Contacts internationaux
Une école professionnelle mobilise
L’échange et la mobilité dans la formation – pour beaucoup de gens, cela évoque avant tout les échanges culturels et l’acquisition de langues étrangères. Mais les programmes de mobilité peuvent être bien plus que cela, comme le montre l’exemple du centre de formation professionnelle et continue GBS (Gewerbliches Berufs- und Weiterbildungszentrum) à Saint-Gall. Les projets d’échange y sont devenus un véritable moteur d’expériences d’apprentissage pour les jeunes et le personnel de formation. «La formation professionnelle suisse peut apprendre bien des choses à l’étranger», affirme le directeur Daniel Kehl. Le nouveau projet Swiss-CoVE «innoVET» donne de l’élan à cette idée; il est soutenu par movetia.
On dit que les murs ont des oreilles. Mais ils ont parfois aussi une bouche. Dans le bureau de Daniel Kehl, ils parlent de voyages en bateau, de personnes en mouvement, du bonheur de faire de nouvelles expériences. Ils le font à travers des affiches, qui documentent les contacts internationaux entretenus par le directeur du centre de formation professionnelle et continue GBS à Saint-Gall. Lorsqu’on s’entretient avec Daniel Kehl, on comprend que la mobilité va bien au-delà de l’idée d’aller parler anglais quelques semaines à l’étranger.
Une multitude de collègues
Daniel Kehl a pris en 2006 la direction de l’école de création, une école partielle du centre de formation GBS qu’il dirige depuis 2019. Lors de sa prise de fonction à l’époque, il s’est interrogé sur les tâches de l’école, son organisation et ses relations: «Je voulais savoir comment l’école fonctionne. Je l’ai considérée comme une maison et me suis demandé où étaient les portes, combien nous avions de pièces et à quoi elles servaient, où menaient les escaliers et quels espaces il y avait autour de la maison.» Cette réflexion a guidé le développement de l’école pendant de longues années. Mais c’est la toute dernière question, celle qui portait sur les voisins au-delà de la clôture, qui a eu le plus profond impact. Premièrement parce qu’il n’y avait pratiquement pas d’informations sur le sujet. Et deuxièmement parce que cette question a permis, et continue à permettre, une foule de nouvelles expériences.
Daniel Kehl a jeté un premier regard au-delà de la clôture en 2011, lorsqu’il a participé avec Ben Hüter, directeur du centre de formation professionnelle IDM à Thoune, à un congrès du réseau EGIN (European Graphic/Media Industry Network). Cette expérience lui a ouvert les yeux et l’a marqué jusqu’à ce jour, déclare-t-il: «J’ai rencontré une multitude de collègues qui ne font rien d’autre que nous: ils forment des jeunes – en Espagne, en Finlande, au Danemark ou en Allemagne. Les entretiens avec eux étaient passionnants. Et l’on a fait connaissance personnellement et échangé des adresses.» Un mois après le congrès déjà, les choses ont continué: un directeur d’une école espagnole a invité Kehl à rejoindre avec son école un projet soutenu par le programme européen Erasmus, auquel participaient également la Finlande, la Hollande et le Danemark. Il s’agissait d’entretenir des échanges sur les transformations dans le secteur de l’impression, environ tous les six mois, dans le cadre de six visites mutuelles au total. Le projet était intitulé «Link», et l’une des affiches dans le bureau de Kehl a été réalisée à cette occasion.
L’ABC de l’internationalisation
Depuis une visite dans une école en Finlande, il y a également dans un couloir du GBS une barre fixe où les élèves peuvent prendre de l’exercice pendant les pauses.
Depuis ce projet, Daniel Kehl est convaincu de la valeur des échanges internationaux et de leur importance pour le développement des écoles. Cela commence avec des détails: depuis une visite dans une école en Finlande, il y a également dans un couloir du GBS une barre fixe où les élèves peuvent prendre de l’exercice pendant les pauses. Et se termine en grand: le GBS a commencé il y a quelques mois, selon le modèle de deux écoles danoises, à supprimer des salles de classe et à aménager des espaces ouverts d’apprentissage. De telles inspirations ont amené Daniel Kehl à élaborer dans le cadre de son mémoire de master un «ABC de l’internationalisation» qui propose aux cadres scolaires 26 questionnements et une évaluation pour une internationalisation réussie.[1] Et c’est également Daniel Kehl qui s’est ensuite chargé d’organiser le projet consécutif à Link (Link 2) consacré à la conception d’emballages, le plus important «marché en expansion» de l’industrie créative à l’époque. Là encore, des visites mutuelles de cinq jours environ constituaient le cœur du projet (également financé par le biais d’Erasmus), auquel ont participé par école deux ou trois membres de la direction et une demi-douzaine d’apprenants et apprenantes. Et à nouveau, les rencontres se sont alignées sur un programme soigneusement défini de conférences, d’ateliers, de travaux de projet, d’excursions, de discussions, et d’activités de loisirs en commun. Lors de la rencontre au Danemark, par exemple, les apprenants et apprenantes des cinq pays participants ont rendu visite au groupe Lego et se sont vu attribuer la tâche de concevoir des emballages aussi «cool» que possible – de l’analyse des besoins à l’idée, de la production à la présentation. Les emballages interactifs constituaient la grande nouveauté à l’époque.
De tels travaux de projet encouragent intensément les compétences interculturelles. «Lorsque des jeunes de divers pays travaillent ensemble à un objectif commun, il se passe énormément de choses», dit Daniel Kehl. «Les uns ont peut-être une démarche moins structurée, mais des idées plus inattendues. D’autres sont plutôt passifs, mais peuvent argumenter de façon plus émotionnelle et convaincante. Et d’autres encore ne savent peut-être pas si bien réaliser des esquisses, mais ont davantage le courage d’exprimer des objections.» Au lieu d’utiliser le terme de compétences interculturelles, Daniel Kehl parle volontiers des 4C qui revêtent une importance majeure pour les personnes en formation au XXIe siècle: communication, collaboration, créativité et pensée critique.
Si l’on demande de manière un peu provocatrice à Daniel Kehl ce que la formation professionnelle suisse peut bien apprendre à l’étranger, il rit. «Nous pouvons toujours nous améliorer».
Si l’on demande de manière un peu provocatrice à Daniel Kehl ce que la formation professionnelle suisse peut bien apprendre à l’étranger, puisqu’elle a déjà atteint depuis longtemps un niveau d’excellence, il rit. «Nous pouvons toujours nous améliorer», répond-il, et déclare: «Je pense que la formation professionnelle suisse est bien organisée et obtient de bons résultats. Mais lorsqu’il s’agit par exemple de garder une vue d’ensemble dans une situation chaotique, de faire preuve de créativité, de communiquer de manière critique ou de porter un regard au-delà du cadre de nos plans de formation, nos apprenants et apprenantes et nous-mêmes nous heurtons à des limites.» Sur le plan du contenu également: ainsi, on n’a pas besoin de montrer à une graphiste suisse comment fonctionne Photoshop. Mais pour ce qui est du travail avec la musique et les effets sonores, les Hollandais ont une longueur d’avance. Ce sont notamment de tels constats qui ont animé Daniel Kehl et Ben Hüter à s’employer en Suisse alémanique en faveur de la création d’une formation professionnelle initiale d’«Interactive Media Designer CFC», reprenant beaucoup d’éléments observés à l’étranger.
Projet Swiss-CoVE «innoVET»
Aujourd’hui, le GBS Saint-Gall fait partie d’un réseau européen d’écoles qui participent régulièrement à des programmes d’échange. Ceci explique également pourquoi le GBS – sans doute comme seule école professionnelle suisse – se présente également en anglais sur son site Internet. L’un de ces programmes est Commercialpolis, dans le cadre duquel les jeunes en formation se penchent dans le cadre de huit réunions sur les bonnes pratiques de narration dans des clips vidéo. Des clips publicitaires d’une minute sur le thème «Local Heroes» – des produits alimentaires de production locale – sont ainsi issus de la conférence à Saint-Gall. D’autres projets réalisés étaient Kosmopolis et THINK!digital, le projet CS-21 est encore en cours. [2]
Pour Daniel Kehl, l’important n’est pas que son école participe à un maximum d’activités internationales – «soyez un partenaire junior en termes quantitatifs, mais un partenaire senior en termes qualitatifs» est l’un des postulats de son ABC – mais de faire progresser la cause de l’échange interculturel. À côté d’une offre étendue d’enseignement bilingue, le GBS propose depuis 2017 un «programme de mobilité» qui est également doté de ressources administratives. Les jeunes et le personnel de formation y obtiennent – avec le soutien financier de movetia, l’agence nationale pour la promotion des échanges et de la mobilité au sein du système éducatif – également la possibilité d’un séjour individuel à l’étranger dans l’une des 15 écoles partenaires. La demande, toutefois, laisse encore à désirer. «À l’heure actuelle, environ 50 apprenants et apprenantes par an y participent, cela ne me satisfait pas encore. C’est aussi une question de culture, de la part des jeunes, des parents, des employeurs.» Il en va de même pour les enseignants et enseignantes: «Tout enseignant peut passer une semaine payée à l’étranger. Actuellement, une demi-douzaine de personnes par an profitent de cette possibilité.» Ceci est également dû à la formation du personnel enseignant: l’apprentissage interculturel ou la mobilité sont des thèmes pratiquement inexistants dans la formation des enseignants et enseignantes du secondaire II. Daniel Kehl le déplore: «Il est difficile de motiver les enseignants à la mobilité s’ils n’en ont encore jamais entendu parler», explique-t-il. La formation continue également reste rare. Ainsi, deux instituts seulement proposent des cours dans ce domaine: la Haute école spécialisée de Suisse orientale OST (CAS de compétence interculturelle) et l’Institut de communication et de gestion IKF de l’Université de Lucerne (CAS de communication interculturelle et de compétences transculturelles).
À l’heure actuelle, environ 50 apprenants et apprenantes par an y participent, cela ne me satisfait pas encore.» Daniel Kehl
Entre temps, Daniel Kehl est devenu un expert très demandé sur le thème de la mobilité: ainsi, il assume également la direction d’un nouveau projet intitulé Swiss-CoVE «innoVET» (innovation par internationalisation de la formation professionnelle suisse). 15 écoles de neuf pays participent à ce projet financé par le SEFRI (un Center of Vocational Excellence selon la terminologie de l’Union européenne [3]). L’objectif consiste, entre autres, à développer des structures, des outils et des méthodes qui facilitent aux écoles professionnelles intéressées le développement d’une stratégie d’internationalisation et la promotion de l’innovation; la base est constituée par la loi fédérale et l’ordonnance sur la coopération et la mobilité internationales en matière de formation, qui devraient entrer en vigueur au printemps 2022.
«Ils partent comme jeunes et reviennent comme adultes»
Il est surprenant qu’il n’y ait pas plus de jeunes qui se rendent à l’étranger. Car c’est sur de tels séjours que s’appuient bien des histoires de réussite de la Suisse comme pôle économique.
«Lors de vos années d’apprentissage à l’étranger, apprenez surtout à fondre le fer» – c’est en ces termes que Jacob Sulzer, selon les sources, encouragea dans les années 30 du XIXe siècle ses deux fils aînés Johann Jakob et Salomon à partir à l’étranger. Il avait reconnu que l’avenir n’appartenait pas à la coûteuse fonte de laiton, mais à la fonte de fer. La suite est un chapitre d’histoire industrielle: inspiré entre autres par des idées et des experts de l’étranger, Sulzer allait s’élever au rang d’un groupe mondial.
L’histoire de l’industrie suisse est riche en exemples qui montrent que les expériences et les réseaux internationaux sont déterminants pour l’essor de nombreuses entreprises et la prospérité économique de notre pays. Bien entendu, étant donné la structure de la formation professionnelle initiale avec ses trois lieux de formation, l’organisation d’absences prolongées des apprentis et apprenties est difficile. Un séjour à l’étranger exige notamment que les entreprises formatrices réalisent que si les journées d’absence ainsi occasionnées ont peut-être un impact négatif à court terme, elles s’avèrent payantes à moyen et à long terme. Il y a depuis longtemps déjà suffisamment d’entreprises formatrices qui peuvent faire état d’expériences favorables par rapport aux activités d’échange. Stefanie Fritschi assure chez Swissmem le suivi du programme MovMEM, dans le cadre duquel des jeunes partent environ trois semaines à l’étranger. Elle déclare: «Beaucoup d’entreprises pensent qu’elles n’ont pas les moyens d’un tel échange, ou qu’il n’apporte rien. Nous faisons l’expérience du contraire. Bien des entreprises constatent qu’après leur séjour à l’étranger, les jeunes sont plus ouverts, plus disposés à apprendre, et abordent les choses d’une manière différente.»[4]À une époque où de plus en plus d’entreprises opèrent à l’échelle internationale, de telles expériences sont un atout pour les jeunes en formation tout comme pour les entreprises.
La recherche également peut confirmer l’utilité des expériences dans des espaces culturels différents. Les avantages sont évidents, affirme Stefan Kammhuber, directeur de l’institut ikik de communication et de compétence interculturelle de la Haute école spécialisée de Suisse orientale OST, et ils vont bien au-delà de l’acquisition d’une langue étrangère.
- Dans d’autres espaces culturels, les jeunes affinent leur vision de leur propre identité culturelle. En apprenant à connaître les autres, on apprend à se connaître soi-même.
- À l’étranger, les jeunes professionnels découvrent d’autres technologies ou procédés, qu’ils peuvent ensuite mettre à profit dans leur pays.
- En faisant la connaissance de personnes à l’étranger, les jeunes en formation élargissent leur réseau personnel et professionnel. Ceci est précieux pour des entreprises ou des activités professionnelles aux connexions internationales.
- En osant s’aventurer dans un environnement inconnu et en prenant le risque de situations indéterminées, les jeunes sortent de leur zone de confort. Ils accroissent ainsi ce que la psychologie appelle leur auto-efficacité – la confiance de pouvoir mener à bien ce qu’ils entreprennent.
- Cette confiance en soi peut également être qualifiée de compétence pour l’avenir. Elle nous permet de garder notre sérénité lorsque notre environnement change de plus en plus vite, ou lorsque les évolutions sont incertaines.
«Les apprenants et apprenantes partent souvent à l’étranger comme jeunes, et en reviennent comme adultes», déclare Stefan Kammhuber – et plus les séjours sont longs, mieux cela vaut. «Certes, des courts séjours de trois semaines peuvent également être utiles», dit Stefan Kammhuber, «mais les séjours plus longs apportent davantage». Il recommande par ailleurs de préparer le séjour. Il s’agit par exemple de se pencher mentalement sur des situations typiques, telles qu’une autre notion du temps ou l’importance des hiérarchies. Et un travail de suivi consécutif sert à tirer le bilan des expériences acquises. À cet effet, selon lui, la méthode des «Critical Incidents» a fait ses preuves, permettant de saisir et d’interpréter des situations critiques d’événements passés – par exemple par rapport aux valeurs qui importent dans la propre culture et dans l’autre. «La compétence interculturelle ne consiste pas à être un meilleur Japonais que les Japonais eux-mêmes. Il s’agit d’apprendre à comprendre les autres tout en restant fidèle à soi-même, sans brusquer son interlocuteur.»
Citation
Fleischmann, D. (2021). Une école professionnelle mobilise. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 6.