Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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L’importance de la pratique du métier dans l’entreprise

Comment l’entreprise favorise – ou empêche – le développement de l’identité professionnelle

Toute personne qui apprend un métier souhaite participer pleinement aux activités de l’entreprise. La perspective de devenir indépendant et de progresser contribue de manière décisive au développement de l’identité professionnelle. Cependant, cette participation n’est pas suffisamment encouragée par l’ensemble des entreprises. La recherche « Développement de l’identité professionnelle » menée à l’IFFP et soutenue par le FNS, analyse ces mécanismes auprès d’apprenti-e-s maçons et automaticiens. Elle montre entre autres que la conscience d’une responsabilité partagée de l’accompagnement des apprenti-e-s au sein de l’entreprise apporte un grand avantage.


Au cours de leur formation professionnelle initiale, les apprenti-e-s acquièrent des savoir-faire et savoir-être liés à leur métier. Cette période de transition – passage de l’école au monde professionnel – comporte aussi un enjeu de transformation de l’image de soi. La recherche interroge ces processus liés à la construction d’une identité professionnelle d’apprenti-e-s maçons et automaticiens durant les années d’apprentissage et d’évolution de novices (Lave & Wenger, 1991) à jeunes professionnel-le-s. La littérature souligne l’importance de l’activité concrète dans la construction de l’identité professionnelle (Billett, 2001; Saboya, 2008) car elle ouvre l’accès à la communauté professionnelle et à l’acquisition d’une autonomie dans la pratique.

Si une place d’aide est acceptée par les apprenti-e-s comme relevant de leur rôle, elle n’est plus suffisante au fur et à mesure que leur formation progresse.

Par la pratique professionnelle, les apprenti-e-s s’approprient des tâches qui leur sont conférées et qu’ils exercent au sein de leur équipe de travail. C’est cette participation qui permet le développement du sentiment de « servir à quelque chose », de contribuer aux activités de l’entreprise, et de trouver du sens dans leur activité. Le « faire ensemble » et l’implication dans la production commune (Lhuilier, 2007) peut être source d’identification avec le métier et le rôle professionnel.

Modalités de participation aux activités de l’entreprise

Depuis le début de leur apprentissage, les futurs professionnel-le-s sont attribués à des équipes et places de travail pour apprendre leur métier et soutenir la vie de l’entreprise. Cependant, toutes les entreprises n’ont pas la même façon de les intégrer dans leurs activités et de les faire participer à la communauté professionnelle. Les apprenti-e-s que nous avons rencontrés font état d’activités découlant de leur position d’apprenant-e-s dans l’entreprise que nous pouvons diviser en trois catégories distinctes :

Les tâches appelées « périphériques » (Fuller & Unwin, 2003) sont souvent considérées dans l’entreprise comme du « sale boulot », et ne sont pas liées directement au métier. Il s’agit de tâches de rangement, de nettoyage ou de transport de matériel. On peut parfois entendre que ces tâches seraient celles « des apprenti-e-s ». Ainsi, au début de la formation, nombre d’apprenti-e-s acceptent de faire ce type de tâche, et ce d’autant plus si elles sont également accomplies par d’autres collègues, et si d’autres tâches leur sont accessibles dès le début de la formation.

La deuxième catégorie sont des tâches de « production » directement liées au travail productif de l’entreprise. Dans le métier de maçon-ne, il s’agit ici typiquement de toute activité liée à la construction, à la mise en place du chantier, au terrassement, coffrage / décoffrage, ferraillage, prise de mesures, coulage du béton. Pour les automaticien-ne-s, il s’agit par exemple du câblage, la production de pièces pour des machines, le contrôle du fonctionnement électrique et électronique, etc. Les tâches de production sont particulièrement importantes pour le développement du sentiment d’utilité et d’appartenance à la communauté professionnelle.

Ici encore les tâches de préparation et de soutien comme la composition du mortier par exemple pour les maçon-ne-s, sont considérées comme moins valorisées. Les tâches de précision et de construction tel que le montage du mur en brique, ou celles impliquant la manipulation de machines, sont plus valorisées. Les apprenti-e-s aspirent ainsi, au fur et à mesure que la formation progresse, à pouvoir exercer des tâches plus complexes et valorisées.

Une troisième catégorie se recoupe en partie avec la deuxième, c’est-à-dire les activités « formatrices ». Il s’agit ici d’activités que les apprenti-e-s considèrent comme centrales pour réussir leur formation, et qui sont définies comme fondamentales pour exercer leur métier et être considérés comme des professionnel-le-s.

Plusieurs apprenti-e-s arrivés en fin de formation, trouvent que peu de temps a été accordé à des tâches d’apprentissage.

Il ressort de l’analyse qu’il est important pour les apprenti-e-s de pouvoir participer à une grande variété d’activités de production et de formation. Cependant, certaines entreprises n’offrent pas la participation à toute la variété de tâches du métier principalement pour deux raisons.

  • Soit l’entreprise elle-même n’est active que dans une partie limitée du métier. Dans le cas des automaticien-ne-s, de nombreuses entreprises sont spécialisées dans un domaine industriel comme la production d’électricité, de systèmes de ventilation ou de domotique. Les apprenti-e-s participeront alors aux activités restreintes à la production de tableaux et cabines électriques par exemple ou à l’installation de systèmes de ventilation et de domotique dans des bâtiments. Souvent, ces entreprises ne font que très peu de travail de programmation, de mécanique, d’hydraulique ou de pneumatique, domaines qui appartiennent également à la formation des automaticien-ne-s (cf. Plan de formation CFC automaticien-ne). Dans le domaine de la maçonnerie, il s’agit souvent d’entreprises qui sous-traitent une partie de la production comme le montage des briques, le coffrage ou le ferraillage à des entreprises spécialisées et avec des rendements particulièrement élevés. Ce sont alors des activités qui ne sont pas exercées par les apprenti-e-s car l’entreprise ne les développe pas ou plus.

« Chez moi, on est une moyenne entreprise, on coffre ni dalle, ni mur. Nous on coffre juste les têtes de mur, les fenêtres, les portes et on bétonne c’est tout. On fait pas les murs, c’est pas nous qui posons les panneaux. » (Marina, maçonne, 3ème année)

Cependant, certaines entreprises créent les conditions pour que les apprenti-e-s s’y entraînent malgré tout. Ainsi, un-e apprenti-e maçon peut se voir mettre à disposition un mur d’exercice au dépôt de l’entreprise à monter en briques, tout en étant libéré d’autres tâches de production. Ou alors il ou elle peut passer quelques journées avec une petite équipe sur un chantier particulier, participant ainsi à la production tout en s’exerçant à une tâche importante pour sa formation. Dans le cas des automaticien-ne-s, certaines entreprises mettent à disposition des exercices pratiques ou des programmes informatiques par exemple, en vue de la préparation aux examens.

« Par exemple là pour le moment, ben ce matin j’étais en train de m’entraîner parce que jusqu’en fin de deuxième année on a des partiels, des tests pratiques. Donc là j’ai commencé à m’entraîner ben à faire un examen partiel. C’est mon patron il est expert dans les examens. Donc il a plein d’examens pour nous exercer quoi. » (Kenzo, automaticien 2ème)

  • Une deuxième raison expliquant l’absence de participation de l’apprenti-e à une grande variété de tâches, est un manque d’intégration dans les activités de l’entreprise. En d’autres mots, soit le responsable de la formation en entreprise n’est pas suffisamment présent pour bien organiser cette formation et la laisse gérer en fonction de la connaissance et conscience des collègues, soit, selon plusieurs apprenti-e-s, la forte pression pour tenir des délais de livraison particulièrement dans la maçonnerie fait que souvent l’apprenti-e se voit relégué au statut d’aide qui participe aux tâches périphériques et tâches de production moins valorisées, au lieu de prendre part pleinement à l’activité et d’exercer les gestes au cœur du métier. Si une place « d’aide » est acceptée par les apprenti-e-s comme relevant de leur rôle, elle n’est pourtant plus suffisante à elle seule au fur et à mesure que leur formation progresse.

« En entreprise, c’est un peu compliqué dans une grande entreprise comme ça, ils ont pas énormément de temps à donner aux apprentis et c’est pas forcément du travail en rapport avec l’apprentissage. De temps en temps, il (le formateur) a des travaux d’automaticien où il doit refaire un câblage, un truc mais assez souvent c’est déplacer des bureaux, faire des trous dans le sol pour fixer des armoires, c’est un peu plus du bâtiment et quand on y passe trois mois avec lui, au bout d’un moment, c’est un peu chiant. » (Nils, automaticien, 3ème)

Cependant, les apprenti-e-s expriment le besoin de participer à la vie de l’entreprise. Pour leur évolution d’apprenti-e-s vers professionnel-le-s, leur besoin d’apprentissage doit être pris en compte. Si les tâches périphériques et de production simples restreignent le champ de leur action et formation, elles et ils se sentent relégués à l’unique statut d’aide pour l’équipe. Il est alors difficile de développer une identité professionnelle et il y a un risque de perte de sens de leur activité. Plusieurs apprenti-e-s pensent ainsi changer d’entreprise ou même d’apprentissage, aussi bien du côté des maçon-ne-s que des automaticien-ne-s. D’autres veulent terminer malgré tout leur formation initiale pour ensuite faire un autre métier. Au fur et à mesure que les apprenti-e-s prennent de l’assurance, certain-e-s insistent aussi auprès de leur responsable de formation pour mieux structurer leur formation.

Variété des tâches et développement de l’autonomie

Pour que l’identité professionnelle puisse se développer, un deuxième aspect essentiel de l’activité est le sentiment de gagner en autonomie dans le travail. L’autonomie est ici comprise comme être auteur de ses actes, et agir non pas seulement sur demande d’un supérieur mais parce que l’apprenti-e lui-même comprend le sens de son action (Ryan, 1991). Il ressort clairement de l’analyse que la participation à la variété des tâches contribue au sentiment de faire des progrès et d’être plus autonome.

La tendance générale montre que les apprenti-e-s maçons se sentent plus rapidement impliqués dans les « tâches de production » de tout genre dès la première année d’apprentissage. Cela les valorise et elles et ils expriment de la fierté d’avancer rapidement vers une certaine autonomie.

« Tracer j’arrive maintenant. Les plans aussi, je commence à arriver. Mais c’est vrai que je n’ai pas encore – le coffrage, c’est un truc assez compliqué, il faut vraiment trouver les bonnes solutions assez rapidement, et puis du coup, ça je n’ai pas encore l’expérience pour ça. En fait, trouver des solutions, c’est un truc qui commence de plus en plus à évoluer. Là, au début, quand on est bloqué, on va rester bloqué une heure. Bah là, je reste bloqué de moins en moins de temps. » (Antoine, maçon 1ère)

Nos observations auprès des apprenti-e-s de dernière année de maçonnerie tendent à montrer que cette participation s’estompe parfois avec l’avancement de leur formation. Plusieurs apprenti-e-s arrivés en fin de formation, trouvent que peu de temps a été accordé à des tâches d’apprentissage. La pression sur l’efficacité du travail est à leurs yeux souvent en jeu quand il s’agit du manque de participation au cœur du métier. Ainsi, à défaut de pratiquer, leur position dans le collectif stagne au niveau de la main d’œuvre. Ils développent un sentiment d’être inefficaces au travail et manquent d’assurance pour prendre des responsabilités dans l’équipe.

« Ben ils ont pas trop confiance en moi et du coup ils me font faire un peu des choses, balayer des trucs, comme ça. Enfin, je fais un peu le manœuvre à la place de faire le maçon. » (Liam, maçon, 3ème)

De l’autre côté, les automaticien-ne-s ont tendance à être introduits plus progressivement à la diversité de tâches. Cela est dû, selon certains apprenti-e-s, à la complexité du métier, ainsi qu’à la dangerosité liée à l’électricité. Il convient de mentionner aussi que la formation des automaticien-ne-s est structurée de sorte à concentrer les cours inter-entreprises en première année (et deuxième, selon les cantons). Plusieurs apprenti-e-s ressentent alors une certaine frustration car elles et ils souhaitent être impliqués, à l’issue des cours inter-entreprises, dans une plus grande variété de tâches, aussi par curiosité et volonté de « comprendre ce qu’ils font ». Mais elles et ils restent souvent tributaires des tâches qui leur sont attribuées et du temps qui leur est accordé :

« Ben en fait ils nous disent : faites ça là-bas. Pis on fait, pis on revient vers lui mais ils sont en séance. Et nous ben on attend devant le PC quoi. On n’a rien à faire. … Justement au début on était toujours ensemble. Parce que pour être sûr de pas faire de bêtise. Parce qu’il y a beaucoup de dangers dans ce métier. Vu que quand on fait des travaux électriques mon patron il est souvent là, ça c’est le plus dangereux. Ensuite par exemple pour la mécanique, ils nous donnent des plans pis ça on peut faire, c’est plus simple. Mais ouais ces temps on est beaucoup tout seul. » (Kenzo, automaticien, 2ème)

Néanmoins, nombreux sont les apprenti-e-s qui affirment travailler plus vite, et surtout « mieux comprendre » les processus, ainsi que pouvoir « gérer leur journée de travail ». Cette volonté est présente chez tous les apprenti-e-s, et particulièrement exprimée par les automaticien-ne-s, dont le niveau d’abstraction de leur métier est élevé (processus électriques, magnétisme, pneumatique, hydraulique, électronique).

Ce développement de l’autonomie dans le sens de prendre des responsabilités est importante pour beaucoup d’apprenti-e-s, tout comme leur volonté de s’impliquer dans le collectif de travail et leur propre formation. Au fur et à mesure que leur formation progresse, certains se mobilisent et tentent d’influencer leur participation aux diverses activités.

Conclusion

Il a été mis en évidence l’importance de comprendre les besoins des apprenti-e-s pour leur participation à la diversité des activités de leur métier. Les apprenti-e-s recherchent une intégration comme membres à part entière dans l’activité productive de l’entreprise, et le sentiment d’autonomie et de progrès participent à la construction de leur identité comme professionnel-e-s. Cette participation favorise non seulement la reconnaissance par la communauté professionnelle, mais également l’apprentissage de tous les gestes du métier, le développement de la confiance en soi et la prise de responsabilités. Car il est non seulement important d’apprendre, mais aussi de trouver du sens dans l’activité et de se projeter dans un avenir au sein du métier. Il s’agit de trouver un équilibre entre les tâches de production et d’apprentissage, les deux étant nécessaires dans la construction d’une identité professionnelle.

Il semble alors particulièrement important que les responsables de la formation professionnelle en entreprise prennent soin des besoins des apprenti-e-s en termes d’intégration dans les activités et d’opportunités pour apprendre les gestes du métier. Plus que faire reposer cette responsabilité sur une seule personne – la personne en charge de la formation – il est alors question de développer cette conscience au sein même des différentes hiérarchies de l’entreprise, de la direction aux équipes de travail : cela répondrait au souci de faire perdurer cette transmission au-delà d’une personne formatrice en particulier, et de reconnaître le rôle de l’équipe de travail dans la formation au jour le jour. Car s’il est nécessaire d’offrir une grande variété de tâches aux apprenti-e-s, cela demande également la mise en place d’un accompagnement adéquat.

Bibliographie

  • Billett, S. (2001). Learning through work: Workplace affordances and individual engagement. Journal of Workplace Learning, 13 (5), 209-214.
  • Fuller, A., & Unwin, L. (2003). Learning as Apprentices in the contemporary UK workplace: creating and managing expansive and restrictive participation. J Educ Work, 16. doi:10.1080/1363908032000093012
  • Lave, J., & Wenger, E. (1991). Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Cambridge: Cambridge University Press.
  • Lhuilier, D. (2007). Cliniques du travail. Toulouse, France: Érès.
  • Ryan, R. M. (1991). The Nature of the Self in Autonomy and Relatedness. In N. Y. Springer, NY (Ed.), The Self: Interdisciplinary Approaches. (Strauss J., Goethals G.R. (eds) ed.).
  • Saboya, F. (2008). Analyse de pratiques et identité professionnelle. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 41(1), 161-170. doi:10.3917/nras.041.0161
Citation

Felder, A., Caprani, I., & Duemmler, K. (2020). Comment l’entreprise favorise – ou empêche – le développement de l’identité professionnelle. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 5(1).

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