Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Présentation de la formation en Junior Team dans le canton de Vaud

L’apprentissage en Junior Team : une alternative au modèle dual classique ?

La formation professionnelle initiale perd en attractivité auprès des jeunes. Pour y remédier, une politique publique de valorisation de l’apprentissage est déployée dans le canton de Vaud depuis 2017. Parmi ses différentes mesures, elle vise la mise en œuvre de modèles de formation innovants et complémentaires au modèle dual classique. Les objectifs sont tout à la fois d’augmenter la quantité de places d’apprentissage, de soutenir la qualité de la formation et de jouer favorablement sur l’image de ce système de formation auprès des jeunes et de leurs parents qui hésiteraient à la rejoindre. La présente contribution vise à présenter la formation en Junior Team. Si d’importants résultats sont obtenus, les défis de la mise en œuvre de ces Junior Teams ne sont cependant pas à négliger.


Le modèle du « Junior Team » consiste, pour une entreprise formatrice, à instaurer en son sein une équipe de 5 à 8 apprenties et apprentis se formant au même métier, ou à des métiers connexes qui permettent de travailler autour des mêmes projets.

Et si la formation professionnelle initiale était confrontée à davantage de défis que ne le laissent régulièrement entendre les discours vantant son excellence ? Cette question n’a pas pour objectif de mettre en doute la pertinence de cette voie de formation, mais d’offrir une fenêtre de réflexion supplémentaire aux ajustements constants que ce système doit opérer pour être en phase avec les nombreux enjeux qu’il rencontre.

Dans la plupart des pays européens, la proportion de jeunes optant pour une formation professionnelle a baissé ces dernières années au profit de la formation générale, y compris en Allemagne où son système dual fait depuis longtemps figure d’exemple (Kriesi et al., 2022). La Suisse, elle, ne fait pas exception à la règle, avec une baisse de 4.6% des jeunes qui optent pour un apprentissage par rapport à 2014 (Wolter in Fleischmann, 2023). Ce chiffre ne doit cependant pas masquer l’existence de différences cantonales fortes puisque quelques cantons connaissent, à rebours de cette tendance générale, une hausse de cette proportion.

Dans le canton de Vaud, où la formation professionnelle initiale perd du terrain depuis de nombreuses années, la recherche des causes est solidaire du déploiement d’une politique publique en faveur de l’apprentissage. Ainsi, parmi les éléments identifiés pesant sur l’attrait pour ce système de formation dans ce canton figurent notamment l’appréhension de certains jeunes à rejoindre directement le monde de l’entreprise, la difficulté pour d’autres de faire face aux exigences de l’apprentissage, la conviction largement partagée dans de nombreuses familles que les études générales ouvrent sur des carrières professionnelles plus stimulantes et mieux rémunérées ou encore le souhait de privilégier les atouts d’une vie estudiantine plus facilement permise par la voie d’une formation générale.

Pour agir sur ces différentes dimensions, l’ère se veut donc au changement et à l’innovation, tendance que l’on retrouve par ailleurs plus largement dans les grandes lignes de l’initiative nationale « Formation professionnelle 2030 ». Il n’est évidemment pas question de postuler que le modèle traditionnel dual, où une collaboratrice ou un collaborateur s’occupe de la formation d’un ou une apprentie à la marge de ses activités productives, est dépassé. Dans de nombreuses configurations d’entreprise, que l’on pense par exemple aux plus petites PME, et face à certains types de profils tant de jeunes que de formateurs, ce modèle garde toute sa pertinence. Le propos consiste davantage à soutenir qu’il est désormais nécessaire de stimuler la création de modèles de formation alternatifs, en plus de ce modèle dual classique, pour attirer des jeunes vers l’apprentissage. Et parmi ces modèles figure celui dit du Junior Team.

Les lignes qui suivent ont pour objectif de caractériser ce modèle pédagogique. Après en avoir décrit le fonctionnement et les buts visés, ses forces et les principaux défis auxquels il est exposé seront indiqués. Pour ce faire, nous mobiliserons l’étude de monitorage de ce projet mis en œuvre grâce à un soutien du SEFRI dans le cadre du nouveau programme « Places d’apprentissages COVID-19 » lancé durant la pandémie[1].  La totalité des huit Junior Teams prévus dans le cadre de ce projet ont été mis en place depuis 2020[2]. C’est cependant sur un échantillon de cinq entreprises que les analyses ont été conduites puisque les trois derniers Junior Teams ayant démarré à la rentrée d’août 2023 n’ont pas encore fait l’objet d’une analyse.

Organisation et objectifs de la formation en « Junior Team »

Certaines entreprises optent pour l’engagement d’une seule personne à 100% pour encadrer le Junior Team. Dans d’autres, un binôme se partage cet équivalent temps plein.

Le modèle du « Junior Team » consiste, pour une entreprise formatrice, à instaurer en son sein une équipe de 5 à 8 apprenties et apprentis se formant au même métier, ou à des métiers connexes (par exemple carrossier-tôlier et carrossier-peintre) qui permettent de travailler autour des mêmes projets. Ce modèle vise exclusivement à modifier les conditions de la formation pratique en entreprise. Les jeunes continuent par ailleurs à se rendre aux cours théoriques et aux cours interentreprise comme tout apprentie ou apprenti. Le groupe de jeunes ainsi créé est placé sous la responsabilité d’une formatrice ou d’un formateur en entreprise dont le temps de travail est entièrement dédié à cette tâche. En effet, pour de nombreuses collaboratrices et de nombreux collaborateurs, la formation des apprentis est souvent convenue tacitement et conduite à la marge de leurs tâches productives. La formalisation de leur nouveau statut dans le cadre des Junior Teams permet de différencier clairement le temps de formation du temps lié à la production afin de réduire la tension qui peut résulter entre ces deux pôles. Certaines entreprises optent pour l’engagement d’une seule personne à 100% pour encadrer le Junior Team. Dans d’autres, un binôme se partage cet équivalent temps plein. Cette dernière modalité présente notamment l’avantage de mieux faire face aux contraintes organisationnelles qui découlent de la prise de vacances et des congés maladie de la personne responsable du Junior Team.

Par ailleurs, au sein de l’équipe composée d’apprenties et apprentis répartis entre la première et la dernière année de formation, la formatrice ou le formateur confie à celles et ceux qui sont plus avancés dans leur formation la transmission de certaines compétences aux apprentie et apprentis novices. Cette approche, qui reste sous la supervision du responsable, permet d’impliquer les apprenties et apprentis dans le processus de formation et de s’assurer qu’elles et ils maîtrisent suffisamment diverses compétences pour les transmettre à leurs pairs. En outre, cette approche tend à favoriser le développement de l’autonomie et la collaboration entre les jeunes.

Enfin, l’un des autres grands avantages de ce dispositif est qu’il peut convenir à certains jeunes qui hésitent à faire une transition directe par crainte d’être exposés trop abruptement au monde de l’entreprise. Au sein du « Junior Team », les principaux collègues sont des pairs qui tendent à partager des références et des intérêts générationnels communs, offrant ainsi un sentiment de sécurité collectif plus marqué. Il permet ainsi une exposition progressive aux collègues plus âgés et aux réalités du monde professionnel.

La mise en œuvre de Junior Teams permet tout à la fois de jouer favorablement sur la quantité, puisqu’ils permettent d’augmenter le nombre de places d’apprentissage au sein des entreprises qui les mettent en œuvre (il s’agit d’un critère pour bénéficier des subventionnements de lancement qu’octroie le canton sur la base des financements du SEFRI), et sur la qualité de la formation des apprenties et apprentis, en favorisant la présence d’une personne pleinement investie et dédiée à leur formation. Un tel modèle promeut une approche pédagogique qui favorise l’autonomie, la responsabilité et la solidarité entre ses membres.

Forces du modèle

Parmi les principaux avantages observés ressort une amélioration globale des résultats des apprenties et apprentis aux cours dispensés à l’école professionnelle, ainsi qu’aux cours interentreprises.

Alors qu’une série d’effets positifs ont pu être observés après la mise en œuvre de certains Junior Teams, d’autres, moins désirables, sont également apparus. Ces derniers ont néanmoins présenté le double avantage de préciser certaines limites afférentes au modèle et permis une meilleure préparation pour le déploiement des futurs Junior Teams.

Parmi les principaux avantages observés ressort une amélioration globale des résultats des apprenties et apprentis aux cours dispensés à l’école professionnelle, ainsi qu’aux cours interentreprises. Tant les jeunes qui se formaient déjà dans les entreprises ayant mis en place ce modèle que ceux l’ayant rejoint après une résiliation de leur contrat d’apprentissage, ont présenté une augmentation globale de leurs performances. Par ailleurs, la totalité des jeunes qui ont terminé leur formation au sein des cinq Junior Teams mis en place jusqu’à présent ont obtenu leur certificat. Ces résultats peuvent à la fois s’expliquer par le solide encadrement pratique dont ces jeunes bénéficient en entreprise et par l’organisation d’appuis théoriques dispensés directement au sein de l’entreprise par leurs formatrices et formateurs.

Dans certaines entreprises, le taux d’absentéisme des apprenties et apprentis est en baisse depuis la mise en place du modèle. Il s’agit principalement des absences dites « perlées », soit celles qui interviennent en périphérie du weekend ou inférieures à trois jours, délai à partir duquel un certificat médical est généralement exigé. L’amélioration des conditions de formation et la solidarité régnant au sein du collectif de jeunes semblent constituer des paramètres à cette évolution favorable.

Concernant plus spécifiquement les métiers de la carrosserie, où une difficulté dans le recrutement des jeunes existe depuis de nombreuses années dans le canton de Vaud, les deux entreprises ayant opté pour le modèle de formation en Junior Team ont constaté une recrudescence des postulations. De leur point de vue, ce nouveau cadre de formation constituerait un argument fort auprès des jeunes et de leurs parents, souvent principaux prescripteurs du choix de formation.

Limites du modèle

Il existe, en effet, un risque à séparer trop rigoureusement formation et pratique dans l’acquisition de certaines compétences, notamment temporelles.

Toutefois, la mise en œuvre des Junior Teams présente quelques défis. Le premier est d’ordre organisationnel puisque les cinq entreprises interviewées dans le cadre du monitorage du projet ont relevé avoir sous-estimé l’impact de cette innovation sur leur organisation interne du travail, ainsi que sur le temps à allouer à la planification pour assurer le bon fonctionnement de l’équipe. L’existence d’une phase de tâtonnements a été signalée dans les entreprises concernées pendant les six premiers mois suivant le démarrage du projet. Cette phase équivalait à une recherche de compromis entre le Junior Team et les équipes professionnelles afin d’obtenir un équilibre satisfaisant entre les moments d’entraînement et les activités productives. La réussite de cet équilibrage conditionne l’acceptation du nouveau modèle par les collaboratrices et collaborateurs, d’une part, et de sa viabilité une fois la subvention de deux ans arrivée à son terme, d’autre part. De manière à faciliter le processus, certaines entreprises ont impliqué leur service des ressources humaines pour épauler les formateurs et formatrices durant la première année de fonctionnement du Junior Team, générant un coût de lancement qui n’était pas initialement prévu.

Le deuxième défi est d’ordre formatif et concerne la question de l’apprentissage du rythme de travail lié aux activités productives, comme cela peut aussi être le cas pour la formation professionnelle qui se déroule en école des métiers. Il existe, en effet, un risque à séparer trop rigoureusement formation et pratique dans l’acquisition de certaines compétences, notamment temporelles. Or, ces dernières sont essentielles pour réussir sa formation et être considéré comme un bon professionnel (Ruiz, 2021). Cependant, les entreprises ont trouvé des solutions pour ne pas tomber dans cet écueil, que ce soit en intégrant plus souvent les apprenties et apprentis à l’atelier de production, comme l’a fait une carrosserie ou en organisant un stage dans une autre entreprise où le rythme de travail est réputé plus soutenu, tel que l’organise une cantine scolaire qui forme des apprenties cuisinières et apprentis cuisiniers et qui les envoie périodiquement en stage dans divers restaurants.

Enfin, le troisième défi est communicationnel. À la suite de tensions avec certaines associations professionnelles cantonales qui ne semblaient pas pleinement comprendre le modèle et son fonctionnement (parfois associé à tort à un nouveau centre de cours interentreprises), il est apparu essentiel d’informer l’ensemble des acteurs des secteurs concernés de la mise en œuvre de ce type de projets.

De quelques précautions en guise de conclusion

Si le modèle du Junior Team présente de nombreuses qualités, sa mise en œuvre et sa gestion quotidienne constituent des défis à ne pas négliger. Il apparaît ainsi qu’un soin doit être porté aux aspects communicationnels entourant son déploiement, son intégration au sein des entreprises et son organisation. Ce dernier aspect constitue un défi majeur pour les collaboratrices et collaborateurs en charge des Junior Teams qui réalisent que leur rôle diffère de celui d’une formatrice ou d’un formateur en entreprise ordinaire. Pour faciliter la prise en main de ces nouveaux rôles, des modules de formation continue spécifiques sont en cours d’élaboration dans le canton de Vaud, institutionnalisant encore davantage ce nouveau modèle qui semble résolument appelé à se développer. À ce titre, le service de la formation du canton de Vaud a récemment pris la décision dans son nouveau plan d’action en faveur de la formation professionnelle[3] de soutenir financièrement l’ouverture de cinq nouveaux Junior teams dont le premier en faveur des peintres CFC a démarré courant août. Quatre autres suivront, à raison d’un par année, d’ici 2027.

Résumé

Dans la plupart des pays européens, la formation professionnelle initiale connaît une baisse d’attractivité. Si la Suisse ne fait pas exception, ce phénomène est davantage marqué en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Pour pallier cette perte de prestige, le canton de Vaud déploie depuis plusieurs années une politique publique en faveur de l’apprentissage qui intègre le lancement de projets innovants. La formation en Junior Team fait partie de ceux-ci. Elle consiste à créer au sein d’une entreprise formatrice une équipe d’apprenties et d’apprentis se formant au même métier et encadrés par une collaboratrice ou un collaborateur à plein temps. Si les premiers résultats de ce projet sont prometteurs (amélioration des résultats des jeunes, baisse de l’absentéisme et valorisation positive de l’apprentissage), les défis auxquels sont confrontées les entreprises qui mettent en œuvre des Junior Teams ne sont pas à négliger. La présente contribution met en exergue les principaux, tout en donnant à voir comment les différents actrices et acteurs de la formation leur apportent des réponses concrètes pour permettre de maintenir ce modèle qui donne satisfaction.

[1] Le financement permet de financer l’équivalent d’un temps plein pour le poste de formateur du Junior Team durant les deux premières années. Pour obtenir le financement, les entreprises doivent prouver qu’elles seront en capacité financière de maintenir leur Junior Team une fois la subvention arrivée à son terme.
[2] Les huit Junior Teams impulsés dans le cadre du financement du SEFRI ont été déployés dans les métiers suivants : carrossier-tôlier CFC, carrossier-peintre CFC et assistant vernisseur AFP (2 Junior Teams) ; cuisinier CFC (1 Junior Team) ; gestionnaire en intendance CFC et agent d’exploitation CFC (1 Junior Team) ; assistant en soins et santé communautaire CFC, assistant socio-éducatif CFC et aide en soins et accompagnement AFP (1 Junior Team) ; plâtrier CFC (1 Junior Team) ; informaticien CFC (1 Junior Team) et coiffeur CFC et AFP (1 Junior Team).
[3] Mesure numéro 13 du plan d’action de la valorisation de la formation professionnelle consultable ici

Bibliographie

  • Fleischmann, D. (2023). La formation professionnelle initiale perd du terrain. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 8 (2).
  • Kriesi, I., Bonoli, L., Grønning, M., Hänni, M., Neumann, J., & Schweri, J. (2022). Rapport de tendance 5. La formation professionnelle au niveau international et en Suisse – Tensions, défis, développements, potentiels. Berne : HEFP.
  • Ruiz, G. (2021). La socialisation temporelle des apprentis. Le cas des médiamaticiens et assistantes en soin et santé communautaire dans le canton de Vaud. Neuchâtel : Editions Alphil-Presses universitaires suisses.

Citation

Ruiz, G., & Munz, H. (2023). L’apprentissage en Junior Team : une alternative au modèle dual classique ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 8(9).

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