Formation professionnelle intégrant des études supérieures à la Berufliche Hochschule Hamburg (BHH)
New kid on the block
Depuis août 2021, une centaine de jeunes adultes suivent une « formation professionnelle intégrant des études supérieures » à la « Berufliche Hochschule Hamburg » (haute école professionnelle de Hambourg) nouvellement créée à cet effet. Dans cinq filières à l’heure actuelle, elle permet aux étudiants et étudiantes d’entamer tout d’abord une formation professionnelle duale et de suivre en même temps des modules d’un cursus de bachelor en rapport avec leur spécialité. Au bout de 18 mois au plus tard, ils décident s’ils veulent poursuivre la formation professionnelle, les études ou les deux. Ce modèle évite les difficultés des mises en œuvre actuelles des études duales. Les fondateurs espèrent qu’il renforcera la formation professionnelle duale, qui est sous pression en Allemagne.
Points de départ…
En Allemagne, la formation professionnelle est également ouverte aux personnes qui quittent l’école avec un diplôme d’accès aux études supérieures (maturité) ; plus de 30 % des apprentis et apprenties y sont titulaires d’une maturité. Il en résulte une grande variété d’options pour les jeunes. Davantage d’options exigent davantage de décisions. En Allemagne, les jeunes titulaires d’une maturité doivent en principe faire leur choix entre la formation professionnelle ou les études, et il y a en outre l’option supplémentaire des études duales, qui prévoit dans une variante de formation intégrée l’accomplissement parallèle de l’apprentissage et des études.
Dans ce contexte d’un vaste éventail d’options, il peut à première vue sembler étrange que l’on ait créé avec la formation professionnelle intégrant des études supérieures une option supplémentaire. Pourquoi ? Et comment se présente cette option ?
Pourquoi une formation professionnelle intégrant des études supérieures ?
L’introduction du nouveau modèle de la formation professionnelle intégrant des études supérieures (« studienintegrierende Ausbildung », siA) s’appuie essentiellement sur deux argumentations :
- Renforcement de la formation professionnelle duale ;
- Soutien des jeunes quittant l’école sans être certains de la décision à prendre.
Les réactions possibles s’alignent sur la thèse suivante : à long terme, la formation professionnelle ne peut pas être renforcée contre la formation universitaire, mais uniquement avec elle !
1
Même si les vitesses varient, on peut constater dans de nombreux pays une tendance à l’académisation comme suite d’un comportement changeant en matière de formation. Ainsi, en 2013, le nombre des jeunes commençant des études a dépassé pour la première fois en Allemagne celui des jeunes entamant une formation professionnelle. Les risques à long terme pour l’évolution de la formation professionnelle duale sont évidents : sans contre-mouvements efficaces, elle menace de se marginaliser.
À côté du comportement modifié en matière de formation, d’autres développements encore soutiennent cette tendance. Ainsi, dans un système très différencié d’enseignement supérieur et de formation, on constate des convergences de profils entre les études d’orientation professionnelle et les métiers d’apprentissage exigeants (Euler 2021). On retrouve par exemple de nombreux contenus curriculaires d’une formation commerciale de base dans un cursus de gestion d’entreprise d’orientation pratique, notamment dans les hautes écoles spécialisées. Les lignes de démarcation traditionnelles entre la formation professionnelle et les études académiques se sont dissoutes dans bien des spécialités au profit d’une tendance à une « professionnalisation de l’académique – académisation du professionnel ».
Dans ce contexte, la formation professionnelle qui jouit d’un moindre prestige risque à long terme de perdre de son attrait, notamment pour les jeunes aux performances élevées, et donc de son importance. Les réactions possibles s’alignent sur la thèse suivante : à long terme, la formation professionnelle ne peut pas être renforcée contre la formation universitaire, mais uniquement avec elle !
2
Une deuxième raison relève des incertitudes d’une partie des jeunes concernés quant au choix à faire après l’école. Beaucoup de parents, mais également des conseillers et conseillères en orientation et des enseignants et enseignantes des gymnases, parlent de jeunes qui, après avoir acquis la maturité, n’arrivent pas à se décider s’ils veulent entreprendre une formation professionnelle ou des études. Ce constat anecdotique est étayé par des études empiriques : dans une enquête de l’institut Allensbach, environ 22 % des jeunes ayant accompli le gymnase répondent à la fin de leur scolarité qu’ils n’ont pas encore pu prendre de décision claire quant au parcours consécutif (formation professionnelle ou études) (Institut démoscopique Allensbach 2015). Un sondage auprès de 2092 élèves du secondaire II avant l’acquisition de la maturité a déterminé que 39 % d’entre eux avaient modifié leur décision au cours des deux années scolaires passées, et que 17 % sont encore indécis à la fin de la 13e année (Schuchardt et al. 2016).
Renforcement de la formation professionnelle duale par les études duales ?
En Allemagne, les études duales proposent déjà une combinaison de la formation professionnelle et académique. Elles connaissent une demande sans cesse croissante depuis leur introduction dans les années 1970. Elles sont essentiellement proposées en deux variantes :
- les études duales intégrant la formation professionnelle combinent une formation professionnelle duale à des études de bachelor ;
- les études duales intégrant la pratique complètent les études de bachelor par des stages pratiques en entreprise.
Le rapport entre les cursus intégrant une formation professionnelle et ceux intégrant des stages pratiques était en 2021 de 37:63 – avec un net glissement en direction des cursus intégrant des stages pratiques (en 2011, la relation entre les deux variantes était encore de 53:47) (Nickel et al. 2022, 90 ; BIBB 2020, 13). Environ 75 % des jeunes entamant des études duales ont opté pour la variante intégrant des stages pratiques (Nickel et al. 2022, 141).
Ceci renforce l’affirmation centrale selon laquelle les études duales ne contribuent pas (ou plus) à renforcer la formation professionnelle duale en Allemagne […].
Avec les études duales intégrant une formation professionnelle, on dispose en principe d’un format au sein duquel on pourrait agencer une imbrication des compétences professionnelles et académiques. Ceci supposerait, à côté de l’imbrication formelle des curricula et des diplômes, un profil coordonné entre les lieux de formation concernés, qui permette au développement des compétences académiques et professionnelles de se fertiliser mutuellement. Dans la pratique des études duales, ceci n’en est encore qu’à ses débuts. Une analyse de 14 filières d’études duales a montré que la coordination et la coopération entre les lieux de formation impliqués se limite dans une large mesure au strict nécessaire. Tandis que les représentants des hautes écoles insistent sur l’autonomie de la recherche et de l’enseignement, les représentants des entreprises soulignent leur (seule) responsabilité pour la formation en entreprise (Kupfer et al. 2014). Les constats concordent avec les travaux de Langfeldt (2018), qui met en évidence, sur la base d’un sondage auprès des acteurs concernés, les difficultés d’une coopération des lieux de formation dans les études duales.
Dans 10 des 16 Länder allemands, même dans des études duales intégrant la formation professionnelle, les personnes suivant des études duales n’ont pas l’obligation de fréquenter une école professionnelle (Nickel et al. 2022, 62). Ceci renforce l’affirmation centrale selon laquelle les études duales ne contribuent pas (ou plus) à renforcer la formation professionnelle duale en Allemagne, en raison du recul quantitatif de la variante intégrant une formation professionnelle, de la coordination curriculaire et de la coopération entre les lieux de formation restant en réalité souvent rudimentaires ainsi que de l’exclusion de l’école professionnelle comme lieu de formation.
Conception de la formation professionnelle intégrant des études à la BHH
Dans ce contexte, la formation intégrant des études (siA) entend proposer une perspective pour le développement des études duales dans le sens d’un renforcement de la formation professionnelle, et d’un soutien pour les titulaires d’une maturité qui ont des incertitudes quant à la décision à prendre. À cet effet, le modèle siA a été créé avec les composantes-clés suivantes (Euler & Severing 2019) :
Au bout de 18 mois au plus tard, ils décident sur la base des expériences acquises s’ils veulent tout d’abord terminer « uniquement » la formation, poursuivre « uniquement » les études ou viser un diplôme de formation professionnelle et d’études
- À l’issue de leur scolarité, les jeunes concluent un contrat de formation avec une entreprise et entreprennent une formation professionnelle associée à des modules d’un cursus de bachelor en rapport avec le métier. Ils acquièrent en principe les compétences prévues par le règlement de formation et les plans d’études pour le métier d’apprentissage en question, mais dans des classes séparées de l’école professionnelle et plus rapidement. Ils sont tout à la fois des apprenti/e/s et des étudiant/e/s.
- Ils ne doivent faire le choix entre les études ou la formation professionnelle qu’une fois qu’ils ont pu acquérir des expériences dans les deux secteurs de formation.
- Au bout de 18 mois au plus tard, ils décident sur la base des expériences acquises s’ils veulent tout d’abord terminer « uniquement » la formation, poursuivre « uniquement » les études ou viser un diplôme de formation professionnelle et d’études. Les performances d’apprentissage réalisées dans les lieux de formation sont prises en compte.
- Pour leur prise de décision, les jeunes peuvent avoir recours à une offre de coaching.
- Le concept de formation imbrique les contenus de la formation et des études dans des domaines correspondants (formation/cursus d’études) sur le plan curriculaire de manière à éviter les doublons.
- À l’école professionnelle et/ou dans l’entreprise, les jeunes accomplissent dans une mesure convenue des modules spécialisés appropriés à un niveau d’études supérieures, qui sont pris en compte par la haute école dans le cursus correspondant. Par exemple, le module « comptabilité » prévu dans les études de gestion est enseigné à l’école professionnelle à un niveau d’études supérieures et pris en compte par la haute école. En même temps, certains contenus qui sont prévus dans le curriculum de l’école professionnelle, mais déjà enseignés à la haute école, ne sont pas repris encore une fois à l’école professionnelle.
- Entre les lieux de formation que constituent la haute école, l’école professionnelle et l’entreprise, une coopération allant au-delà de l’information mutuelle et d’une répartition organisationnelle grossière des contenus est établie.
Après son développement et sa publication, le modèle a fait l’objet de premiers essais pilotes avant d’être étudié par la politique dans le Land de Hambourg en vue d’une reprise fondamentale dans l’offre de formation professionnelle. Sur la base d’une étude de faisabilité (Euler & Severing 2017), le sénat de Hambourg a pris avec le Premier bourgmestre de l’époque, Olaf Scholz, la décision d’introduire ce modèle et de fonder à cet effet un nouveau type de haute école, la haute école professionnelle (Berufliche Hochschule Hamburg BHH). La BHH a finalement été créée en 2020 après d’intenses travaux préparatoires juridiques, organisationnels, curriculaires et communicatifs, et a démarré ses activités en août 2021 avec une première cohorte de 100 apprentie/e/s / étudiant/e/s dans cinq nouvelles filières de formation intégrée siA, à savoir :
- employée de commerce industrie avec études de gestion d’entreprise – management industriel (B.A.),
- employé de commerce en communication marketing avec études de gestion d’entreprise – marketing et communication (B.A.),
- employée de banque avec études de gestion d’entreprise – gestion bancaire et financière (B.A.),
- métiers artisanaux et techniques avec études de gestion d’entreprise – management de petites et moyennes entreprises (B.A.),
- informaticien avec études d’informatique (B.Sc.)
Entre temps, le modèle siA a également été repris dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW).
Pourquoi les entreprises s’intéressent-elles à un tel modèle ? Car enfin, elles payent une rémunération d’apprentissage et risquent que les personnes en formation, dans le cas extrême, abandonnent la formation et passent aux études. Dans l’étude de faisabilité susmentionnée ainsi que dans des entretiens actuels, les responsables des ressources humaines déclarent que ce modèle leur offre une possibilité élargie d’attirer et de fidéliser des élèves performants en fin de scolarité. Par ailleurs, selon eux, il débouche sur de nouveaux profils de compétences répondant aux besoins. Ils pensent également que la décision basée sur l’expérience après une première période de formation et d’études est une bonne chose, puisqu’elle assure une meilleure sécurité de planification pour une éventuelle embauche ultérieure.
Entre temps, le modèle siA a également été repris dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW). Contrairement à Hambourg où, dans le cadre d’une ville-État, les différents domaines de formation ont pu être reliés à une haute école centrale comme la BHH, la mise en œuvre d’une formation siA dans un Land de grande surface comme la Rhénanie-du-Nord-Westphalie exige une coopération entre les hautes écoles existantes et les écoles professionnelles sur les différents sites. À l’heure actuelle, la transposition du modèle à ces nouvelles conditions-cadres est dans sa première phase de réalisation. Sur deux sites, on a pu commencer avec une petite cohorte en 2021 ; pour l’année de formation 2022/23, une extension à huit sites supplémentaires est prévue.
Quelle pertinence pour la Suisse ?
Les termes peuvent être trompeurs ! Ainsi, le terme de « système dual » englobe en Suisse et en Allemagne des processus et des responsabilités en partie différents. Par exemple, en Allemagne, les résultats à l’école professionnelle n’ont pas d’importance pour la réussite de l’examen final, qui est réalisé par une chambre. En Suisse, l’importance de l’école professionnelle et les responsabilités pour l’examen sont tout à fait différentes.
Cet exemple montre que certaines configurations essentielles dans la gouvernance et la culture de la formation professionnelle duale reposent sur des fondements différents en Suisse et en Allemagne. Si l’on considère que les débats sur l’intérêt d’études duales en Suisse n’ont guère obtenu de soutien durable jusqu’à présent, un transfert semble peu évident à première vue. L’attitude fondamentale d’une imbrication plus étroite de la formation professionnelle et académique, qui est à la base d’une formation siA, fait face en Suisse à la position de base de permettre une perméabilité dans des domaines définis, mais de maintenir en principe une séparation claire entre les deux secteurs de la formation.
Mais la régulation d’un système de formation par l’État touche à ses limites lorsque le comportement de formation des personnes concernées suggère d’ouvrir de nouvelles voies. En Allemagne, le point de départ essentiel pour le développement de nouvelles intégrations de la formation professionnelle était l’aspiration de nombreux jeunes à acquérir une maturité afin de pouvoir ensuite entreprendre des études. Ceci découle également de la tendance à moyen terme analysée par Baethge et al. (2014), selon laquelle un diplôme de fin d’études garantit davantage qu’un certificat d’apprentissage un revenu élevé, un emploi sûr et la perspective d’un travail stimulant.
Il sera intéressant d’observer si la Suisse, avec sa stratégie actuelle, peut se soustraire à ces tendances, du moins dans une certaine mesure, ou si l’évolution amorcée en Allemagne conduira tôt ou tard ici également à de nouvelles approches d’imbrication de la formation universitaire et de la formation professionnelle.
Références
- Baethge, M.; Kerst, C.; Leszczensky, M.; Wieck, M. (2104). Zur neuen Konstellation zwischen Hochschulbildung und Berufsausbildung. In: Forum Hochschule (3 / 2014)
- BIBB – Bundesinstitut für Berufsbildung (2020). AusbildungPlus. Duales Studium in Zahlen 2019. BIBB: Bonn.
- Euler, D. (2021). Shaping the relationship between vocational and academic education. Socioeconomic trends and their implications for the future of apprenticeships. In: Cedefop/OECD (Hrsg.): The next steps for apprenticeship. Luxemburg 2021, S. 39–49. URL: http:// data.europa.eu/doi/10.2801/085907 (Stand: 20.04.2022).
- Euler, D.; Severing, E. (2016). Modell einer studienintegrierenden Ausbildung. Gütersloh: Bertelsmann Stiftung.
- Euler, D.; Severing, E. (2017). Die Gründung einer „Beruflichen Hochschule Hamburg“ – Vorbereitungen und Meilensteine. Unveröffentlichtes Gutachten.
- Euler, D. & Severing, E. (2019). Von der Durchlässigkeit zur Verzahnung. In Euler, D. Meyer-Guckel, V. & Severing, E. (Hrsg.), Studienintegrierende Ausbildung (S. 7-14). Berlin: Stifterverband für die Deutsche Wissenschaft.
- Institut für Demoskopie (Hrsg.) (2013). Die McDonald’s Ausbildungsstudie 2015. Allensbach.
- Kupfer, F.; Kolter, C. & Köhlmann-Eckel, C. (2014). Analyse und Systematisierung dualer Studiengänge an Hochschulen. Bonn: BIBB.
- Langfeldt, B. (2018). Lernortkooperation im dualen Studium – zu viel oder zu wenig Einfluss der Hochschulen auf die betrieblichen Praxisphasen? In: bwp@ Berufs- und Wirtschaftspädagogik – online, Ausgabe 34, 1-20.
- Nickel, S.; Pfeiffer, I.; Fischer, A.; Hüsch, M.; Kiepenheuer-Drechsler, B.; Lauterbach, N.; Reum, N.; Thiele, A.-L.; Ulrich, S. (2022). Duales Studium: Umsetzungsmodelle und Entwicklungsbedarfe. Bielefeld: W. Bertelsmann.
- Schuchardt-Hain, C. (2017). Konstruktion beruflicher Zukunft. Systemisch-konstruktivistisches Coaching zur beruflichen Erstorientierung. Dissertation. Köln.
Citation
Euler, D. (2022). New kid on the block. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7.