répercuter négativement sur le niveau salarial et les possibilités d’emploi. À ce sujet, Grønning, Kriesi et Sacchi (2020) ont constaté qu’un nombre élevé de jours par semaine passés dans l’entreprise formatrice est en corrélation avec un meilleur salaire directement après l’apprentissage, mais qu’un volume supérieur de leçons de culture générale se traduit par des salaires plus élevés dix ans après la fin de l’apprentissage.

Si, à l’inverse, les plans de formation contiennent beaucoup de compétences opérationnelles, les apprenti‑e‑s en fin de formation possèdent un large profil de qualification qui devrait intéresser une vaste palette d’employeurs. Mais lorsque les profils sont trop larges, il est difficile aux apprenti‑e‑s d’acquérir toutes les compétences à un niveau équivalent. Les entreprises formatrices sont tenues de transmettre des compétences qui n’apparaissent pas dans leurs processus de travail et de production, ce qui accroît leurs coûts de formation, car elles doivent y consacrer plus de temps (et organiser même parfois des cours à l’extérieur). Les apprenti‑e‑s sont en conséquence moins disponibles pour des activités productrices au sein de l’entreprise. Si ces paramètres influencent trop négativement le rapport coût/bénéfice de la formation, il se peut que les entreprises abandonnent la formation d’apprenti‑e‑s en raison de plans de formation trop ambitieux. À ce sujet, Jansen, de Grip et Kriechel (2017) démontrent que des entreprises en Allemagne prennent davantage d’apprenti‑e‑s lorsque la souplesse des programmes leur permet d’adapter les contenus de la formation à leurs processus de travail et de production.

Dans quelle mesure les compétences figurant dans les plans de formation correspondent-elles aux besoins de l’entreprise ?

Partant du conflit d’objectifs mentionné plus haut, la présente étude[3] examine l’existence de problèmes de concordance entre les plans de formation et les processus de travail et de production au sein des entreprises, mais aussi le type de problèmes qui apparaissent et leurs répercussions. Pour ce faire, elle s’appuie sur la quatrième étude coût/bénéfice de la formation professionnelle initiale (Gehret et al. 2019), à laquelle environ 5700 entreprises formatrices ont participé. Les présentes analyses se fondent uniquement sur les réponses des 4206 entreprises privées actives dans l’économie de marché. Il s’agissait pour elles notamment d’évaluer la part des contenus des plans de formation qui n’était pas requise dans leur activité[4], puis de dire si elles transmettaient à leurs apprenti‑e‑s des qualifications supplémentaires qui ne figuraient pas dans le plan de formation[5]. Le tableau 1 fournit un aperçu des deux variables examinées et montre comment les évaluations diffèrent selon les caractéristiques des entreprises[6].

Tableau 1 : Caractéristiques de l’entreprise et problèmes de concordance

    Part des contenus des plans de formation non requis Part d’entreprises transmettant des qualifications supplémentaires
Moyenne dans l’échantillon 0.170 0.109
Estimation pour les effets marginaux
Membre OrTra -0.026*** 0.029**
Efficacité des processus de production -0.022** -0.013
Entreprises touchées par la numérisation -0.001 0.032**
10 – 49 employé-e-s -0.006 -0.026
50 – 99 employé-e-s -0.032** -0.004
100 employé-e-s ou plus -0.023* 0.018
       
Nombre d’observations            4152            4152
Remarques : résultats pondérés, entreprises à but lucratif uniquement, les */**/*** expriment la signification statistique au niveau 10 %, 5 % et 1 %. Toutes les régressions contiennent des variables de contrôle relatives aux caractéristiques des entreprises (profession d’apprentissage, région, branche économique, évaluation de la demande pour leurs propres produits, évaluation de leur attrait pour les professionnel-le-s) et aux caractéristiques des apprenti‑e‑s (proportion de femmes et d’adultes parmi les apprenti-e-s dans l’entreprise formatrice, part d’apprenti‑e‑s de l’entreprise accomplissant une maturité professionnelle intégrée, part d’apprenti‑e‑s de l’entreprise accomplissant un apprentissage raccourci).

Exemple de lecture : les entreprises membres d’une organisation du monde du travail (OrTra) évaluent la part des contenus des plans de formation non requis en moyenne à 2,6 points de pourcentage moins élevée que les entreprises comparables non membres d’une OrTra. Les membres d’une OrTra ont en outre une probabilité supérieure de 2,9 points de pourcentage de transmettre des qualifications supplémentaires.

Selon le tableau 1, les entreprises formatrices estiment à 17 % la part des contenus des plans de formation dont elles n’ont pas besoin. Par ailleurs, elles sont 10,9 % à transmettre à leurs apprenti‑e‑s des qualifications qui ne figurent pas dans le plan de formation. On ne relève pas de corrélation significative entre ces deux variables. En d’autres termes, la part des contenus des plans de formation non requis est en moyenne à peu près équivalente dans les entreprises qui transmettent à leurs apprenti‑e‑s des qualifications supplémentaires et dans celles qui ne le font pas.

L’appartenance à une OrTra va de pair avec une part moins importante de contenus non requis des plans de formation.

Les autres éléments du tableau 1 montrent les caractéristiques de l’entreprise qui sont en corrélation avec les deux problèmes de concordance relevés. Pour la première caractéristique, il s’agissait de savoir si ces problèmes touchaient davantage les entreprises membres d’une OrTra que les autres. Pour répondre à cette question, les auteurs ont procédé à des analyses de régression pour comparer des entreprises similaires du point de vue des apprentissages proposés, de la taille, du secteur économique, de la région, de la proportion de femmes et d’adultes parmi les apprenti‑e‑s, de la part d’apprentissages raccourcis et de la part de contrats d’apprentissage avec maturité professionnelle intégrée (variables de contrôle)[7]. Ces analyses révèlent que l’appartenance à une OrTra va de pair avec une part moins importante de contenus non requis des plans de formation (voir colonne 1 et exemple de lecture au-dessous du tableau). Cela pourrait être lié au fait que les entreprises membres d’une OrTra sont en mesure d’influer directement sur le contenu des plans de formation via leur représentation au sein des CSDQ, responsables de l’adaptation de ces plans. Il est aussi possible que les entreprises qui affichent des besoins de qualification supérieurs et nécessitent davantage de compétences opérationnelles soient plus nombreuses à s’affilier à une OrTra. Le besoin supérieur de qualifications affiché par les membres des OrTra expliquerait aussi pourquoi ces entreprises transmettent relativement souvent des qualifications supplémentaires (colonne 2). Le tableau indique également que les entreprises qui donnent une meilleure évaluation de l’efficacité de leurs processus de production affichent une part inférieure de contenus de formation non requis. Enfin, les entreprises dont les processus de travail et de production sont fortement transformés par les technologies numériques sont plus nombreuses (+ 3,2 points de pourcentage) à déclarer qu’elles transmettent des qualifications supplémentaires à leurs apprenti‑e‑s. Ce phénomène pourrait être dû au fait que les compétences opérationnelles en lien avec les technologies numériques apparaissent dans les plans de formation avec un certain décalage temporel. Dès lors, si les entreprises ont besoin de ces compétences opérationnelles dans leur processus de travail et de production, elles les transmettent tout de même, en partie du moins, à leurs apprenti‑e‑s. Dans la réponse à une question ouverte, quelques entreprises ont en effet explicitement mentionné les compétences numériques parmi les qualifications supplémentaires qu’elles transmettaient. S’y ajoutaient notamment les relations avec la clientèle, les interlocuteurs externes ou les patient‑e‑s, les compétences sociales, la capacité à diriger des projets, les aspects relatifs à la sécurité et les formations continues internes. Enfin, les grandes entreprises comptant plus de 50 employé-e-s estiment moins élevée la part des contenus des plans de formation non requis.

Outre les caractéristiques liées à l’entreprise, il est possible que l’ancienneté des plans de formation ait une influence sur la concordance entre les contenus prescrits et les besoins de qualification des entreprises. Les plans de formation récemment révisés prennent en compte les derniers procédés de production et développements technologiques. Dès lors, les entreprises devraient avoir moins de contenus supplémentaires à transmettre. Il se peut cependant aussi que les nouveaux contenus ne soient pas encore requis dans toutes les entreprises. Plus le plan de formation est ancien, plus les entreprises auront besoin des contenus qui y figurent. En revanche, elles auront davantage de qualifications supplémentaires à transmettre. La figure 1 montre la relation entre l’ancienneté du plan de formation et les deux problèmes de concordance considérés, les surfaces de couleur claire représentant à chaque fois l’intervalle de confiance à 95 %. Les relations montrées se fondent sur deux modèles de régression dans lesquels l’ancienneté du plan de formation est utilisée comme variable indépendante à la place de la profession d’apprentissage (les autres variables indépendantes sont les mêmes que dans le tableau 1). Sans surprise, plus le plan de formation est ancien, plus la part de contenus non requis est faible, tandis que celle des qualifications supplémentaires transmises augmente.

Figure 1 : Ancienneté des plans de formation et problèmes de concordance

Problèmes de concordance et coûts de la formation

Comme indiqué plus haut, on peut supposer que la concordance entre les compétences opérationnelles inscrites dans les plans de formation et celles qui sont nécessaires dans le processus de travail et de production d’une entreprise se répercute sur le rapport coût/bénéfice de la formation.

Dans le rapport coût/bénéfice, c’est le bénéfice net qu’il faut surtout prendre en considération. Celui-ci exprime la différence entre les coûts de la formation (coûts bruts) et la contribution productive des apprenti‑e‑s. Les coûts bruts sont essentiellement constitués par les salaires des apprenti‑e‑s et par ceux des personnes qui assurent leur encadrement et leur formation ou qui gèrent les tâches liées au recrutement et à l’administration des apprentissages. S’y ajoutent dans une moindre mesure les frais de matériel et d’équipement. Ces coûts sont à mettre en parallèle avec les prestations productives des apprenti‑e‑s dans leur entreprise. Pour des questions de place, nous ne présentons pas ici le mode de calcul précis de ces composantes des coûts et bénéfices. Celui-ci est explicité dans le rapport de Gehret et al. (2019). Pour l’année 2016/2017, les coûts bruts se sont élevés à CHF 28 000 et les prestations productives à un peu plus de CHF 31 000 par année d’apprentissage en moyenne, ce qui représente, pour l’entreprise de formation, un bénéfice net annuel légèrement supérieur à CHF 3000. À noter cependant que les coûts et les bénéfices sont très variables d’une profession à l’autre. Tandis qu’une peintre ou un installateur sanitaire rapportent à leur entreprise un bénéfice net de plus de CHF 20 000 sur toute la durée de l’apprentissage, ce même montant s’inscrit à la colonne des coûts pour la formation d’une informaticienne ou d’un polymécanicien. Dans d’autres professions, comme celle d’assistante en soins et santé communautaire ou d’employé en cuisine, le rapport coût/bénéfice est proche de zéro[8].

Concrètement, par tranche de 10 points de pourcentage de contenus de formation non requis, le bénéfice net (dernière colonne) diminue d’environ CHF 630 par année de formation.

Au moyen d’analyses multivariées, le tableau 2 met en évidence la relation entre les problèmes de concordance et les coûts de la formation (compte tenu des caractéristiques de l’entreprise et des apprenti‑e‑s). On observe que les entreprises qui estiment plus élevée la part des contenus des plans de formation non requis affichent un bénéfice net moyen inférieur à celui d’autres entreprises ayant des caractéristiques similaires par ailleurs. Concrètement, par tranche de 10 points de pourcentage de contenus de formation non requis, le bénéfice net (dernière colonne) diminue d’environ CHF 630 par année de formation. Le tableau 2 montre également qu’un bénéfice net inférieur s’explique par des coûts bruts supérieurs (p. ex. pour du matériel de formation supplémentaire ou des cours) et une plus faible productivité des apprenti‑e‑s.

Tableau 2 : Problèmes de concordance et rapport coût/bénéfice de la formation

  Coûts bruts (CHF) Prestations productives (CHF) Bénéfice net (CHF)
Part des contenus des plans de formation non requis 3’198*** -3’057*** -6’255***
Part de qualifications supplémentaires transmises 812 -1’325*** -2’137***
 
Nombre d’observations 4’152 4’152 4’152
Remarques : résultats pondérés, entreprises à but lucratif uniquement, les */**/*** expriment la signification statistique au niveau 10 %, 5 % et 1 %. Toutes les régressions contiennent des variables de contrôle relatives aux caractéristiques des entreprises (profession d’apprentissage, région, branche économique, taille de l’entreprise, évaluation de la demande pour leurs propres produits, évaluation de leur attrait pour les professionnel-le-s, ainsi que l’ensemble des caractéristiques figurant dans le tableau 1) et aux caractéristiques des apprenti‑e‑s (proportion de femmes et d’adultes parmi les apprenti‑e‑s dans l’entreprise, part d’apprenti‑e‑s de l’entreprise accomplissant une maturité professionnelle intégrée, part d’apprenti‑e‑s de l’entreprise accomplissant un apprentissage raccourci).
Exemple de lecture : les entreprises qui évaluent la part de contenus de formation non requis à 10 points de pourcentage plus élevée enregistrent des coûts bruts d’environ CHF 320 supérieurs (pour un changement de 100 points de pourcentage, la valeur estimée est de CHF 3198), ce qui est significatif au niveau 1 %. Les entreprises qui transmettent des qualifications supplémentaires affichent des coûts bruts supérieurs de CHF 812 (ce qui n’est pas significativement différent de zéro).

La seconde variable examinée souligne elle aussi la relation entre la concordance des plans de formation avec les besoins des entreprises et le rapport coût/bénéfice de la formation pour ces dernières. Les entreprises qui transmettent à leurs apprenti‑e‑s des qualifications supplémentaires affichent en moyenne un bénéfice net inférieur à des entreprises similaires qui ne le font pas. Cela s’explique essentiellement par une plus faible productivité des apprenti‑e‑s pour des coûts bruts qui ne sont pas significativement supérieurs. Manifestement, la transmission de qualifications supplémentaires nécessite du temps d’entraînement qui s’inscrit au détriment des heures productives des apprenti‑e‑s au sein de l’entreprise.

Les résultats du tableau 2 accréditent l’hypothèse selon laquelle les problèmes de concordance entre plan de formation et besoins de qualification au sein de l’entreprise formatrice accroissent les coûts de la formation et, par conséquent, réduisent le bénéfice net des entreprises.

Résumé

On observe de grandes variations dans la concordance entre les compétences contenues dans les plans de formation et celles dont l’entreprise a besoin pour ses apprenti‑e‑s et les membres de son personnel dans les processus de production. Les entreprises de grande taille, celles qui sont membres d’une OrTra et celles dont les processus ont une efficacité supérieure à la moyenne sont plus nombreuses à déclarer qu’elles ont besoin des compétences contenues dans les plans de formation. Les membres d’une OrTra et les entreprises fortement concernées par la numérisation sont plus nombreuses à déclarer qu’elles transmettent des qualifications supplémentaires à leurs apprenti‑e‑s. Toutefois, la question de la concordance ne dépend pas uniquement des caractéristiques de l’entreprise, mais aussi de l’ancienneté du plan de formation. Plus le plan de formation est récent, moins les entreprises sont nombreuses à transmettre des qualifications supplémentaires, mais plus elles sont nombreuses à déclarer qu’elles n’ont pas (encore) besoin de toutes les compétences prévues.

La concordance entre le plan de formation et les compétences requises dans l’entreprise se répercute aussi sur les coûts de formation. Les deux problèmes de concordance examinés – compétences non requises et qualifications supplémentaires transmises – accroissent les coûts bruts de la formation et réduisent la contribution productive des apprenti‑e‑s. Les estimations du tableau 2 permettent également de calculer les coût globaux générés par les problèmes de concordance dans les entreprises formatrices privées en Suisse. Le surcoût de la formation à des compétences non requises s’élève au total à quelque 42 millions et celui de la transmission de qualifications supplémentaires à 11 millions de francs. Ces montants paraissent assez faibles en regard, par exemple, de la totalité des coûts bruts supportés par les entreprises de l’économie privée en Suisse pour la formation des apprenti‑e‑s, qui se chiffrent à CHF 4,3 milliards par année. Il est cependant intéressant de relever que les coûts liés à la formation à des compétences non requises dépasse nettement ceux de la transmission de qualifications supplémentaires.

Si ces extrapolations ne représentent qu’une estimation sommaire, elles montrent toutefois que les plans de formation exigent des entreprises qu’elles assurent la transmission de compétences plus nombreuses ou plus étendues que ce qu’elles auraient choisi. Cela correspond à l’idée que les plans de formation doivent en particulier garantir aux apprenti‑e‑s une formation suffisamment large pour les qualifier pour une vaste palette de postes sur le marché du travail. Ces résultats montrent aussi que des plans de formation contenant de vastes compétences se traduisent par des coûts pour les entreprises formatrices. Des profils de compétences très larges – qui résulteraient par exemple d’une forte diminution du nombre de professions d’apprentissage – pourraient engendrer des coûts non négligeables à la charge des entreprises et réduire dès lors leur disposition à former des apprenti‑e‑s. Dans la définition des professions et des profils professionnels, les acteurs de la formation professionnelle doivent donc trouver un équilibre optimal entre les attentes des apprenti‑e‑s – et, partant, des futur‑e‑s titulaires du CFC – et les exigences des entreprises formatrices.

[1] Les écoles professionnelles et les cours interentreprises contribuent également à la transmission des compétences opérationnelles. Mais les plans de formation prévoient que bon nombre d’entre elles sont transmises – partiellement du moins – au sein de l’entreprise.
[2] Pour les détails, voir SEFRI, Examen quinquennal.
[3] La publication originale de la recherche a été récemment publiée dans la revue Empirical Research in Vocational Education and Training.
[4] Formulation exacte de la question : « A combien estimez-vous la part des contenus stipulés dans le plan de formation officiel du SEFRI pour la profession choisie mais dont votre établissement n’a pas besoin? »
[5] Formulation exacte de la question : « Au cours de l’année 2016/17, votre établissement a-t-il transmis des qualifications supplémentaires, dépassant les contenus stipulés dans le plan de formation officiel du SEFRI pour la profession choisie? »
[6] La quatrième étude coût/bénéfice de la formation professionnelle initiale (Gehret et al. 2019) présente à la figure 15 la part moyenne des contenus des plans de formation non requis, par profession d’apprentissage.
[7] La comparaison entre des entreprises les plus similaires possibles a pour but d’isoler les effets des variables considérées (p. ex. appartenance à l’OrTra). Nous ne pouvons cependant pas exclure que les entreprises formatrices se distinguent par d’autres caractéristiques qui n’ont pas pu être intégrées dans notre analyse et qui sont susceptibles d’influer sur les relations entre les variables dépendantes et indépendantes.
[8] Les résultats détaillés par durée d’apprentissage et par profession figurent au chapitre 4 du rapport de Gehret et al. (2019).

Bibliographie

  • Eggenberger, C., Rinawi, M. und Backes-Gellner, U. (2018). Occupational specificity: A new measurement based on training curricula and its effect on labor market outcomes. Labour Economics, 51, 97-107.
  • Gehret A., Aepli, M., Kuhn, A. und Schweri, J. (2019). La formation d’apprenti‑e‑s a-t-elle un intérêt pour les entreprises ? Résultats de la quatrième étude coût/bénéfice. OBS-IFFP
  • Jansen, A., de Grip, A. und Kriechel, B. (2017). The effect of choice options in training curricula on the demand for and supply of apprentices. Economics of Education Review, 57, 52-65.
  • Grønning, M., Kriesi, I. und Sacchi, S. (2020). Income during the early career: Do institutional characteristics of training occupations matter? Research in Social Stratification and Mobility, 67, 100495.
    Egalement disponible dans : Kriesi & Miriam Grønning, 2021 : Quel degré de culture générale dans la formation professionnelle ? : Hétérogénéité dans la formation professionnelle – incidence sur les parcours professionnels. Transfert, Formation professionnelle dans la recherche et la pratique (2/2021), SRPF, Société suisse pour la recherche appliquée en matière de formation professionnelle
  • Schweri, J., Aepli, M., et Kuhn, A. (2021). The costs of standardized apprenticeship curricula for training firms. Empirical Research in Vocational Education and Training, 13:16.
Citation

Aepli, M., Schweri, J., & Kuhn, A. (2021). Les plans de formation garantissent une formation étendue, mais occasionnent aussi des coûts. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 6(3).

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