Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
Éditeur SGAB Logo

Neuf thèses sur le thème de la protection du climat dans la formation professionnelle initiale

Repenser la formation professionnelle

Le changement climatique est source d’inquiétude pour la jeunesse. Pourtant, cette thématique est peu présente dans les projets en cours dans le cadre de l’initiative « Formation professionnelle 2030 ». La formation professionnelle pourrait jouer un rôle charnière pour développer l’économie afin qu’elle soit moins consommatrice d’énergie et davantage tournée vers l’écologie. Cet article montre comment la formation professionnelle peut relever ces défis. Les personnes en formation doivent être mieux informées des causes et des conséquences et pourraient contribuer activement à les surmonter dans le cadre de leur formation professionnelle initiale. Cette dernière gagnerait ainsi en attractivité pour les jeunes.


Le changement climatique et ses conséquences

La Suisse, l’un des pays les plus riches du monde grâce à son économie très performante, est coresponsable de la hausse exponentielle des émissions.

Le changement climatique est source d’inquiétude pour la population, les autorités politiques et la science. L’enquête Sotomo sur le baromètre électoral SSR de juillet 2023 a recensé les principaux défis aux yeux des citoyennes et des citoyens. Le changement climatique est le défi le plus important de la Suisse, selon 40% des personnes interrogées. Il se classe devant les primes d’assurance maladie et l’immigration. Le changement climatique fait partie de notre quotidien : journées de canicule avec de nouveaux records de température, sécheresse et feux de forêt en Suisse. À cela s’ajoutent des pluies diluviennes, des tornades, des inondations et des laves torrentielles dans les Alpes, sans oublier la fonte du permafrost. Du fait de la fonte des glaces en Arctique, les jet streams ou courants d’altitude sont modifiés et entraînent davantage de conditions climatiques stationnaires.

Aujourd’hui, dans les sphères de la politique et de l’économie, la responsabilité humaine dans le changement climatique est en partie reconnue. Les rapports publiés par le GIEC, le groupe d’experts qui conseille l’ONU sur les questions climatiques, documentent la hausse des gaz à effet de serre sur la planète depuis ces 50 dernières années. Les principaux responsables de cette hausse sont les pays industrialisés situés dans l’hémisphère nord. Dans ces pays, les 10% des habitants les plus riches génèrent 49% des émissions du fait de leur mode de vie et de leurs habitudes de consommation. La Suisse, l’un des pays les plus riches du monde grâce à son économie très performante, est coresponsable de la hausse exponentielle des émissions.

Aujourd’hui, les articles scientifiques et politiques sur le changement climatique sont rédigés de telle sorte qu’ils soient compréhensibles pour les jeunes générations[1]. Depuis toujours, dans toute l’histoire de l’humanité, le climat a influencé le comportement des êtres humains[2]. Aujourd’hui, la problématique est différente : c’est le comportement des êtres humains qui a modifié le climat. Les scientifiques ont donné un nom à cette nouvelle ère : l’anthropocène, c’est-à-dire un changement climatique qui trouve son origine dans nos modes de vie et nos activités économiques.

L’« Accord de Paris » a été adopté en 2015, lors de la Conférence sur le climat COP 21. 197 parties contractantes ont signé cet accord et presque toutes l’ont ratifié, dont la Suisse. Cet accord est un traité international dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il a pour but de limiter le réchauffement climatique nettement en dessous de 2°C – si possible à 1,5°C – par rapport au niveau pré-industriel de 1850. La loi suisse sur le climat et l’innovation du 18 juin 2023 définit des directives politiques et économiques pour la réalisation de cet objectif d’ici à 2050. Reste à savoir si celles-ci permettront effectivement d’atteindre les objectifs fixés. Les entreprises spécialisées dans les secteurs de l’énergie solaire, de la rénovation de bâtiments et des installations sanitaires sont débordées. Les produits tout comme la main-d’œuvre qualifiée manquent. Mais au regard de l’urgence du défi à relever, c’est aussi la volonté politique pour atteindre les objectifs climatiques d’ici à 2050 qui fait défaut.

Stratégies recommandées par les expertes et experts pour surmonter le défi climatique

Les scientifiques ont des avis divergents sur les stratégies à mettre en œuvre pour surmonter le défi du changement climatique. Le physicien Gerd Ganteför cite trois stratégies :

  1. Une stratégie globale : l’accélération de la croissance économique dans les pays pauvres du Sud permet de relever le niveau de vie. Cela contribue à réduire les naissances et à atténuer la croissance démographique. Si, en plus, l’économie est organisée de telle sorte qu’elle ait moins d’impact sur le climat, on diminue automatiquement les émissions de CO2.
  2. Une stratégie locale : passage des centrales à charbon à des centrales utilisant le gaz. Cela permet de supprimer au moins 50% des gaz à effet de serre d’ici à 2050. Les objectifs de l’accord de Paris ne sont toutefois pas atteints avec cette mesure.
  3. Une nouvelle technique respectueuse du climat : en tant qu’expert en sciences naturelles, Ganteför mise sur la promotion des nanotechnologies et de la production d’énergie par fusion nucléaire. La recherche doit être soutenue par l’État. Cependant, à ce jour, il n’existe pas de réacteur à fusion nucléaire à la fois sûr et opérationnel.[3]

Welzer déplore le fait que le style de vie actuel de notre société, du fait de la croissance excessive, consomme ses propres conditions.

Le psychologue social Harald Welzer souhaite créer des marges de manœuvre pour des groupes distincts. Dans son ouvrage Penser par soi-même. Un guide de résistance[4], Welzer plaide en faveur d’un style de vie plus économe qui s’oppose au « toujours tout », principe qui domine, pas seulement dans le monde occidental. Il ne s’agit pas de croissance, d’efficacité et de consommation, mais de bonheur et de viabilité. Toutefois, ni le bonheur, ni la viabilité ne dépendent de la propriété. Welzer déplore le fait que le style de vie actuel de notre société, du fait de la croissance excessive, consomme ses propres conditions. Il présente différentes méthodes efficaces d’agir et de penser par soi-même qui sont tournées vers le bien-être commun et non vers le profit individuel et encourage donc chacun à exploiter les marges de manœuvre dont il dispose.

Enfin, la philosophe Ulrike Herrmann plaide pour un changement de système à court terme et limité dans le temps[5]. Le modèle économique alternatif qu’elle reprend s’inspire de l’économie de guerre britannique pendant la Seconde guerre mondiale. Si ce modèle est mis à profit pour limiter les effets du changement climatique, cela signifie que l’État, en tant que responsable de la protection de la population en vertu de la Constitution, est autorisé par la loi à gérer une partie de l’économie privée. Au moyen de directives quantitatives et qualitatives, l’État demande à l’économie de produire les biens essentiels à une production respectueuse de l’environnement, par exemple des panneaux solaires, des éoliennes, des pompes à chaleur et des dispositifs de stockage d’énergie. L’État garantit les ventes de ces produits. Le recrutement de la main-d’œuvre spécialisée nécessaire ainsi que la formation initiale et la formation continue sont subventionnés avec des mesures incitatives financières. Les personnes qui effectuent un service militaire ou civil sont mobilisées comme main-d’œuvre auxiliaire pour le montage et l’installation.

L’association économique Swiss Cleantec a présenté le document intitulé La voie vers un avenir respectueux du climat en 2018. Cette publication recense douze thèmes pertinents pour l’environnement et montre comment la technique peut être adaptée aux objectifs de l’Accord de Paris d’ici à 2050. Les thèmes sont les suivants :

#1 Adapter les bâtiments pour gagner en efficacité
#2 Produire de la chaleur sans CO2
#3 Électrifier les transports
#4 Créer des chaînes de mobilité et flexibiliser le travail
#5 Augmenter la production d’électricité durable
#6 Créer de nouvelles incitations pour le marché de l’électricité
#7 Investir dans les réseaux électriques et le stockage
#8 L’énergie la moins chère est celle qui n’est pas consommée
#9 Power-to-X: craquage de l’eau avec l’énergie solaire
#10 Favoriser l’économie circulaire
#11 Le CO2 doit avoir un prix à l’échelle mondiale
#12 Exploiter les avantages de la numérisation
(Swiss Cleantec, 2018)

Ces 12 thématiques forment un premier socle sur lequel la formation professionnelle initiale peut s’appuyer, au moins dans les professions techniques.

Importance du thème pour la réforme de la formation professionnelle

Toutefois, les dix lignes stratégiques du projet Formation professionnelle 2030 élaboré par le SEFRI avec des expert·e·s et des représentant·e·s des cantons, des associations professionnelles et des organisations du monde du travail ne contiennent aucune référence au changement climatique.

Les propositions des expertes et experts présentées dans la publication sont pertinentes pour la formation professionnelle. Pusterla, Schweri u.a.(2023) ont décrit la tendance dans la formation professionnelle selon laquelle les associations professionnelles et les organisations du monde du travail (Ortra) ont des difficultés à intégrer suffisamment rapidement les innovations du monde du travail dans les décisions relatives à la formation. Cela s’explique par la charge de travail liée à la révision des plans de formation tous les cinq ans et, surtout, par les processus de négociation complexes entre les différents partenaires des Ortra. La situation est similaire avec le thème de la protection du climat : les objectifs définis en la matière ne pourront être atteints qu’avec des interventions de l’État dans l’autonomie des Ortra.

Avec des directives étatiques pour la production d’équipements respectueux du climat tels que des panneaux solaires, des éoliennes ou des pompes à chaleur, nous tenons l’engagement d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Les nouvelles technologies et la transformation numérique peuvent agir comme des catalyseurs si l’on invente de nouvelles technologies plus respectueuses du climat. Par exemple, la recherche sur des moyens plus efficaces de stocker l’énergie pourrait être subventionnée par des groupements d’États intéressés. Les habitudes professionnelles des personnes en formation, qui seront à l’avenir des employé·e·s, et le fait de repenser son propre mode de vie pourraient, le cas échéant, contribuer à la réalisation des objectifs.

Toutefois, les dix lignes stratégiques du projet Formation professionnelle 2030 élaboré par le SEFRI avec des expert·e·s et des représentant·e·s des cantons, des associations professionnelles et des organisations du monde du travail ne contiennent aucune référence au changement climatique. Seul le mot « durable » y fait allusion : « La formation professionnelle prépare les individus à intégrer durablement le marché du travail » (ligne stratégique 1). La notion de durabilité n’est toutefois pas expliquée.

Ainsi, les écoles professionnelles se trouvent aujourd’hui dans la même situation que dans les années 1920, lorsque Georg Kerschensteiner appelait l’école professionnelle à garantir une instruction civique[6] pour éviter les troubles sociaux, en particulier parmi les jeunes. Les jeunes générations sont aujourd’hui organisées sous différents groupes et formes : « Letzte Generation » (dernière génération), « Fridaysforfuture » ou « RenovateSwitzerland ». Ce sont des indicateurs montrant le fossé qui existe entre les contenus de formation et la politique climatique. La croyance selon laquelle on va supprimer les émissions de gaz à effet de serre telles que le CO2 avec une politique « des petits pas » régresse et laisse parfois la place à une peur existentielle de la jeunesse de ne plus pouvoir survivre au réchauffement climatique. En juin 2023, des activistes du climat ont annoncé l’occupation d’écoles et d’universités avec la devise « La Terre brûle, l’école dort ». Le passage des protestations à des actions non violentes de collage d’affiches dans les rues est aujourd’hui une réalité. Mais on ne devrait pas assister à une nouvelle révolte des jeunes avec des troubles sociaux et de la violence. Dans ce contexte, la formation professionnelle a pour mission d’intégrer les préoccupations justifiées des jeunes générations et de participer activement à la résolution des questions urgentes liées au changement climatique et à ses conséquences pour l’économie.

Philipp Gonon (2023) appelle de ses vœux une formation professionnelle à la fois verte, hybride, perméable et inclusive. Ses réflexions sont résumées dans cette publication. La formation professionnelle verte comprend les tâches suivantes :

  • « Définir des directives pour une formation professionnelle verte qui évitent le greenwashing
  • Désigner explicitement des objectifs durables dans les ordonnances sur la formation et dans les plans de formation
  • Créer des cercles de qualité verts dans les entreprises, dirigés par des personnes en formation
  • Promouvoir de manière plus systématique la combinaison d’aptitudes techniques, universitaires et numériques et de capacités pratiques et professionnelles dans la pratique de la formation professionnelle et relier ces trois domaines,
  • Promouvoir l’apprentissage orienté projets et l’apprentissage auto-organisé en entreprise et à l’école »[7]

En plus de la mise en œuvre de ces objectifs de formation, des changements fondamentaux doivent être opérés dans la formation professionnelle. Philipp Gonon parle d’une « formation professionnelle hybride », qui réunit les connaissances étudiées et le savoir-faire artisanal[8]. Les personnes en formation disposent d’aptitudes et de capacités spécifiques à un métier qui peuvent être appliquées manuellement dans la pratique. Le développement d’une haptique spécifique au métier est fondamental. Une personne qui connaît tous les procédés de soudure et qui les maîtrise est en mesure de réfléchir à des alternatives ou à un perfectionnement. Les aptitudes professionnelles peuvent être utilisées pour la conception de produits et de processus au sens d’innovations. Lorsqu’elles sont combinées avec les connaissances acquises sur le changement climatique et ses conséquences pour l’économie, on obtient un ensemble de compétences professionnelles qui incluent non seulement la méthode de travail productive, mais aussi une perspective créative, dynamique et tournée vers l’avenir qui débouche sur de nouvelles possibilités. C’est pourquoi l’artisanat, en tant qu’aptitude et capacité professionnelle traditionnelle, présente un deuxième socle solide : la formation professionnelle peut favoriser l’avènement d’une production alternative et compatible avec le climat au sein de l’économie. De même, dans le cadre de la formation professionnelle, repenser la manière d’agir tout en innovant fait partie intégrante de la formation.

Sur le plan méthodologique, il est judicieux de s’inspirer des connaissances et des méthodes des designers, dont la mission principale est de concevoir des nouveautés. Le modèle de la réflexion conceptuelle (« design thinking »), très répandu dans l’économie et les hautes écoles[9], soutient les environnements d’innovation et d’apprentissage qui sont en mesure de réunir les éléments requis d’une formation professionnelle hybride.

Avec de nouvelles prescriptions sur la formation approuvées par l’État, il est possible de faire du changement climatique et de ses conséquences l’un des axes prioritaires de la formation professionnelle.

Avec de nouvelles prescriptions sur la formation approuvées par l’État, il est possible de faire du changement climatique et de ses conséquences l’un des axes prioritaires de la formation professionnelle. Dans ce cadre, il est essentiel de mener des recherches sur de nouvelles technologies respectueuses du climat et de s’exercer à leur utilisation. Dans l’enseignement de culture générale, les personnes en formation doivent acquérir les connaissances nécessaires à propos de l’origine du changement climatique et de ses conséquences et réfléchir à leur mode de vie personnel par rapport au changement climatique. La structure de la formation professionnelle initiale avec ses trois lieux d’apprentissage que sont l’entreprise, l’école professionnelle et les cours pluridisciplinaires reste inchangée. Toutefois, il faut se demander s’il ne faudrait pas davantage mettre l’accent sur l’apprentissage indépendant du lieu de formation. Le processus de réflexion conceptuelle offre un cadre en vue d’un apprentissage axé sur les projets et l’action lorsque de nouvelles solutions sont recherchées.

Que fait la formation professionnelle aujourd’hui ? Le plan de formation menuisier/menuisière CFC de la Fédération romande des entreprises de charpenterie, d’ébénisterie et de menuiserie (FRECEM) datant de 2013 offre un bon exemple. Il cite des compétences méthodologiques qui participent à la mise en œuvre d’une formation professionnelle verte :

M5 Techniques de créativité et résolution de problèmes
Les menuisières/menuisiers CFC sont ouverts aux nouveautés et aux procédés non conventionnels. Ils sont capables de sortir des sentiers battus, de réfléchir sous différents angles à des solutions innovantes et de réagir de manière flexible à des situations imprévues.

M6 Comportement écologique
Les menuisières/menuisiers CFC adoptent un comportement respectueux de l’environnement et respectent les prescriptions en la matière :

    • ils utilisent de manière économe l’énergie, les biens ainsi que les matériaux de travail et de consommation ;
    • ils utilisent avec soin les installations ;
    • ils évitent, réduisent, recyclent et éliminent les déchets dans le respect de l’environnement ;
    • ils évitent les bruits nocifs ou gênants pendant le travail ;
    • ils détectent les possibilités d’amélioration.

Ces compétences sont transmises dans les trois lieux de formation que sont l’entreprise, l’école professionnelle et les cours interentreprises. En comparaison, le plan de formation relatif à la formation professionnelle initiale de fleuriste (diplôme AFP) a intégré les thèmes de l’écologie et du développement durable seulement dans un avenant de 2015 et sur recommandation de l’Office fédéral de l’Environnement (OFEV). Toutefois, le plan de formation ne précise pas où ni comment ces thèmes doivent être mis en œuvre.

Si l’on examine les plans de formation des différents métiers en Suisse, on constate que l’écologie, le recyclage et les mesures pour réduire la consommation d’énergie font presque toujours partie de la méthode de travail, mais ces thèmes sont peu expliqués et pas définis dans le temps dans la formation professionnelle initiale. Dans cette situation, trois stratégies sont envisageables.

  1. Les plans de formation contiennent trois thèmes transversaux qui peuvent être enseignés au sein des trois lieux d’apprentissage : le changement climatique et ses conséquences, l’économie circulaire avec une faible consommation d’énergie et une production durable et respectueuse du climat.
  2. Dans chaque métier, des compétences garantissant une production éco-compatible et économe en ressources sont formulées. Dans l’enseignement de culture générale, les personnes en formation acquièrent les bases sur le changement climatique et réfléchissent à un mode de vie écologique.
  3. Sur le plan méthodologique, les personnes en formation apprennent à gérer des défis concrets des entreprises ou de l’association professionnelle par rapport au changement climatique et à élaborer de nouvelles solutions. Cet apprentissage intervient dans le cadre de projets itératifs, qui englobent tous les métiers, par exemple avec la méthode de la réflexion conceptuelle.

Le thème directeur du changement climatique concerne tous les projets qui visent à réduire les émissions de CO2. Le thème de l’économie circulaire met l’accent sur des procédés de production économes en énergie. La consommation de ressources doit si possible être réduite grâce au recyclage des produits. Une production durable est possible si, dans le cadre d’un processus itératif de réflexion conceptuelle, les personnes en formation conçoivent d’une manière plus respectueuse du climat le produit à usiner, la méthode de production ou le processus étudié dans l’organisation.

La réflexion conceptuelle en tant qu’attitude et méthode

Il existe des liens – mais aussi des différences – entre la réflexion conceptuelle et « l’éducation pour le développement durable (EDD) ». Müller et Schmidberger (2022) ont établi la bibliographie à ce sujet. Dans le rapport Brundtland de 1987, l’EDD est définie comme un « développement qui satisfait les besoins du présent sans risquer que les générations futures ne puissent plus satisfaire leurs propres besoins ». En 2015, la communauté internationale s’est engagée pour le développement durable à travers 17 objectifs globaux définis dans un « Agenda 2030 pour le développement durable » de l’UNESCO. L’objectif n°13 appelle les États participants à « prendre immédiatement des mesures pour lutter contre le changement climatique et ses répercussions ». Cet objectif n’est toutefois pas quantifié dans l’agenda.

Pourtant, la menace actuelle que fait peser le changement climatique, avec une hausse exponentielle des émissions de CO2 au cours de ces vingt dernières années, exige des mesures concrètes qui sont définies dans l’« Accord de Paris ». L’idée, inhérente à l’EDD, d’une croissance économique continue doit aujourd’hui être remise en question. Müller et Schmidberger (2022) reprennent donc le cadre d’orientation de l’écologie défini dans l’EDD. En revanche, pour la mise en œuvre des objectifs éducatifs, ils recommandent la réflexion conceptuelle dans les programmes de formation des enseignant·e·s et dans les écoles. Les deux auteurs apportent de nombreux exemples d’utilisation réussie du design thinking à tous les échelons du système éducatif.

Lorsque, dans la formation professionnelle, un enseignant·e applique la réflexion conceptuelle pour traiter un projet et aborder des questions concrètes, il ou elle ne transmet pas seulement des connaissances sur les processus à appliquer pour développer des solutions et des innovations. L’enseignant·e développe aussi les compétences de demain chez les personnes en formation.

La réflexion conceptuelle est à la fois une attitude et un modèle de processus. Créée dans le sillon des entreprises technologiques de la Silicon Valley, cette méthode agile a été développée en 2003 avec la collaboration de Hasso Plattner, cofondateur de SAP, et David Kelley, fondateur de l’entreprise de design Ideo à la Stanford D.School de l’Université de Stanford. Elle est devenue un processus d’innovation de premier plan. L’attitude conceptuelle signifie l’ouverture d’esprit, la curiosité, le courage, le désir d’expérimenter, la capacité à accepter la critique et l’échec, l’optimisme et la ténacité. Dans l’action, la réflexion conceptuelle utilise le travail basé sur des processus et le savoir-faire des concepteurs qui élaborent des nouveautés pas à pas dans le cadre du processus agile cyclique qui consiste à « tester avec des prototypes – obtenir le feedback – perfectionner » (« procédé itératif »). Il ne s’agit pas de « réfléchir » mais aussi de remettre en question. Dans cette méthode, on « accomplit » aussi et le savoir-faire artisanal est encouragé. Les caractéristiques de la réflexion conceptuelle sont les suivantes :

  1. Les besoins des individus sont au centre des préoccupations (human centered). Dans le contexte abordé ici, ces besoins doivent être mis en adéquation avec le changement climatique, l’économie circulaire et la production respectueuse du climat.
  2. Personne ne pense que pour soi-même. Les travaux dans des équipes hétérogènes et pluridisciplinaires constituent la ressource technique et créative pour l’innovation.
  3. Les solutions de réflexion conceptuelle doivent remplir les critères suivants : elles sont souhaitables / pertinentes, faisables et rentables et / ou efficaces (ce dernier aspect concerne par exemple le secteur public dont la priorité n’est pas la rentabilité, ou la formation, dont la priorité sont les processus d’apprentissage).
  4. Le processus de réflexion conceptuelle comprend deux domaines avec différentes phases :
  • Étudier le domaine du problème et formuler le défi en matière de conception. En identifiant le véritable problème et les besoins des individus, on découvre la direction vers laquelle la solution doit s’orienter (ne pas travailler sur les symptômes !).
  • Explorer le domaine de solutions, créer des idées et tester des solutions pas à pas, au moyen de boucles de rétroaction, et passer à la réalisation. Attention : une innovation n’en est vraiment une que si elle est effectivement réalisée. Toutefois, dans la formation professionnelle initiale, on ne peut pas s’attendre à ce que les solutions soient directement intégrées à la production par des personnes en formation, même si cela peut arriver dans certains cas. Il s’agit avant tout de traiter des problèmes réels de la profession et / ou de l’association professionnelle et de pratiquer de manière répétée le travail créatif.

Lorsque, dans la formation professionnelle, un enseignant·e applique la réflexion conceptuelle pour traiter un projet et aborder des questions concrètes, il ou elle ne transmet pas seulement des connaissances sur les processus à appliquer pour développer des solutions et des innovations. L’enseignant·e développe aussi les compétences de demain chez les personnes en formation : analyse de problèmes, empathie, synthèse des enseignements et densification des connaissances aux défis à proprement parler, brainstorming et création d’idées, réalisation, expérimentation et perfectionnement d’idées via des prototypes qui remettent en question le produit et garantissent son évolutivité. Les personnes en formation exercent ainsi leurs compétences en matière d’apprentissage et d’innovation : esprit critique, créativité, communication et coopération. Ces quatre caractéristiques sont qualifiées d’« étape éducative vers l’avenir » par Sterelu.a. (2008).

Le centre de formation de Limmattal (ZH) a entrepris des étapes concrètes. Dans son travail de master, Ledergerber (2021) a expliqué, préparé et réalisé en tant que « produit » la formation continue de l’équipe enseignante. Un an plus tard, l’école professionnelle a effectué un projet basé sur la réflexion conceptuelle avec toutes les personnes en formation[10].

Des guides sur la réflexion conceptuelle pour les enseignant·e·s sont notamment disponibles auprès de l’institut Hoppe à Potsdam et de Deutsche Telekom. Meinel & Krohn (2022) ont documenté leurs expériences avec le processus de réflexion conceptuelle dans la formation.

Conclusions

Repenser la formation professionnelle : cela ne pourra réussir que si l’attitude de tous les acteurs et actrices, formateurs et formatrices, enseignant·e·s des écoles professionnelles et personnes en formation évolue et se tourne vers les défis de demain.

Une formation professionnelle novatrice et tournée vers les défis liés au changement climatique doit comporter une partie théorique scientifique. En fonction de la profession, elle doit aussi inclure des connaissances spécifiques. En 2023, Gonon qualifie le lien entre la formation professionnelle et la théorie scientifique d’« hybridation de la formation professionnelle » qui garantit le passage à la formation professionnelle supérieure. En conséquence, il est nécessaire de renégocier le temps imparti à l’enseignement à l’école professionnelle ou aux cours pluridisciplinaires, en particulier dans les professions importantes sur le plan du changement climatique. À la fois l’enseignement de culture générale et l‘enseignement spécifique à la profession doivent être pris en compte afin que les personnes en formation puissent acquérir les connaissances nécessaires et les compétences conceptuelles. Des gains d’apprentissage sont possibles pour toutes les personnes impliquées si l’on met l’accent sur le travail d’apprentissage indépendant du lieu de formation.

Nous résumons les recommandations dans neuf thèses.

  1. La formation professionnelle intègre le thème du changement climatique et ses conséquences dans les prescriptions en matière de formation et en fait un thème transversal dans les différents lieux d’apprentissage.
  2. Les thèmes transversaux sont les suivants : le changement climatique et ses conséquences pour l’économie, l’économie circulaire et la consommation d’énergie, la production et / ou les processus durables et respectueux du climat. Ces thèmes sont définis et justifiés dans les plans de formation.
  3. La possibilité d’utiliser des environnements d’apprentissage créatifs et orientés vers le changement climatique et d’appliquer des processus de réflexion conceptuelle est formulée dans les plans de formation. Le temps réservé à cet effet est indiqué.
  4. À l’école professionnelle, dans le cadre de l’enseignement de culture générale, on transmet aux personnes en formation les connaissances nécessaires sur le changement climatique et ses conséquences sur l’économie. Les personnes en formation réfléchissent à leur mode de vie et à leurs possibilités d’action personnelles.
  5. Le contenu des thèmes directeurs que sont le changement climatique, l’économie circulaire et la production durable est ouvert pour les personnes en formation. De petites équipes abordent de manière autonome des problèmes au moyen de modèles de processus comme la réflexion conceptuelle et élaborent des solutions pertinentes. Une importance particulière est accordée à la créativité et aux besoins concrets des utilisatrices et utilisateurs finals.
  6. Dans la formation professionnelle, les compétences artisanales sont mises en relation avec la conception de la production et des produits ou des processus. Les prototypes sont « compréhensibles » et réalisés en trois dimensions. Ils sont utilisés à des fins d’amélioration continue via des boucles de rétroaction.
  7. Lors de semaines consacrées à des projets, les personnes en formation contribuent de manière active à relever le défi du changement climatique. Une culture d’apprentissage autonome et créative est encouragée et pratiquée dans de petits groupes qui garantissent une interdisciplinarité maximale.
  8. Pour garantir une formation de base écologique et respectueuse du climat dans tous les métiers, les parties dédiées à l’enseignement à l’école, aux cours pluridisciplinaires ou à la formation en entreprise doivent être renégociées.
  9. Avec un diplôme CFC, les personnes en formation possèdent une formation de base écologique et peuvent donc accéder à la formation professionnelle supérieure. Celle-ci prendra également en compte le thème de la protection du climat.

Concernant les formations professionnelles initiales avec attestation professionnelle, nous proposons d’adapter les exigences à l’enseignement dispensé dans l’école professionnelle. Il est important que toutes les personnes en formation se rendent compte que les nouvelles solutions « ne tombent pas du ciel », mais qu’elles peuvent être élaborées par étapes, au moyen de processus tels que la réflexion conceptuelle.

Une formation continue des enseignant·e·s des écoles professionnelles et des formateurs et formatrices est certes nécessaire, mais elle est réalisable. Les thèmes abordés ici s’inscrivent dans un cadre didactique qui existe déjà. En font partie le travail autonome, la communication et la coopération au sein du groupe ou l’analyse des résultats du travail. De nombreux enseignant·e·s spécialisés dans un métier exercent à titre secondaire. Ils ont l’avantage de travailler également en entreprise et connaissent donc les défis économiques réels propres à leur branche.

Repenser la formation professionnelle : cela ne pourra réussir que si l’attitude de tous les acteurs et actrices, formateurs et formatrices, enseignant·e·s des écoles professionnelles et personnes en formation évolue et se tourne vers les défis de demain. Si les personnes en formation dans la formation professionnelle initiale se penchent activement sur le changement climatique et ses conséquences, elles pourront être amenées sur la voie vers un avenir plus respectueux du climat et devenir des acteurs et actrices de cet avenir.

Sources

  • Frankopan, Peter. Zwischen Erde und Himmel: Klima – eine Menschheitsgeschichte. Übersetzt von Henning Thies und Jürgen Neubauer. Deutsche Erstausgabe. Berlin: Rowohlt Berlin, 2023.
  • Ganteför, Gerd, Hermann Hess, und Manfred Irsch. Zielführender Klimaschutz. «Netto Null ist nicht gleich absolut Null.»Thurgauer Freisinn Nr. 4 (11. November 2022): 4–6.
  • Gonon, Philipp. Ein Handwerk studieren oder die Revision der Berufsbildung. Bern: hep Verlag, 2023.
  • Herrmann, Ulrike. Das Ende des Kapitalismus: warum Wachstum und Klimaschutz nicht vereinbar sind-und wie wir in Zukunft leben werden. 2. Auflage. Köln: Kiepenheuer & Witsch, 2022.
  • HoppeFoundation, Hrsg. Design Thinking und Schule. Ein Handbuch für den Schulalltag. Weinheim, 2018.
  • Ledergerber, Beatrice: Design-orientiertes Lernen für das 21. Jahrhundert.Grundlagen und Entwurf für eineWeiterbildung von Lehrpersonen an Berufsfachschulen. Unveröffentlichte Masterthese der Hochschule für Gestaltung und Kunst FHNW Basel, 2021
  • Meinel Christoph und Timm Krohn (Hrsg.):Design Thinking in der Bildung: Innovation kann man lernen.Weinheim, Wiley-VCH GmbH, 2022
  • Müller, Ulrich, und Iris Schmidberger. Design Thinking undBildung für nachhaltige Entwicklung: Auf kreativen Pfaden lernen eine nachhaltige Zukunft zu gestalten. In Design Thinking Im Bildungsmanagement, herausgegeben von Iris Schmidbauer, Sven Wippermann, Tobias Stricker, Ulrich Müller. Wiesbaden: Springer VS, 2022, 79-96.
  • Pusterla Filippo,Schweri Jürg, Strebel Alexandra et Zbinden André: Développement des champs professionnels dans le contexte des évolutions actuelles et des changements structurels. EHFP – Haute école fédérale en formation professionnelle, 2023
  • Sterel, Saskia, Manfred Pfiffner, Claudio Caduff, und Rita Süssmuth. Ausbilden nach 4K: ein Bildungsschritt in die Zukunft. Bern: hepVerlag, 2018.
  • Thunberg, Greta, Hrsg. Das Klima Buch. Übersetzt von Michael Bischoff und Ulrike Bischoff. Deutsche Erstausgabe. Frankfurt am Main: S. Fischer, 2022.
  • Welzer, Harald. Selbst denken: eine Anleitung zum Widerstand. 6. Aufl. Frankfurt am Main: Fischer, 2014.

Contact : martin.straumann@bluewin.ch

[1](Thunberg, Hrsg. 2022)
[2](Frankopan, 2023)
[3](Ganteför et al., 2022)
[4](Welzer, 2014)
[5](Herrmann, 2022)
[6](Gonon, 2023, 133ff.)
[7]Gonon, 2023, 198f.
[8]Gonon, 2023, 33ff.
[9] Par exemple Swisscom ou EPF Zurich
[10]Vidéo du centre de formation de Limmattal
Citation

Straumann, M., & Ledergerber, B. (2023). Repenser la formation professionnelle. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 8(10).

La présente contribution est protégée par le droit d'auteur. Toute utilisation est autorisée à l'exception de l'utilisation commerciale. La distribution sous la même licence est possible ; elle nécessite toutefois la mention de l’auteur.