Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Réplique aux thèses de Dominique Tellenbach

Réflexion sur l’importance des examens écrits finaux dans la procédure de qualification

L’article de Dominique Tellenbach, recteur au Centre de formation professionnelle de Bâle-Campagne, dans l’édition 3-2022 de Transfer, m’a longuement fait réfléchir. Dans les lignes qui suivent, je souhaite y apporter un deuxième point de vue, basé selon ma propre expérience issue du front de la vente et de la formation dans le domaine du commerce de détail. Comme le remarque Tellenbach, les examens écrits dans la procédure de qualification visent à garantir un professionnel compétent. C’est sur leur importance que je me focalise ici. Mais plus qu’un professionnel compétent, prendre en compte le concept de formation continue et d’apprentissage tout au long de la vie permet d’obtenir un professionnel complet.


Je partage l’avis de Tellenbach [1] sur l’importance des examens pratiques telle qu’il les présente (examens pratiques, travaux de clôture, travaux d’approfondissement et travaux pratiques individuels). En ce qui concerne les examens écrits qui contrôlent les acquis de l’enseignement des branches professionnelles et de l’enseignement de la culture générale, j’aimerais ajouter une ouverte qu’il ne faut pas négliger. La réussite de ces examens peut être mise dans un objectif plus large que la seule obtention d’une attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) ou d’un certificat fédéral de capacité (CFC), car ils mettent en avant le concept de formation continue et d’apprentissage tout au long de la vie. Un CFC permet de débuter une maturité professionnelle ou une école supérieure.

Mon argumentation se base sur 20 ans de travail dans le commerce de détail en tant que cadre chez Coop, expert aux examens pratiques, enseignant en école professionnelle et aux cours interentreprises. Cet article est construit en suivant les quatre arguments de Tellenbach, tournés sous forme de questions, avant de conclure par une proposition de solution.

Argument n° 1 : Les examens finaux opèrent-ils une sélection au bon moment ?

Semestriellement, les bulletins scolaires ainsi que l’évaluation de l’entreprise formatrice font un état des lieux de l’évolution des apprenties et apprentis, ce sont des bilans d’acquisition de connaissances. Ceux-ci révèlent si le niveau demandé à un moment donné de la formation est atteint et décident entre la suite de la formation, le redoublement ou le changement de filière (de CFC vers AFP ou inversement).

Dans un autre registre, l’examen final est un moyen permettant d’évaluer les compétences globales des apprenties et apprentis, une prise de recul nécessaire qui englobe une vue d’ensemble de la formation. Ainsi, cet examen permet de valoriser les apprentissages réalisés durant la formation. Visant un examen non pas construit selon un condensé de tous les thèmes des cours mais selon une vision transversale des savoirs, sa place doit nécessairement rester en fin de formation.

Première conclusion intermédiaire : les « bulletins scolaires intermédiaires » et les « examens finaux » évaluent des objets différents. Les premiers portent sur la continuité de la formation tandis que les seconds portent sur l’évaluation globale de la formation et doivent donc avoir lieu en toute fin.

Argument n° 2 : Que disent les examens finaux sur l’aptitude professionnelle ?

Je partage l’hypothèse implicite posée par Tellenbach selon laquelle « un ou une élève qui réussit ses examens pratiques a prouvé qu’il ou elle avait les qualités requises par la profession ; la pratique est la discipline reine dans la procédure de qualification ». C’est également le discours que je tiens avec mes collègues expertes et experts lors des expertises des examens pratiques, car la pratique indique l’employabilité des apprenties et apprentis. Mais dans ce moment-là, avec mon regard d’expert, je n’ai qu’une vision incomplète des compétences des apprenties et apprentis.

La procédure de qualification doit certifier plus que l’employabilité, car celle-ci peut être atteinte par l’expérience comme le font les employées et employés non qualifiés.

La procédure de qualification doit certifier plus que l’employabilité, car celle-ci peut être atteinte par l’expérience comme le font les employées et employés non qualifiés. Ainsi, la procédure de qualification doit également couvrir les connaissances acquises durant les cours interentreprises et l’école professionnelle afin de dépasser le niveau de l’employé compétent du point de vue des compétences procédurales pour atteindre le statut de professionnel ayant un regard sur ses pratiques.

Restreindre l’évaluation aux compétences procédurales en entreprise, c’est-à-dire l’exécution de tâches quotidiennes, sans prendre en compte la réflexivité ou la prise de conscience de ses connaissances sur ses propres pratiques, limite les professionnelles et professionnels aux rôles d’exécutants. Ces sont ces compétences qui sont développées en école professionnelle et cours interentreprises et qui doivent être validées par les examens finaux.

Selon les données utilisées par Tellenbach[2], 16 personnes sur 80 (20% des échecs) sont suffisamment compétentes lors de l’examen pratique, mais insuffisamment lors des examens écrits. Ces quelques cas d’échecs montrent, selon moi, que la seule maîtrise des compétences procédurales, donc de la réussite de l’examen pratique, ne suffit pas pour certifier ces apprenties et apprentis.

Deuxième conclusion intermédiaire : la compétence professionnelle est un ensemble qui dépasse les compétences observables par l’examen pratique, ainsi l’examen écrit complète l’examen pratique afin de garantir un professionnel compétent et complet méritant le titre visé.

Argument n° 3 : Est-ce que les examens finaux testent véritablement les connaissances qu’il convient de contrôler ?

Sur cet argument, je rejoins l’avis de Tellenbach : un examen focalisé sur des connaissances linguistiques, de plus hors contexte, présente le risque de faire aboutir les apprenties et apprentis à une note insuffisante. Et ceci indépendamment de leurs connaissances professionnelles.

Afin de montrer que cet argument est en cours de résolution par une solution très élégante, je vais prendre l’exemple de la réforme de l’ordonnance du commerce de détail réalisée en 2022. Le plan de formation qui était basé sur les « matières et les objectifs d’apprentissage » est passé à une formation basée sur les « compétences opérationnelles ». Ainsi, les cours anciennement intitulés « langue nationale », « langue étrangère », « économie », etc., sont devenus : « gestion des relations avec les clients », « gestion et présentation des produits et prestations », etc.

Ceci change la manière de concevoir la matière à dispenser. Ce ne sont plus la langue nationale, la langue étrangère ou l’économie qui sont enseignées en périodes indépendantes les unes des autres, mais, par exemple, la gestion des relations avec les clients. Ce thème, dans le commerce de détail, est au cœur du métier. Ainsi, les enseignantes et enseignants de branche déconstruisent leur matière (langue nationale, langue étrangère ou économie) pour enseigner les connaissances selon les besoins du métier (la gestion des relations avec les clients). Cette méthode permet une interdisciplinarité et donne un sens bien plus élevé pour les apprenties et apprentis qui apprennent de la matière construite pour répondre aux besoins de leur métier.

Une telle approche contribue au fait que les examens vont véritablement contrôler des connaissances utiles et utilisées par les apprenties et apprentis durant leur formation.

Troisième conclusion intermédiaire : le problème existe, mais il est en cours de résolution par les réformes des plans de formation basés sur les compétences opérationnelles.

Argument n° 4 : Est-ce que les examens finaux ont tendance à être discriminatoires ?

Tellenbach définit trois catégories de cas d’échec pour évoquer la discrimination exercée par les examens écrits. Je vais utiliser les mêmes catégories pour questionner le rapport aux examens ou la formation dans son ensemble.

Premièrement, nous avons ceux dont l’échec « était prévisible » et qui n’auraient pas dû se présenter à l’examen. Deuxièmement, les « cas incertains » dont la chance ou l’état de santé du jour de l’examen sont des critères déterminants selon les termes de Tellenbach. Celui-ci ajoute que ces élèves sont les seuls responsables. Je préciserai que les résultats des examens écrits sont, dans les deux cas, rarement une surprise. Mais le plus important est que ces notes sont combinées avec les résultats des bulletins antérieurs. Ainsi, ces examens écrits ne sont pas à eux seuls, à l’image d’une guillotine, ceux qui décideront ou non de la réussite finale ; celle-ci dépend d’un assemblage complexe entre examens écrits et bulletins de notes. Le troisième cas concerne, comme le dit Tellenbach, des gens ayant des problèmes psychiques, des difficultés avec la langue, des coups du sort, des trous de mémoire, des crises d’angoisses ou des phobies ne leur permettant pas d’exploiter toutes leurs compétences et qui échoueront.

Les apprenties et apprentis se trouveront aussi désemparés lors des examens écrits que des examens pratiques.

Le côté dramatique de ces situations est indéniable. Cependant, Tellenbach met en avant la structure rigide des examens écrits en école sans parler des conditions des examens pratiques. Bien que ceux-ci se déroulent dans l’entreprise formatrice, ils n’en sont pas moins très cadrés, codifiés et assez loin des pratiques routinières. Il y a par exemple les différentes phases de l’examen, la durée de celui-ci, les rôles à prendre durant l’examen (expliquer ce que l’on ferait dans une situation fictive ou justifier ces actions durant la réalisation d’une tâche) ainsi que le fait que les candidates et candidats ne connaissent presque jamais leurs expertes et experts. Ceci fait que les apprenties et apprentis se trouveront aussi désemparés lors des examens écrits que des examens pratiques. Ce n’est pas le type d’examen qui pose problème, mais les situations personnelles selon les exemples précités.

Quatrième conclusion intermédiaire : sans remettre en cause la tendance discriminatoire des examens, j’affirme que celle-ci est tout aussi présente lors des examens écrits que pratiques. De plus, il n’y a pas, dans le cas de l’examen pratique, une combinaison entre les bulletins antérieurs et les notes d’examens écrits.

Ma proposition de solution : donner plus de sens aux examens

Je rejoins l’avis de Tellenbach sur l’importance de réaliser tous les examens orientés selon les compétences opérationnelles. Ceci permet aux apprenties et apprentis de trouver plus de sens dans les examens qu’ils effectuent et peut ainsi fournir la preuve, dans un autre contexte, de leurs connaissances du métier.

Cependant, l’examen final doit rester un incontournable de la formation, tant pour obtenir une AFP, un CFC, un brevet, un bachelor que son permis de conduire. La proposition émise par Tellenbach – passer d’un examen écrit vers des notes modulaires combinées à un contrôle continu – me semble risquée.

Tellenbach propose un examen final selon le système du TPI (travail pratique individuel). Le TPI est, théoriquement, la combinaison idéale entre l’entreprise formatrice, l’école professionnelle et les cours interentreprises. C’est un travail transversal qui permet de mobiliser les compétences acquises sur les trois lieux de formation. La rédaction du travail mobilise ce qui a été appris en école professionnelle, le savoir pratique acquis au sein de l’entreprise formatrice de même qu’une très grande ouverture d’esprit. Par la proposition du projet en commun accord avec la formatrice ou le formateur en entreprise, le travail est toujours situé selon l’expérience vécue au sein de l’entreprise formatrice.

Cependant, l’évaluation du travail est réalisée par les expertes et experts des examens pratiques qui sont principalement issus du monde des entreprises et dont l’évaluation est axée sur une employabilité des apprenties et apprentis. En validant le titre par ce biais uniquement, je crains pour la perméabilité de la formation vers une formation continue et un apprentissage tout au long de la vie. L’AFP ou le CFC risque de devenir une fin en soi, sans possibilité de poursuivre vers une formation supérieure, tel qu’on a pu le connaître avec les formations élémentaires disparues vers l’an 2000. Pour rappel, ces formations élémentaires permettaient d’obtenir un titre validant des compétences selon l’entreprise formatrice. Cependant, ces titres étaient tellement personnalisés selon l’entreprise et focalisés sur les compétences procédurales qu’ils n’avaient pas de valeur hors des murs de l’entreprise en question. De plus, par la personnalisation de ces titres, le passage au CFC n’était pas écourté comme c’est actuellement le cas pour les porteurs d’une AFP.

Finalement, d’un point de vue totalement personnel, je pense que l’examen écrit est une « expérience » qui fait partie de la formation en haute école, en école supérieure, en maturité professionnelle ou lors du permis de conduire.

Finalement, d’un point de vue totalement personnel, je pense que l’examen écrit est une « expérience » qui fait partie de la formation en haute école, en école supérieure, en maturité professionnelle ou lors du permis de conduire. Ainsi, ne pas conserver cette étape lors de la validation de l’AFP ou du CFC me donnerait l’impression que ces titres profitent d’un traitement de faveur, risquant encore un peu plus de dévaloriser la valeur des titres de formation professionnelle initiale.

Résumé

Ce texte se veut comme un deuxième regard en continuité de l’article de Dominique Tellenbach dans l’édition 3-2022 de Transfer. Selon un point de vue empirique, j’apporte une deuxième lecture des quatre arguments mentionnés par Tellenbach sur les examens finaux, ainsi que ma propre solution sur l’amélioration de ceux-ci. Je me focaliserai sur l’importance des examens écrits dans la procédure de qualification, afin que soient certifiés des apprenties et apprentis compétents, comme le remarque Tellenbach, mais également complets. Je définis par « complète » la personne qui dépasse le stade des connaissances procédurales, donc compétente, pour atteindre le niveau auquel on peut montrer que l’on maîtrise le métier de manière plus large que l’exécutant. Je compléterai cette idée par l’importance de prendre en compte le concept de formation continue et d’apprentissage tout au long de la vie. J’apporterai finalement un autre éclairage sur les arguments de Tellenbach, basé sur ma propre expérience issue du front de la vente dans le domaine du commerce de détail ainsi que des formations et évaluations que j’ai pratiquées en tant qu’expert aux examens pratiques, enseignant en école professionnelle et aux cours interentreprises.

[1] Dominique Tellenbach, 2022: Plaidoyer pour une meilleure procédure de qualification: Examens finals dans la formation professionnelle initiale : une aberration ?. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique. SRFP, Société suisse pour la recherche appliquée en matière de formation professionnelle.
[2] Candidates et candidats à la procédure de qualification de la formation professionnelle initiale 2022 dans le canton de Bâle-Campagne (AFP et CFC), avec un contrat d’apprentissage dans le canton BL et dont l’établissement scolaire est le Centre de formation professionnelle de Bâle-Campagne (BBZ BL) (n=703)
Citation

Jan, D. (2023). Réflexion sur l’importance des examens écrits finaux dans la procédure de qualification. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 8(2).

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